La visite de Biden au Canada vise à préparer l’alliance impérialiste nord-américaine à la guerre contre la Russie et la Chine

Joe Biden effectuera sa première visite officielle au Canada en tant que président des États-Unis ce jeudi et vendredi. L’ordre du jour annoncé publiquement des questions dont Joe Biden doit discuter avec le Premier ministre canadien Justin Trudeau souligne que les deux puissances impérialistes d’Amérique du Nord se précipitent imprudemment vers une guerre mondiale, dans le contexte d’une crise capitaliste mondiale sans précédent qui alimente également un soulèvement de la classe ouvrière mondiale aux dimensions révolutionnaires.

Les alliés de l’OTAN examineront l’évolution de la guerre menée par les États-Unis contre la Russie en Ukraine, qui s’est rapidement intensifiée au cours des trois premiers mois de 2023. Alors que le régime d’extrême droite de Kiev est confronté à une crise croissante sur le champ de bataille, les puissances impérialistes se sont engagées à fournir des armes de plus en plus puissantes, y compris des chars de combat principaux et bientôt des avions de chasse, menaçant de transformer le conflit en une guerre directe avec Moscou. Depuis février 2022, le Canada a fourni plus d’un milliard de dollars de soutien militaire à l’Ukraine, dont huit chars de combat, un système de défense aérienne, des véhicules blindés et de grandes quantités de munitions. Il a également déployé des forces spéciales en Ukraine, bien que leur nombre et leur fonction soient un secret bien gardé, et a intensifié l’opération Unifier, la mission qu’il a lancée en coopération avec les armées américaine et britannique pour réorganiser et former les forces armées ukrainiennes en 2015.

Le président américain Joe Biden s’exprime après avoir tenu une réunion virtuelle avec le premier ministre canadien Justin Trudeau le 23 février 2021. [AP Photo/(AP Photo/Evan Vucci)]

Au début du mois, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a clairement indiqué qu’Ottawa soutenait l’objectif de l’impérialisme américain de soumettre la Russie à un statut de semi-colonie lorsqu’elle a déclaré que le Canada recherchait un «changement de régime» à Moscou. Avec leur escalade continue du conflit et leurs affirmations répétées qu’il ne peut y avoir de fin au conflit sans une «paix» dictée par l’Ukraine (en réalité, par l’OTAN), les puissances impérialistes risquent un échange nucléaire qui menacerait la vie de centaines de millions de personnes.

Biden et Trudeau discuteront également de l’approfondissement de leur collaboration pour fomenter les tensions militaires et la guerre économique avec la Chine, dans des conditions où des personnalités militaires américaines de premier plan ont averti qu’une guerre avec Pékin pourrait commencer dès 2025. L’une des tâches les plus importantes incombant au Canada dans le cadre de ces préparatifs de guerre est la modernisation du commandement bilatéral de la défense aérospatiale et maritime de l’Amérique du Nord (NORAD), qui est considéré par les planificateurs militaires et les experts en politique de sécurité comme essentiel pour empêcher la Chine d’entrer dans l’Arctique et mener une guerre nucléaire «gagnable». Les demandes d’accélération de la modernisation du NORAD se sont considérablement accrues après que des avions de guerre américains ont abattu un ballon météorologique chinois et une série d’autres objets non identifiés, dont deux au-dessus du Canada, le mois dernier.

Les deux hommes passeront en revue la coopération entre les États-Unis et le Canada en matière de chaînes de production «amies» et de sécurisation de l’accès aux matières premières jugées essentielles pour l’armement avancé et la domination dans des domaines clés du développement économique futur, tels que l’énergie verte et les technologies informatiques. Sous l’administration Trump, le gouvernement Trudeau a lancé le Plan d’action pour les minéraux critiques avec Washington afin de garantir un accès commun à 17 terres rares identifiées comme ayant une importance géostratégique et économique. Un plan plus détaillé, portant sur près de trois douzaines de minéraux stratégiques, a été décidé lors de la première réunion bilatérale des chefs de gouvernement de Biden et Trudeau, qui s’est tenue par vidéoconférence en février 2021.

Alors qu’une forte unité entre les deux gouvernements est attendue sur la guerre avec la Russie et le conflit imminent avec la Chine, Biden prendra très certainement le Canada à partie pour ses dépenses militaires, qui sont actuellement bien en deçà de l’objectif de l’OTAN de 2 % du PIB par an. L’ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen, s’est plaint dans une interview accordée dimanche à la chaîne CBC que le délai de 20 ans fixé par Ottawa pour sa contribution à la modernisation du NORAD était trop lent. Les représentants du gouvernement canadien ont répliqué en citant leur engagement récemment annoncé d’acheter 88 avions de chasse F-35 et leurs projets de dépenser quelque 4 milliards de dollars pour la modernisation du NORAD d’ici à 2027.

Biden fera également pression sur le gouvernement Trudeau pour qu’il mène une intervention militaire en Haïti, où la vie sociale et économique s’est pratiquement effondrée en raison de la violence endémique des gangs et de décennies de pillage impérialiste. Conscient de l’opposition profonde des masses haïtiennes à une nouvelle mission militaire étrangère néocoloniale, le gouvernement Trudeau s’est montré réticent à assumer la responsabilité d’une telle mission, préférant armer la police nationale haïtienne et imposer des sanctions à certains oligarques du pays. Au début du mois, le chef d’état-major de la défense, Wayne Eyre, a déclaré que le Canada ne disposait pas des ressources militaires nécessaires pour mener une intervention en Haïti, alors qu’il renforce simultanément sa présence en Europe de l’Est et dans la région Asie-Pacifique.

La visite du président américain coïncide avec une campagne anti-Chine féroce, alimentée par des fuites de renseignements de haut niveau et menée par les médias bourgeois, ainsi que par les partis d’opposition conservateur, bloquiste et néo-démocrate. Depuis plus d’un mois, il n’y a pratiquement pas eu d’autre sujet à la une des grands journaux que des allégations grossières sur l’ingérence présumée de la Chine dans les élections fédérales canadiennes et dans d’autres domaines de la vie publique. Trudeau a été qualifié de quasi traître par le chef d’extrême droite de l’opposition officielle conservatrice, Pierre Poilievre, pour avoir prétendument couvert l’ingérence chinoise à des fins électorales.

L’objectif de cette campagne est de diaboliser la Chine afin de susciter un soutien populaire au réarmement et à la guerre, et de contraindre le gouvernement Trudeau à adopter une attitude encore plus explicitement dure à l’égard de la Chine. Les appels se poursuivent pour que le gouvernement ouvre une enquête publique sur ces allégations, même si la GRC a admis qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour ouvrir ne serait-ce qu’une seule enquête criminelle sur l’ingérence présumée.

L’une des principales plaintes concernant la Chine émane d’une faction de l’élite dirigeante qui n’est pas satisfaite des progrès réalisés par le gouvernement Trudeau dans l’acquisition de nouveaux systèmes d’armes et dans l’adhésion à des alliances stratégiques, militaires et commerciales internationales visant à contrer Pékin dans la région indo-pacifique. Un récent article de la Presse canadienne contenait de nombreux commentaires de personnalités militaires et d’experts en politique étrangère déplorant l’absence d’un plan d’acquisition d’une nouvelle flotte de sous-marins. Le gouvernement Trudeau a également été attaqué pour ne pas avoir impliqué le Canada dans le pacte AUKUS conclu entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis pour cibler la Chine en septembre 2021. Comme l’a déclaré en janvier le vice-amiral Bob Auchterlonie, commandant du Commandement des opérations interarmées du Canada, «le problème se pose lorsque l’on commence à parler de technologies avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle, de l’apprentissage automatique, de la quantique, de toutes ces choses qui sont vraiment importantes pour l’avenir. Ce sont des conversations auxquelles nous devons participer. Et la question est la suivante: pourquoi n’y participons-nous pas? S’agit-il d’une résistance à s’impliquer? S’agit-il de restrictions politiques? Ou bien n’allons-nous tout simplement pas investir? Telle est la question. C’est donc une préoccupation importante».

Après Trump, l’administration Biden ne cesse d’intensifier les tensions avec la Chine. Elle a triplé la présence des troupes américaines à Taïwan depuis le début de l’année et a renversé la politique d’une seule Chine, en vigueur depuis des décennies, en s’engageant à défendre un Taïwan «démocratique». Le gouvernement américain se fait également l’avocat de la théorie du complot incendiaire et totalement discréditée de la «fuite de laboratoire» sur les origines du COVID-19, qui accuse l’Institut de virologie de Wuhan d’avoir déclenché la pandémie mondiale qui a tué plus de 20 millions de personnes.

En tandem avec Washington, le gouvernement Trudeau a adopté une position de plus en plus agressive à l’égard de la Chine au cours des derniers mois. Il a interdit les investissements chinois dans des secteurs économiques stratégiques clés, exclu Huawei du réseau 5G du Canada et publié une stratégie indo-pacifique dont il se targue d’avoir élaborée en étroite consultation avec la Maison-Blanche.

Les politiques imprudentes de Washington dans la guerre avec la Russie et sa précipitation vers une conflagration militaire avec la Chine découlent de la crise capitaliste mondiale, dont le déclin historique de l’impérialisme américain est une expression majeure. Trois décennies de guerres ininterrompues menées par les États-Unis au Moyen-Orient et en Asie centrale, la plupart soutenues de manière indéfectible par le Canada, n’ont pas réussi à enrayer le déclin relatif de l’hégémonie économique et géopolitique de l’impérialisme américain. Dans des conditions où une crise sociale qui s’aggrave rapidement à travers le continent et au niveau international pousse des millions de travailleurs dans des luttes de masse, les impérialismes américain et canadien cherchent à rediriger ces tensions sociales vers l’extérieur en intensifiant le militarisme et la guerre à travers le monde.

Cette explosion du militarisme va de pair avec la promotion du protectionnisme économique par le biais de l’accord États-Unis-Mexique-Canada (USMCA). Négocié en remplacement de l’ALENA sous l’administration Trump, l’USMCA a récemment été décrit par le dirigeant de l’Association canadienne des fabricants de pièces d’automobile, Flavio Volpe, comme fournissant la base pour combiner «le capital américain, les minéraux canadiens et le capital humain mexicain», c’est-à-dire la main-d’œuvre bon marché. Biden et Trudeau devraient discuter de plusieurs points litigieux dans le cadre de l’USMCA, notamment les politiques du «Buy American» de l’administration Biden pour les projets gouvernementaux et les subventions canadiennes aux producteurs laitiers. La classe dirigeante canadienne s’efforce également de contrer la stratégie «America First» de Biden, qui consiste à accorder des subventions massives au développement de l’industrie américaine des puces électroniques et d’autres secteurs de haute technologie.

La politique d’immigration constitue le dernier point de discorde. Une soi-disant faille dans l’accord réactionnaire sur les «tiers pays sûrs» conclu entre le Canada et les États-Unis permet aux personnes fuyant la guerre et la misère sociale qui entrent au Canada en dehors des points de passage officiels de rester sur place et de demander l’asile. Le chemin Roxham, au Québec, est de loin l’endroit le plus visible où cela se produit. Le gouvernement provincial ultraconservateur de la Coalition Avenir Québec et d’autres nationalistes québécois de droite ont profité du passage dans la province canadienne de dizaines de milliers de migrants pauvres et persécutés pour attiser la xénophobie anti-immigrés et dénoncer le gouvernement Trudeau. Le chef conservateur Poilievre a récemment tenté de les surpasser, accusant Trudeau de ne pas défendre les frontières du Canada et promettant qu’un gouvernement conservateur résoudrait la question en 30 jours, ce qui exigerait d’Ottawa qu’il bafoue effrontément le droit canadien et international.

Le gouvernement Trudeau a entamé des négociations avec Washington pour faire «légalement» la même chose, c’est-à-dire combler la faille et interdire à tous les migrants entrant au Canada par voie terrestre de demander l’asile. Toutefois, il est très peu probable que l’administration Biden fasse cette «faveur» à Ottawa sans que Trudeau fasse des concessions sur d’autres points, par exemple en acceptant de déployer des forces militaires canadiennes en Haïti.

(Article paru en anglais le 23 mars 2023)

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