Perspectives

L’élection de Shawn Fain n’apaisera pas la colère croissante de la base au sein de l’UAW

Shawn Fain, au centre, entouré d’autres membres du Conseil de direction international de l’UAW, le 26 mars 2023 [Photo: UAW]

Le représentant du syndicat UAW International, Shawn Fain, a prêté serment en tant que nouveau président de l’UAW dimanche, à la veille de l’ouverture de la convention spéciale de négociation du syndicat à Detroit lundi.

Le contrôleur de l’UAW nommé par le tribunal a déclaré Fain vainqueur avec seulement 483 voix de plus que le président sortant de l’UAW, Ray Curry. Après son élection, Fain a déclaré: «Cela fait l’honneur d’une vie d’être élu à la tête de notre syndicat. Et je n’oublierai jamais que la première fois que les membres de l’UAW ont eu le droit de voter, nous avons choisi le changement».

L’élection de Fain ne résoudra cependant pas la crise profonde qui sévit au sein de l’appareil de l’UAW qui est caractérisée par d’âpres conflits internes sur les positions et, surtout, par une rébellion croissante de la base contre l’appareil bureaucratique dans son ensemble.

L’élection elle-même a tourné la démocratie en dérision. Forcée d’organiser des élections directes en raison de l’énorme scandale de corruption qui l’a engloutie, la bureaucratie de l’UAW a réagi en gardant délibérément le vote secret, tel que le montre de manière exhaustive une contestation déposée par le candidat à la présidence Will Lehman en décembre.

La campagne de l’appareil bureaucratique de l’UAW pour empêcher les travailleurs de savoir qu’une élection se déroulait était surtout motivée par le fait qu’au premier tour, Lehman, un ouvrier de l’automobile de la base, a obtenu une forte audience pour sa campagne qui visait à abolir la bureaucratie et à transférer le pouvoir à la base.

La farce électorale, qui s’est soldée par un taux de participation de seulement 9 pour cent, a été défendue par l’ensemble de l’appareil bureaucratique, ainsi que par le gouvernement Biden et le contrôleur nommé par le tribunal, qui n’a répondu à la contestation de Lehman que la semaine dernière, trois mois après qu’elle a été soumise.

Après avoir réussi à éliminer les candidats de l’opposition au premier tour, dont le taux de participation n’était que de 9 pour cent, l’UAW s’est efforcée de faire connaître l’élection au second tour. Cependant, le taux de participation n’a été que marginalement plus élevé, à 12 pour cent. Ce résultat exprime avant tout l’hostilité généralisée des travailleurs à l’égard de l’ensemble de l’appareil de l’UAW.

En fin de compte, Fain s’est fait élire avec les voix de seulement six pour cent des 1,1 million de membres actifs et retraités de l’UAW qui avaient le droit de voter. Si l’on soustrait les milliers de bureaucrates syndicaux et leurs acolytes, le pourcentage réel de travailleurs de la base qui ont voté pour Fain est plus proche de trois pour cent. À partir de maintenant, Fain sera connu sous le nom de «président des trois pour cent».

La proclamation du vainqueur de l’élection de l’UAW a été retardée de plusieurs semaines, les cliques Curry et Fain de l’appareil de l’UAW contestant l’éligibilité des électeurs dans une lutte acharnée pour la répartition des postes et des 1,1 milliard de dollars d’actifs du syndicat.

Mais Curry a finalement cédé sous la pression des constructeurs automobiles, des médias et de l’establishment politique. La classe dirigeante était impatiente de conclure les élections et de mettre en place rapidement une direction sur laquelle elle pouvait compter pour mener à bien les réductions massives nécessaires pour faire face à la crise du capitalisme américain et à la militarisation du travail requise pour mener la guerre contre la Russie et la Chine.

Les sociétés ont déjà donné leurs ordres à Fain. Stellantis, qui vient de fermer pour une durée indéterminée une usine à Belvidere, dans l’Illinois, et qui a menacé de fermer d’autres usines, a félicité Fain pour sa victoire «lors d’une élection historique» et a déclaré qu’elle se réjouissait de travailler «sur des questions qui contribueront à notre succès mutuel tout en garantissant la position de Stellantis sur ce marché hautement concurrentiel». General Motors, qui s’est lancé dans une campagne de réduction des coûts de 2 milliards de dollars, a déclaré qu’il «s’engageait à construire une relation de travail basée sur la confiance et le respect mutuel, dans l'intérêt de ses employés et de ses partenaires».

Fain s’est présenté avec un programme intitulé «Pas de concessions, pas de paliers salariaux, pas de corruption». Mais un document divulgué par son équipe de transition met en garde contre les «attentes déraisonnables» de la base et indique clairement que les 150.000 travailleurs de GM, Ford et Stellantis qui font face à une bataille contractuelle cet été n’obtiendront rien de la part du nouveau chef de l’UAW. «Cela ne se fera pas en six mois. Cela prendra des années», indique le document stratégique. «Nous ne pouvons pas fixer des attentes déraisonnables en matière de négociation ou d’organisation sur la base de l’enthousiasme pour l’élection et pour la réforme».

Art Wheaton, un expert en droit du travail à l’université de Cornell, a déclaré à Automotive News: «Le réveil sera quelque peu brutal pour ceux qui l’ont élu, car il sera très probablement incapable de tenir toutes ses promesses».

La classe dirigeante s’appuie depuis longtemps sur la bureaucratie de l’UAW, qu’elle soutient financièrement, pour étouffer la résistance au renversement historique de la position sociale de la classe ouvrière aux États-Unis. Face à la mondialisation de la production capitaliste, l’UAW et tous les syndicats nationaux procapitalistes du monde entier ont abandonné toute résistance à l’assaut contre les emplois, les salaires et les conditions de travail des travailleurs.

Le programme de l’appareil de l’UAW, que ce soit sous Curry ou maintenant Fain, est le corporatisme, c’est-à-dire, la collaboration effrénée avec le patronat, les démocrates et les républicains pour accroître la compétitivité et les profits du capitalisme américain. Grâce à divers projets corporatistes mis en œuvre à partir de la fin des années 70 et des années 80, la bureaucratie de l’UAW s’est complètement «découplée» des travailleurs qu’elle prétendait représenter et ses actifs ont atteint 1,1 milliard de dollars, alors même que le nombre de membres de l’UAW chutait de plus de deux tiers et que les travailleurs subissaient des décennies d’érosion de leurs salaires et de leurs conditions de travail.

L’intégration de l’appareil syndical à l’État est un objectif central du gouvernement Biden, qui cherche à réprimer la lutte des classes et à subordonner la classe ouvrière à l’escalade de la guerre contre la Russie et aux plans de guerre contre la Chine.

Fain n’est pas l’expression d’une révolte de la base contre l’appareil bureaucratique. Il représente plutôt la réaction défensive de la bureaucratie et de la classe dirigeante face à un mouvement grandissant de la base.

Fain s’est hissé au sommet de l’appareil de l’UAW en acceptant concession sur concession. En 2009, lorsque le gouvernement Obama a exigé la réduction de moitié des salaires pour toutes les nouvelles embauches dans le cadre de la restructuration de GM et Chrysler, Fain a déclaré au Kokomo Tribune: «Il a été difficile d’avaler les réductions, mais nous devons préserver les emplois et l’avenir. Nous ne sommes pas contents, mais on doit faire ce qui est nécessaire».

Fain a également les liens les plus étroits avec le Parti démocrate et l’État capitaliste. Son équipe comprend des syndicalistes et des membres du personnel du Parti démocrate très bien payés qui sont membres ou proche des Socialistes démocrates d’Amérique» (DSA), une fraction du Parti démocrate. Selon le document de transition qui a fait l’objet d’une fuite, Fain prévoit d’utiliser les services du sénateur démocrate Bernie Sanders, du président du syndicat des Teamsters, Sean O’Brien, et de la présidente de l’Association des hôtesses de l’air et dirigeante des DSA, Sara Nelson, pour lui fournir une couverture «de gauche» lorsqu’il combattra les «attentes déraisonnables» des travailleurs de l’automobile en septembre prochain.

Mais l’adoption de cette rhétorique bidon sur le «nouvel UAW» ne fera pas reculer les travailleurs de l’automobile qui sont déterminés à obtenir des augmentations de salaire pour contrer l’inflation, le rétablissement de la protection contre le coût de la vie, l’élimination des échelons salariaux, le passage de tous les intérimaires à des postes à temps plein, des pensions et des prestations médicales complètes pour les travailleurs actifs et retraités, et la fin des fermetures d’usines, des congédiements et des licenciements injustes.

Bien plus importante que l’élévation de Fain à la présidence de l’UAW a été la réunion, dimanche après-midi, de dizaines de travailleurs de l’automobile de Detroit, de l’Ohio, de l’Illinois et d’autres États employés chez les principaux constructeurs (Ford, General Motors, Stellantis), de Dana, de Caterpillar et d’autres entreprises, en vue d’établir un réseau de comités de base des travailleurs de l’automobile, dans le cadre de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC).

À l’issue de la réunion, les travailleurs ont adopté une résolution qui stipule, en partie, ce qui suit:

Les 5.000 voix obtenues par Will Lehman au premier tour des élections de l’UAW, en dépit du musellement systématique des votes, expriment le soutien large et croissant de la base à ce combat. La véritable lutte pour la démocratie au sein du syndicat est à venir. Le remaniement des postes de bureaucrates à la Maison de la Solidarité ne change rien. La collaboration de l’UAW avec le gouvernement et les entreprises et la trahison des intérêts des travailleurs et la répression de leurs droits démocratiques ne changeront pas avec le remplacement de Curry par Fain. Ce qu’on doit faire, c’est transférer le pouvoir à la base et se débarrasser de l’ensemble de l’appareil de l’UAW.

L’organisation de la rébellion de la base contre l’appareil corporatiste de l’UAW passera par la construction de nouveaux centres de décision dans les usines et par l’unification et la coordination mondiales des luttes de la classe ouvrière à travers la construction de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base.

(Article paru en anglais le 27 mars 2023)

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