La crainte d’une rébellion de la base plane sur le dernier jour de la convention de l’UAW

Les directeurs régionaux de l'UAW, de gauche à droite, Mike Miller, Daniel Vincente et Brandon Mancilla [Photo: UAW]

La Convention spéciale de négociation  2023 du syndicat de l’automobile UAW (United Auto Workers) s’est tenue à Detroit mercredi et s’est achevée sur des appels à l’«unité» et à la «solidarité» lancés par les cliques rivales de l’appareil syndical. Après la lutte acharnée pour le contrôle des postes et des actifs, le président nouvellement élu, Shawn Fain, et plusieurs de ses ex-adversaires ont déclaré qu’il fallait resserrer les rangs. S’ils ont laissé entendre qu’il fallait un front uni pour lutter contre les constructeurs automobiles, l’ennemi commun qu’ils craignent tous est une base de plus en plus militante et sûre d’elle-même.

De nouvelles informations continuent d’apparaître montrant le caractère anti-démocratique de l’élection syndicale nationale ayant porté Fain et l’actuelle direction de l’UAW aux commandes. Mercredi également, Will Lehman, travailleur de Mack Trucks et candidat à la présidence de l’UAW à l’ élection syndicale de 2022, a déposé une plainte auprès du ministère du Travail exigeant la tenue d’un nouveau scrutin. Sa plainte explique que la direction de l’UAW n’a pas informé des centaines de milliers de membres de l’UAW de la tenue d’une élection. Il est significatif que la plainte apporte également la preuve des liens étroits entre les sociétés automobiles et les cabinets d’avocats dont fait partie le contrôleur de l’UAW, chargé de superviser l’élection.

Le dernier jour, la convention de négociation a entendu les remarques de Chuck Browning, vice-président de l'UAW, qui s'est présenté sur la liste de l'adversaire de Fain, l'ex-président de l'UAW Ray Curry.

Chuck Browning [Photo: UAW]

Browning a commencé par insister sur le fait que Fain était « son président», pour dire ensuite: «Ces remarques sont pour nos ennemis, qui ne sont pas dans cette salle; aux riches et aux puissants: ils veulent attaquer le monde du travail; aux employeurs: ils veulent faire des profits à nos dépens et en exploitant les travailleurs; que le monde entende que nous sommes unis face à nos ennemis et dans nos négociations. Nous nous serrons les coudes et nous nous attaquons au patron».

Browning, le chef des départements Outils agricoles et Ford au syndicat, a ensuite donné un compte-rendu mensonger de la grève chez John Deere en 2021, affirmant que l’UAW avait « mené les négociations de la manière la plus démocratique possible».

En réalité, l’appareil de l’UAW est revenu chez Deere avec des accords pro-entreprise en série, piétinant à maintes reprises les droits démocratiques des travailleurs. Mercredi, Browning n’a pas pu expliquer comment lui et la bureaucratie avaient «négocié» un premier accord de principe en octobre 2021, qui était si massivement haï des travailleurs qu’il fut rejeté à 90  pour cent des voix. Browning, Ray Curry, alors président, et d’autres hauts responsables de l’UAW avaient défendu l’accord, Browning lui-même affirmant qu’il contenait «des gains et des protections substantiels obtenus de haute lutte».

Estimant qu'elle n'avait pas d'autre choix que d'appeler à la grève vu le degré d'opposition chez les travailleurs, la bureaucratie de l'UAW a commencé à affamer les travailleurs durant les six semaines de la grève, ne leur versant que 275 dollars par semaine sur le fonds de grève de l'UAW. Pendant ce temps, Browning a continué lui, à percevoir l'intégralité de son salaire annuel, 207.000 dollars.

Tout au long de la grève, le Comité de la base des travailleurs de Deere a été la seule force organisée parmi les travailleurs pour défendre les droits de la base contre l’appareil. Dans des déclarations lues par des milliers de travailleurs, le comité a demandé que ceux-ci contrôlent les négociations contractuelles, que leur soit versé l’intégralité de leur salaire à partir du gigantesque fonds de grève du syndicat et que la grève soit étendue à d’autres sections de travailleurs, aux États-Unis et dans le monde.

L’appareil de l’UAW a continué à proposer des accords qui étaient loin de répondre aux revendication des travailleurs pour une augmentation massive des salaires; une couverture santé pour les retraités; et le retrait des concessions antérieures. Un deuxième accord soutenu par l’UAW, peu différent du premier, fut de nouveau rejeté par les travailleurs quelques semaines plus tard.

Déterminé à empêcher la grève de Deere de s’étendre, l’UAW a lancé une campagne tous azimuts pour faire passer la «dernière, la meilleure et l’ultime» offre de la société. Cette offre, de l’aveu même de Solidarity House [le siège de l’UAW], ne contenait que de «modestes modifications» par rapport au contrat que les travailleurs venaient de rejeter par le vote. Les représentants de l’UAW ont intimidé et menacé les travailleurs, affirmant que Deere embaucherait des remplaçants et imposerait unilatéralement ses conditions si le contrat était à nouveau rejeté. L’exemple le plus flagrant des efforts déployés pour contraindre les travailleurs à voter «oui», fut quand le président des élections de la Section locale  281 de l’UAW à Davenport (Iowa) a menacé sur Facebook qu’il utiliserait sa position d’inspecteur dans l’usine pour rendre la vie difficile à ceux qui s’opposaient au contrat.

Phil Gonterman, président des élections de la Section locale 281 de l'UAW, menace les travailleurs de Deere de représailles pour s'être opposés au contrat pendant la grève de 2021

«Disons simplement qu’ils ne nous ont pas appuyés», a déclaré au World Socialist Web Site un travailleur vétéran de Deere au Centre de distribution de pièces détachées de Milan, après avoir assisté au discours de Browning. «Ils voulaient que nous approuvions le premier contrat. Il est assis là-haut et il s’énerve, pour quoi? C’est un menteur».

Un retraité de Deere à Ottumwa (Iowa) a ajouté: «Il voulait dire “autocratique” ?» en se moquant des affirmations de Browning sur le processus de négociation «démocratique». «Sa direction était pleine de désinformation et de mensonges destinés à réduire les revendications des travailleurs».

Dans un moment où il se contrôlait moins, Browning a laissé échapper ce que lui et le reste de la bureaucratie de l’UAW pensaient de la rébellion des travailleurs de Deere. «Quand ces membres ont descendu le premier accord, il y avait un choix: on pouvait revenir avec le même accord ou dire qu’on avait fait de notre mieux. Mais on a décidé collectivement qu’on allait affronter ce serpent et voir où il nous mènerait».

Le choix des mots de Browning est révélateur. Aux yeux de la bureaucratie de l’UAW, la base est en effet un énorme monstre dont la lutte pour des salaires et des conditions de travail décents menace de faire s’écrouler tout l’édifice corrompu de l’appareil de l’UAW.

Des travailleurs en grève devant une usine John Deere, mercredi 20 octobre 2021, à Ankeny, dans l'Iowa.

Fain a accueilli le «frère Browning» sur le podium et n’a jamais dit un mot sur sa trahison des travailleurs de Deere ni sur sa trahison subséquente de la grève de huit mois chez [le constructeur de machines agricoles et de chantier] CNH et du contrat de concessions qu’on vient d’imposer aux travailleurs de Caterpillar. Au contraire, Browning va maintenant mener les «négociations» avec Ford dans le cadre du «nouvel UAW» de Fain.

Durant les deux premiers jours de la convention, toutes les résolutions proposées par Unite All Workers for Democracy (UAWD), la faction soutenue par les DSA (Socialistes Démocrates d’Amérique) qui a soutenu la liste Members United de Fain, ont été rejetées ou bloquées avant un vote. C’étaient entre autres des propositions pour soutenir les COLA (ajustements du coût de la vie) et pour rejeter les efforts de la direction visant à instaurer des paliers de salaires et d’avantages inférieurs et distincts pour les travailleurs des usines de véhicules électriques et de batteries des ‘Trois Grands’ (Ford, General Motors, Stellantis) ou d’entreprises associées.

Mais pour faire plaisir à l'UAWD, les délégués ont approuvé mercredi une résolution demandant à l'UAW d'inclure dans ses contrats des dispositions permettant à ses membres de respecter les piquets de grève et de ne pas être obligés d'entrer dans les bâtiments pour travailler quand d'autres travailleurs de ces bâtiments sont en grève ou en lock-out.

Toutefois, selon l’UAWD, «sur les conseils du conseiller juridique, un amendement a été apporté à la résolution afin de supprimer la formulation suivante de l’amendement: ‘‘et ne pas être obligés de manipuler des pièces provenant d’installations engagées dans une grève ou un lock-out’’».

Les échecs répétés de ses résolutions n’ont pas empêché l’UAWD de publier mercredi un tract de remerciement aux bureaucrates réunis pour le «débat animé et le renouveau de la participation démocratique au sein du syndicat». Et de poursuivre: «Maintenant, nous retournons chez nous pour mener le vrai combat: affronter nos employeurs, et en particulier les Trois Grands, cet automne, à travers une campagne contractuelle vigoureuse».

L’élection de Fain a porté des membres des DSA et d’autres organisations de la pseudo-gauche à des postes de direction dans la bureaucratie de l’UAW.

L’équipe de transition de Fain est dirigée par Chris Brooks, rédacteur de longue date pour Labor Notes etactuellement directeur de la communication du syndicat NewsGuild à New York (affilié au syndicat de la communication CWA). Selon un document fuité de l’équipe de transition, Fain devra faire face aux «attentes déraisonnables» des 150.000  travailleurs de GM, Ford et Stellantis dont les contrats expirent cet été. Pour détourner l’opposition vers des voies sûres, le camp de Fain se prépare à mener une «campagne contractuelle» avec des rassemblements avec Bernie Sanders, le président des Teamsters Sean O’Brien et la dirigeante des DSA et présidente de l’Association des hôtesses de l’air, Sara Nelson, pour lui fournir une couverture «de gauche» pendant qu’il prépare une nouvelle capitulation.

La bureaucratie de l’UAW a ses plans, mais les travailleurs de la base ont les leurs. À la veille de la convention, l’Alliance internationale ouvrière des comités de base (initiales anglaises IWA-RFC) a tenu une réunion à laquelle ont participé – à Détroit et en ligne – des délégués des comités de base de l’industrie automobile et de l’équipement lourd, des enseignants et d’autres sections de la classe ouvrière. Les travailleurs des comités de GM, Stellantis, des fabricants de pièces Dana et Forvia (ex-Faurecia), de Mack Trucks et Caterpillar ont décidé de s’affilier à l’IWA-RFC et d’établir un comité de pilotage pour guider le développement d’un réseau de comités de base des travailleurs de l’automobile en prévision des batailles majeures auxquelles seront confrontés les travailleurs cette année.

(Article paru d’abord en anglais le 30 mars 2023)

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