Le secrétaire d’État à la marine américaine: le pacte AUKUS sur les sous-marins vise à «vaincre» la Chine

Lors d'une réunion peu médiatisée la semaine dernière, de hauts responsables du gouvernement Biden ont déclaré que l'accord AUKUS permettant à l'Australie d'acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire visait à « vaincre » la Chine, qu'ils ont décrite comme la «menace de notre vie».

Le Premier ministre Anthony Albanese et le président américain Joe Biden à la base navale de Point Loma, le 13  mars 2023, à San Diego. [AP Photo/Evan Vucci]

Ces remarques belliqueuses ont été prononcées lundi dernier lors d’une réception à Washington, à laquelle assistait une délégation australienne composée de membres du gouvernement et de l’opposition, ainsi que de représentants de fabricants d’armes.

Les Australiens, la députée travailliste Meryl Swanson et le sénateur libéral James Paterson étaient à Washington pour discuter de la mise en œuvre de l’accord sur les sous-marins de 368  milliards de dollars annoncé le mois dernier. En vertu de cet accord, l’Australie fera l’acquisition d’une flotte américaine de sous-marins à propulsion nucléaire au cours de la prochaine décennie, avant d’entamer la construction conjointe d’un nouveau modèle de sous-marin en coopération avec la Grande-Bretagne.

Le voyage de Swanson et Paterson a été extraordinairement discret et n'a fait l'objet d'aucune couverture médiatique ni d'aucune information de la part du gouvernement. Cela s'explique sans doute par le fait que le pacte AUKUS a suscité une forte opposition en Australie. En outre, le contenu des discussions a mis à mal l’affirmation que l'acquisition des sous-marins par l'Australie serait en quelque sorte une mesure défensive, destinée à «dissuader», comme l'a affirmé le gouvernement travailliste.

Au contraire, les hauts responsables américains ont présenté AUKUS, le pacte militariste des États-Unis avec la Grande-Bretagne et l’Australie, et les sous-marins eux-mêmes, comme un instrument agressif de la politique étrangère américaine.

Prenant la parole lors du dîner, le secrétaire américain à la Marine, Carlos del  Toro, a déclaré: «Étant né à Cuba, je comprends personnellement ce qu’est le communisme, et c’est bien la menace de la Chine et sa destruction de l’ordre mondial que nous nous sommes engagés, en tant que trois nations, à vaincre par tous les moyens possibles».

La diatribe anticommuniste hystérique de Del Toro, à propos d’un régime chinois qui a restauré le capitalisme il y a des décennies, est sans aucun doute liée à son passé dans la communauté fasciste des émigrés cubains aux États-Unis.

Le secrétaire d’État à la marine Carlos Del Toro s’exprime lors d’une réunion à Washington, en février 2023. [AP Photo/Andrew Harnik]

Cependant, le même point essentiel a été fait également par le député républicain Rob Wittman, vice-président de la Commission des forces armées de la Chambre des députés. «Ne vous y trompez pas, la menace de notre époque est le Parti communiste chinois. Il n’y a pas à dire. Il mettra à l’épreuve tous les aspects de qui nous sommes en tant que nations» a-t-il déclaré.

Parler de la «défaite» de la Chine et se référer à Pékin comme à la «menace de notre vie», lors d'une réunion à laquelle assistent principalement des marchands d'armes, ne peut avoir qu'une seule signification. Del Toro et Wittman ont clairement déclaré qu'AUKUS et l'accord sur les sous-marins constituaient une préparation à la guerre avec la Chine.

C’est ce qu’a plus ou moins reconnu le seul article de la presse d’entreprise sur la réunion, paru dans l’Australian.

Celui-ci admettait que les remarques étaient une «confirmation apparente des accusations chinoises et russes que l’alliance militaire tri-nationale, qui s’est engagée à équiper l’Australie d’au moins huit sous-marins à propulsion nucléaire d’ici les années  2040, visait Pékin et Moscou». The Australian a noté que les commentaires étaient bien plus explicites que ceux du Premier ministre australien Anthony Albanese, de son homologue britannique Rishi Sunak ou de Biden, quand ils ont annoncé l’accord sur les sous-marins.

Les déclarations étaient parfaitement conformes aux doctrines du gouvernement américain et du Pentagone. En 2018, un document stratégique du Pentagone déclarait: «La concurrence entre grandes puissances – et non le terrorisme – est désormais l’objectif principal de la sécurité nationale des États-Unis». Il identifiait explicitement la Chine et la Russie comme des menaces pour la domination mondiale des États-Unis.

La stratégie de sécurité nationale  2022 du gouvernement Biden affirmait: «Nous rivaliserons efficacement avec la République populaire de Chine, qui est le seul concurrent ayant à la fois l’intention et, de plus en plus, la capacité de remodeler l’ordre international».

D’autres documents du gouvernement américain reconnaissent que la Chine ne constitue pas une menace pour les activités globales de l’armée américaine. L’année dernière, par exemple, le rapport annuel du ministère de la Défense indiquait que la seule ambition militaire de la Chine était de «limiter la présence des États-Unis sur la périphérie de la Chine».

En réalité, les références à l’«ordre international» expriment la crainte que la croissance économique de la Chine, qui se produit dans un contexte de déclin prolongé de l’impérialisme américain, ne menace la prédominance du capitalisme américain.

Les commentaires de Del Toro et de Wittman soulignent le caractère mensonger des diverses justifications du Parti travailliste australien pour l’accord sur les sous-marins.

Lors de l’annonce initiale, Albanese et son ministre de la Défense, Richard Marles, ont vaguement déclaré que les sous-marins serviraient à défendre les approches nord de l’Australie. Cela signifiait clairement que l’Australie était confrontée à la perspective d’une invasion lancée depuis l’Asie.

S’exprimant au Club national de la presse le mois dernier, l’ex-Premier ministre Paul Keating a démoli ces insinuations. Il a fait remarquer que les Chinois devraient lancer une armada qui devrait parcourir quelque 6.000  kilomètres avant d’arriver dans les parties nord et ouest du vaste continent, en grande partie stériles et inhabitées. De plus, la Chine n’avait aucune motivation concevable pour mener une telle opération.

Les avertissements étaient une reprise à peine voilée des revendications racistes d’un «péril jaune» venant du nord, associé à la politique de l’«Australie blanche» sur laquelle le pays a été fondé. Leur but était d’occulter le fait que les sous-marins nucléaires à long rayon d’action seraient chargés de mener des opérations offensives au large des côtes chinoises dans le cadre d’une guerre menée par les États-Unis.

Suite à l’intervention de Keating, le gouvernement australien a changé son fusil d’épaule. Deux jours après ses remarques, Marles a déclaré que l’accord sur les sous-marins ne constituait pas un engagement que l’Australie se joindrait automatiquement à une guerre menée par les États-Unis contre la Chine. Il s’agissait plutôt de protéger les routes commerciales australiennes qui traversent l’Inde-Pacifique.

Cette ligne était encore plus fantaisiste que les suggestions d’une invasion chinoise. Comme l’ont fait remarquer de nombreux commentateurs, la majeure partie du commerce australien dans la région se fait avec la Chine. Marles déclarait essentiellement que les sous-marins à propulsion nucléaire étaient nécessaires pour protéger le commerce chinois… contre la Chine.

L’un des aspects de la tournée australienne semblait avoir pour but de garantir au gouvernement Biden que les positions de Keating et l’opposition plus générale à AUKUS seraient combattues. L’article paru dans les publications de Nine Media peu après l’arrivée du sénateur Paterson et du député Swanson à Washington était intitulé: «L’attaque cinglante de Keating contre AUKUS laisse l’Australie dans une situation de contrôle des dommages aux États-Unis».

Paterson a déclaré qu’il avait «déjà été interrogé à ce sujet par des personnes ici présentes, qui souhaitent vraiment savoir au nom de qui il [Keating] parle, s’il bénéficie d’un soutien et si cela représente un danger pour AUKUS».

Paterson a ajouté: «Keating n’est pas un ancien Premier ministre comme les autres – il a une stature extraordinaire et un profil respecté dans le monde entier. Par conséquent, si ce genre d’histoires ronge le soutien du public et n’est pas réfuté, c’est très dangereux».Le sénateur de droite, qui entretient les liens les plus étroits avec l’appareil militaire et de renseignement, a félicité le gouvernement travailliste d’avoir immédiatement dénoncé Keating. «Nous ne voudrions pas que nos partenaires pensent à tort qu’il parle au nom de tous les travaillistes», a déclaré Paterson.

Keating, figure de la droite, n’est nullement opposé à la guerre ou à l’impérialisme américain. Il représente une aile minoritaire de l’élite dirigeante, qui craint les conséquences d’une guerre totale avec le principal partenaire commercial de l’Australie.

Cette couche est de plus en plus isolée, les sections dominantes de l’establishment ayant clairement indiqué qu’elles continueraient à poursuivre les intérêts de l’impérialisme australien en accord avec le gouvernement Biden, même si cela signifiait une guerre avec la Chine.

Un élément clé de l’alignement australien sur cette volonté de guerre a été une campagne hystérique contre une prétendue «ingérence étrangère» de la Chine en Australie. Cet effort maccarthyste, qui dure depuis au moins six ans sans trouver la moindre preuve d’«ingérence», comprend l’adoption bipartite en 2018 d’une législation draconienne qui pourrait rendre illégale une grande partie de l’opposition à la guerre.

Cependant, dans les pages de la presse bourgeoise, on note sans commentaire critique que les hauts fonctionnaires américains font de l’agitation contre les opinions de l’ex-Premier ministre Keating, y compris dans des réunions secrètes en coulisses avec des porte-parole du gouvernement australien et de l’opposition. L’évidence – à savoir que cela constitue clairement une «ingérence étrangère» – est tout simplement ignorée.

L’opposition générale des travailleurs et des jeunes a une bien plus grande importance que les critiques tactiques d’AUKUS de la part de personnalités comme Keating. L’annonce de l’AUKUS a provoqué un choc et une colère généralisés après que les gens ordinaires ont été tenus dans l’ignorance du rôle croissant de l’Australie dans les plans de guerre américains visant la Chine durant la dernière décennie. Les 368  milliards de dollars dépensés pour ces sous-marins exigeront inévitablement des coupes massives dans les dépenses sociales, ce qui intensifiera la montée de la lutte des classes, de plus en plus dirigée contre la guerre.

(Article paru d’abord en anglais le 10 avril 2023)

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