Benjamin Ferencz, le dernier procureur des procès pour crimes de guerre de Nuremberg, est mort à 103 ans

Benjamin Ferencz, le dernier procureur vivant des procès de Nuremberg qui ont condamné les nazis pour crimes de guerre après la Seconde Guerre mondiale, est décédé le 7 avril à l'âge de 103 ans.

Ferencz habitait dans une résidence-services à Boynton Beach, en Floride, et sa mort fut confirmée par son fils, Donald Ferencz. Ce dernier a décrit son père comme quelqu'un qui avait consacré sa vie à « essayer de faire un monde plus humain dans l'État de droit ».

Né en 1920 en Transylvanie, dans le centre de la Roumanie, Ferencz a émigré enfant avec sa famille aux États-Unis et a grandi dans le quartier de Hell's Kitchen, dans l'ouest de Manhattan. Après avoir obtenu son diplôme au City College en 1940 et à la Harvard Law School en 1943, Ferencz a servi dans l'armée américaine en tant qu'enquêteur sur les crimes de guerre dans les camps de concentration nazis de Buchenwald, Mauthausen et Dachau.”

Ferencz décrira plus tard son expérience lors de son entrée dans le camp de la mort de Buchenwald: « J'ai vu des crématoires qui continuait à fonctionner. Les corps affamés, gisant mourants, sur le sol. J'ai vu les horreurs de la guerre plus qu'il n'est possible de le décrire correctement. »

Ferencz photographié lors du documentaire télévisé Poursuivre le mal : le monde extraordinaire de Ben Ferencz

À Mauthausen, Ferencz a trouvé des documents conservés par les nazis qui enregistraient le nombre des prisonnier et la manière dont ils étaient tués chaque jour, les rations de famine et les conditions choquantes dans les casernes infestées de poux. Il a écrit à propos des camps: « Il ne fait aucun doute que j'ai été profondément traumatisé par mes expériences en tant qu'enquêteur sur les crimes de guerre dans les centres d'extermination nazis. J'essaie toujours de ne pas parler des détails ou de ne pas y penser. »

La réalisation la plus importante et la plus historique de Ferencz a été son travail en tant que procureur en chef dans l'affaire des ‘Einsatzgruppen’ à Nuremberg, en Allemagne, du 29 septembre 1947 au 10 avril 1948. Au neuvième des douze procès qui eurent lieu à Nuremberg étaient poursuivis 24 accusés ; on y établit le principe que des individus pouvaient être tenus responsables de crimes de guerre, quelle que soit leur position officielle.

Les ‘Einsatzgruppen’ (groupes opérationnels) étaient des escadrons de la mort paramilitaires mobiles de la SS (Schutzstaffel) qui opéraient derrière les lignes de front dans l'Europe de l'Est sous occupation nazie. De 1941 à 1945, ils ont assassiné environ 2 millions de personnes, des Juifs, des Roms, des partisans, des prisonniers de guerre soviétiques, des Slaves, des homosexuels et des personnes handicapées.

L'étendue et l'échelle de la barbarie perpétrée par ces gangs d'environ 3 000 assassins, aidés par les polices locales et d'autres autorités, sont difficiles à concevoir. Les 29 et 30 septembre 1941, les Einsatzgruppen ont tué 33 771 Juifs à Babi Yar, un ravin dans la capitale ukrainienne, Kiev. Ce massacre a été désigné comme le plus grand massacre de l'Holocauste.

Les Einsatzgruppen opéraient généralement en tirant sur leurs victimes et en les enterrant dans des fosses communes. Ils ont également utilisé des camionnettes équipées de chambre à gaz pour tuer des gens à certains endroits. Le meurtre de masse perpétré par ces escadrons était un élément clé de la stratégie de la « solution finale » du régime nazi, c'est-à-dire de l'extermination systématique des Juifs européens.

Les accusés inculpés par Ferencz étaient tous des commandants d'unités des Einsatzgruppen. Ils furent inculpés de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et d'appartenance à des organisations criminelles. Dans sa déclaration d'ouverture en 1947, Ferencz déclarait: « La vengeance n'est pas notre objectif, et nous ne recherchons pas simplement une juste rétribution. L’affaire que nous présentons est un plaidoyer d'humanité au droit ». Les accusés nazis furent tous reconnus coupables de tous les chefs d'accusation sauf deux.

Le jugement à ce procès de Nuremberg déclarait: « Les accusés ne sont pas simplement accusés de planifier ou de diriger des meurtres de masse par des intermédiaires. Ils ne sont pas accusés d'être assis dans un bureau à des centaines ou des milliers de kilomètres du massacre. Il est affirmé avec singularité que ces hommes étaient sur le terrain, surveillant, contrôlant, dirigeant et participant activement à cette sanglante moisson. »

Quatorze furent condamnés à mort et les autres condamnés à des peines de prison de 10, 20 ans ou à perpétuité. Finalement, quatre furent exécutés par pendaison et beaucoup d'autres furent libérés au début des années 1950. Tous avaient été libérés en 1958 au plus tard.

Dans les décennies de l'après-guerre, Ferencz a passé une grande partie de son temps à travailler à la création d'une cour pénale internationale qui se consacrerait à la prévention des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, tenant pour responsables ceux qui les commettaient. Il a publié plusieurs livres dont Defining International Aggression: The Search for World Peace [Définir l’agression internationale: la quête de la paix dans le monde]en 1975, et a travaillé comme professeur adjoint de droit international à l'Université Pace à White Plains, New York.

Bien que la Cour pénale internationale de La Haye (Pays-Bas) ait été créée le 1er juillet 2002, elle n'a jamais été pleinement approuvée par le gouvernement américain ni par cinq autres gouvernements dont la Russie, la Chine et Israël.

Ferencz s'est publiquement opposé à la guerre américaine en Irak, commencée le 20 mars 2003. Soutenant les principes de Nuremberg avant cette guerre, il a écrit en2002 dans une lettre au New York Times que les plans de l'administration Bush pour « une frappe militaire préventive [sur l'Irak] non autorisée par le Conseil de sécurité violerait clairement la Charte des Nations Unies qui lie juridiquement toutes les nations ». 

En mars 2003, juste au moment où commençait l'invasion de l'Irak, Ferencz prononça une allocution à l'inauguration de la Cour pénale internationale, dans laquelle il déclarait que la Charte des Nations Unies était « une loi internationale contraignante pour toutes les nations. Nous devons à la mémoire des morts d'honorer cet engagement pour la paix ».

Dans une interview à la radio en décembre 2003, Ferencz a déclaré que l'invasion américaine de l'Irak « serait également qualifiée, selon les principes de Nuremberg, de violation du droit international. [ …] Si nous allons avoir ce genre de situation factuelle comme nous l'avons en Irak, je pense que le premier procès devrait être un procès absolument équitable et devrait inclure tous les principaux auteurs et planificateurs des crimes qui ont eu lieu ».

Ferencz était d'accord avec les remarques liminaires de Robert Jackson, juge en chef du tribunal de Nuremberg, et il en est resté un partisan inébranlable tout au long de sa vie. Jacson avait déclaré : « Si certains actes de violation des traités sont des crimes, ce sont des crimes, que ce soit les États-Unis ou l'Allemagne qui les commettent. Et nous ne sommes pas disposés à imposer à autrui la règle d'une conduite criminelle que nous n'aurions pas voulu invoquer contre nous. Nous ne devons jamais oublier que le bilan sur lequel nous jugeons ces accusés est le bilan sur lequel l'histoire nous jugera demain. Présenter à ces accusés un calice empoisonné, c'est aussi le porter à nos propres lèvres. »

Le fait que Ferencz croyait que les hauts responsables de l'administration Bush – dont le vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, le secrétaire d'État Colin Powell, la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice et le président George W. Bush lui-même – devaient être poursuivis pour la guerre d'agression illégale lancée contre l'Irak a été expurgé des nombreuses nécrologies de l'ancien procureur de Nuremberg, publiées depuis sa mort par les grands médias.

Comme le souligne par exemple l’Intercept, le New York Times a publié une longue nécrologie le 8 avril qui « inclut en quelque sorte la phrase, ‘Les critiques disent que la [Cour pénale internationale] s'est concentrée sur les poursuites en Afrique alors qu’on n’a même pas enquêté sur les guerres américaines’, sans mentionner que l'un des critiques les plus véhéments de cela était Ferencz ».

Il en va de même pour le Washington Post, la BBC, CNN, NPR, CBS, Bloomberg, le New York Daily News, le Guardian, AP, UPI, le New York Post et le Daily Mail. Beaucoup de ces publications ont omis les opinions de Ferencz sur l'Irak, tout en ne parlant en même temps que de ses déclarations concernant les atrocités commises dans la guerre en Ukraine.

L'oblitération de l'opposition de Ferencz à l'occupation illégale de l'Irak et au renversement du régime de Saddam Hussein n'est pas accidentel. Les journalistes et rédacteurs en chef des grands médias sont responsables de maintenir un faux récit sur les guerres menées dans le cadre de la course à l'hégémonie mondiale américaine, qui menacent aujourd'hui le monde d'anéantissement nucléaire.

Le World Socialist Web Site, lui, a un bilan impeccable quant à dire la vérité sur les crimes de l'impérialisme américain durant les trois dernières décennies. En octobre 2004, David North, président du comité de rédaction international du WSWS, prononça un discours lors du débat annuel de la Philosophical Society du Trinity College à Dublin.[en anglais]

Dans ses remarques, North dénonça la guerre en Irak: « Inévitablement, la décision criminelle d'entrer en guerre contre l'Irak a conduit à d'autres crimes, tels que la brutalisation de citoyens irakiens à la prison d'Abu Ghraib. En vertu du droit international, les auteurs de la guerre en Irak sont entièrement coupables des sévices odieux, sadiques et pervers infligés aux citoyens irakiens ».

« Il y a un autre aspect critique du droit international, découlant de Nuremberg, qui est très pertinent pour juger de la culpabilité juridique des décideurs américains responsables de la guerre lancée contre l'Irak. Un crime contre la paix est un acte criminel. Mais le crime n'est complet que s'il s'accompagne d'une conscience criminelle. Il faut établir qu'il y avait intention d'entreprendre une guerre d'agression ».

« Lorsque les poursuites judiciaires ayant trait à la guerre en Irak auront finalement lieu – et ce jour viendra – il sera possible de démontrer que la guerre en Irak a été planifiée et mise en œuvre par de hauts responsables de l'État américain dans le but de réaliser des objectifs politiques, économiques et militaires géostratégiques à long terme n’ayant aucun rapport avec les faux arguments d'autodéfense concoctés après coup pour apporter une couverture juridique, aussi fumeuse soit-elle. »

(Article paru en anglais le 25 avril 2023)

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