La grève de plus de 100.000 travailleurs du gouvernement fédéral du Canada en grave danger

La grève de plus de 100 000 travailleurs du gouvernement fédéral au Canada, qui en est presque à la moitié de sa deuxième semaine, risque fort d’être sabotée et trahie par les bureaucrates syndicaux pro-Trudeau et leurs alliés du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Les travailleurs – personnel administratif, d’entretien et d’urgence de Service Canada, de nombreux autres ministères et de Revenu Canada – ont entamé un piquet de grève le 19 avril pour réclamer des augmentations de salaire à hauteur de l’inflation, des mesures de protection de la sécurité de l’emploi et des garanties en matière de travail à distance. Plus de 45.000 des 155.000 travailleurs des cinq unités de négociation impliquées dans la grève ne peuvent participer à l’action syndicale en raison d’une législation réactionnaire sur les «services essentiels».

Des grévistes du gouvernement fédéral [Photo: PSAC/Twitter]

La détermination des travailleurs de la base à mener une lutte militante pour leurs revendications est forte. Bien que le gouvernement libéral fédéral ait appelé les travailleurs à jouer les briseurs de grève en continuant à travailler à distance, ses propres chiffres montrent que plus de 90 % des travailleurs légalement autorisés à se mettre en grève l’ont fait.

Les grévistes ont expliqué au World Socialist Web Site pourquoi ils ont besoin d’une augmentation de salaire qui suive l’inflation après trois ans sans augmentation, et pourquoi ils devraient avoir le droit de travailler à domicile après avoir prouvé pendant la pandémie qu’ils pouvaient maintenir les services à distance. Cependant, pour que ce militantisme perdure et que les travailleurs l’emportent sur un gouvernement qui a publiquement affiché sa détermination à imposer des baisses de salaire réel et qui menace de plus en plus explicitement d’adopter une loi d’urgence de retour au travail, ils doivent retirer la direction de la lutte des mains des bureaucrates de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) et du Congrès du travail du Canada, prendre les choses en main et se battre pour rallier le soutien de l’ensemble de la classe ouvrière.

Cela nécessite la création de comités de grève composés de membres de la base, indépendants de l’appareil syndical, dans le but de lancer une contre-offensive menée par les travailleurs pour lutter en faveur d’emplois sûrs et décents pour tous, défendre les droits des travailleurs et mettre un terme à la destruction des services publics.

Les principaux obstacles politiques à cette lutte sont les bureaucrates syndicaux, les politiciens sociaux-démocrates du NPD et l’alliance réactionnaire qu’ils ont formée avec les libéraux, le parti de gouvernement traditionnellement préféré du capital canadien. L’alliance entre les syndicats, le NPD et les libéraux, un mécanisme politique clé de longue date pour étouffer la lutte des classes, est maintenant utilisée pour étouffer l’opposition au programme de guerre de la classe dirigeante, aux réductions massives des salaires réels, à l’austérité et à la privatisation.

Les grévistes sont confrontés à une élite dirigeante, menée par le gouvernement Trudeau, qui s’acharne à faire payer la crise capitaliste aux travailleurs. Pour obtenir les dizaines de milliards dont ils ont besoin pour mener la guerre contre la Russie, préparer la guerre avec la Chine et renflouer les super-riches, Trudeau et ceux pour qui il parle dans l’oligarchie financière sont déterminés à imposer une austérité «post-pandémique», y compris de nouvelles coupes dans les niveaux de vie. Ainsi, le Globe and Mail, la voix traditionnelle de Bay Street et l’un des principaux avoirs de la famille Thomson, les milliardaires les plus riches du Canada, s’est emporté dans un éditorial jeudi contre les grévistes – dont la grande majorité gagne moins de 70.000 dollars par an – qui tentent «d’être encore plus confortables» et de résister à la «demande plutôt raisonnable du gouvernement [...] que les travailleurs partagent la douleur économique».

Quant aux dirigeants de l’AFPC, ils ont déjà abandonné leur revendication d’une augmentation salariale annuelle de 4,5 % pour une convention de trois ans – une augmentation dont le président de l’AFPC, Chris Aylward, a déjà admis qu’elle laisserait les salaires des travailleurs en deçà de l’inflation – et ils refusent de révéler leur «nouvelle» revendication de réduction salariale.

Les grévistes étant tenus dans l’ignorance, les négociations contractuelles apparaissent de plus en plus clairement comme une conspiration, dans laquelle les bureaucrates syndicaux collaborent avec le gouvernement et le chef du NPD, Jagmeet Singh, pour préparer une capitulation. Cela n’a rien de surprenant étant donné le rôle clé joué par les bureaucrates syndicaux dans le soutien qu’ils accordent au gouvernement libéral pro-guerre et pro-austérité.

L’agressivité de l’élite dirigeante découle du fait que la grève représente objectivement un défi à son programme d’austérité et de guerre de classe. Les revendications des travailleurs sont rejetées avec mépris comme une revendication illégitime sur des richesses qui pourraient être gaspillées pour acheter des avions de guerre et d’autres équipements militaires, pour soutenir le gouvernement d’extrême droite en Ukraine ou pour augmenter les profits de Bay Street.

Non moins important, la classe dirigeante souhaite que Trudeau impose aux grévistes un accord salarial inférieur à l’inflation, afin de fixer une référence pour des centaines de milliers de travailleurs d’autres secteurs déjà sans contrat ou confrontés à des expirations de contrats dans les mois à venir.

Trudeau et la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier, ont réaffirmé cette semaine la position intransigeante de la classe dirigeante. Mercredi, le premier ministre a brandi la menace la plus ouverte à ce jour d’une loi de retour au travail pour criminaliser la grève en déclarant: «Le syndicat est certainement très conscient de l’impatience des Canadiennes et des Canadiens et il doit calibrer cela avec soin.» Pour sa part, Fortier a ordonné avec arrogance aux négociateurs de l’AFPC d’aligner leurs revendications sur l’offre salariale dérisoire du gouvernement, soit 9 % sur trois ans. Fortier a également rejeté les revendications des travailleurs en matière de sécurité d’emploi, déclarant que l’ancienneté ne pouvait être qu’un facteur parmi d’autres pour déterminer les licenciements. Pendant ce temps, les médias bourgeois sont remplis de plaintes hystériques sur les conséquences dévastatrices supposées du travail à distance pour les «droits de gestion».

Malgré la menace d’une loi de retour au travail brandie par Trudeau, son option préférée reste d’utiliser les syndicats pour faire passer des réductions de salaire réel en dépit de l’opposition de la base. Après tout, les dirigeants de l’AFPC et du CTC sont les principaux partisans de l’alliance syndicale, néo-démocrate et libérale qui a servi, derrière un écran de fumée de rhétorique «progressiste», à faire avancer les objectifs prédateurs de l’oligarchie financière canadienne. Il s’agit notamment du réarmement militaire, du soutien à la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie et de la réponse à la pandémie «les profits avant la vie» qui a coûté la vie à plus de 50.000 Canadiens. Cette alliance anti-travailleurs a été renforcée un mois seulement après le déclenchement de la guerre lorsque, à la demande des syndicats, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a conclu un accord de «confiance et d’approvisionnement» avec Trudeau afin de garantir à son gouvernement une majorité parlementaire jusqu’en juin 2025.

Chris Aylward, président de l’AFPC [Photo: PSAC/Twitter]

L’AFPC n’offre aucune perspective aux grévistes qui font face à une classe dirigeante déterminée à faire d’eux un exemple, afin d’étouffer la croissance du militantisme ouvrier. Depuis le début des négociations officielles, il y a près de deux ans, le syndicat s’est systématiquement efforcé de faire traîner le processus et d’éviter de déclencher une grève, même si le gouvernement cherchait, de manière provocatrice, à faire condamner le syndicat pour «pratiques déloyales de travail» pour avoir soi-disant soulevé trop de revendications à la table des négociations. Ce n’est que lorsque la colère de la base a explosé en raison de l’absence d’augmentation de salaire depuis le début de la pandémie, de l’inflation galopante et de l’insistance du gouvernement sur un retour complet au travail en personne, que l’AFPC s’est sentie obligée de recourir à l’action syndicale. L’AFPC a délibérément isolé les grévistes, en n’amenant que quelques centaines de travailleurs à chaque piquet de grève et en n’appelant pas à des grèves de solidarité.

Le reste de la bureaucratie syndicale est tout aussi hostile à la grève parce qu’elle menace de saper leur alliance avec les libéraux et les néo-démocrates. Le deuxième syndicat affilié au CTC représentant les travailleurs fédéraux, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, affirme être aux côtés des grévistes, mais a accepté de soumettre son propre contrat à un arbitrage obligatoire. D’autres syndicats ont dépêché une poignée de responsables pour rejoindre brièvement les piquets de grève de l’AFPC afin de sauver la face. Cependant, ils n’ont fait aucun effort pour informer leurs membres des problèmes auxquels sont confrontés les grévistes du secteur public ou des conséquences pour tous les travailleurs si leur grève était vaincue, et encore moins pour les mobiliser dans une lutte commune contre l’austérité capitaliste et les réductions salariales.

Si l’AFPC et la bureaucratie syndicale conservent la direction de la grève, seules deux issues sont possibles, et toutes deux représenteraient une défaite pour les travailleurs. La première est que le président de l’AFPC, Aylward, et ses négociateurs conspirent avec Fortier et le gouvernement pour conclure et faire adopter un sale accord de capitulation. La seconde est que le gouvernement décide d’adopter une loi de retour au travail, à laquelle l’AFPC se soumettrait sans se battre, comme les syndicats l’ont fait au cours des 40 dernières années.

L’issue de la grève des travailleurs de l’éducation de l’Ontario en novembre dernier est l’exception qui confirme la règle. Lorsque les 55.000 travailleurs de l’éducation de l’Ontario ont forcé leur syndicat à poursuivre la grève prévue face à une loi draconienne de retour au travail, cela a rapidement donné lieu à un mouvement de grève générale à l’échelle de la province. La direction du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et d’autres grands syndicats ont réagi en concluant un accord en coulisses avec le premier ministre détesté de l’Ontario, Doug Ford, pour saborder la grève en échange de l’annulation par le gouvernement de sa loi de retour au travail. Après avoir fait appliquer le décret anti-grève de Ford par d’autres moyens, le SCFP s’est entendu avec le gouvernement Ford pour imposer un accord salarial inférieur à l’inflation aux travailleurs de l’éducation faiblement rémunérés.

La seule façon pour les travailleurs fédéraux en grève d’éviter ces deux voies vers la défaite est d’élargir leur lutte à d’autres sections de la classe ouvrière, qui sont confrontées aux mêmes problèmes d’érosion massive des salaires réels, d’attaques contre les avantages sociaux et les conditions de travail, et de suppressions d’emplois. Cela nécessite la création de comités de grève composés de membres de la base sur chaque lieu de travail, afin de confier le contrôle de la grève aux travailleurs et de leur permettre de formuler démocratiquement leurs revendications.

L’une des principales tâches de ces comités sera d’associer à la lutte des sections de travailleurs de tout le pays qui sont actuellement sans contrat de travail. Au Québec, quelque 600.000 travailleurs du secteur public, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, ont été contraints par leurs syndicats de rester au travail après l’expiration de leurs contrats à la fin du mois de mars. Environ 200.000 enseignants de l’Ontario travaillent sans contrat depuis près de huit mois. Tous ces travailleurs savent de première main comment le système réactionnaire de négociation collective est utilisé pour étouffer leurs luttes et mettre en œuvre des réductions de salaire réel.

Il existe une base réelle pour élargir encore davantage la lutte. La grève des travailleurs du gouvernement fédéral s’inscrit dans le cadre d’une résurgence mondiale de la lutte des classes qui comprend des manifestations de masse et des grèves en France contre la réforme des retraites de Macron, des grèves importantes en Grande-Bretagne et des batailles contractuelles impliquant des centaines de milliers de travailleurs aux États-Unis. Le développement d’un mouvement international unifié englobant toutes ces luttes et d’autres encore doit devenir une stratégie consciente des comités de base.

Les comités devraient également demander l’arrêt immédiat des négociations avec le gouvernement. Il n’y a plus rien à négocier avec un gouvernement qui a exclu tout accord qui ne soit pas conforme à sa demande de salaires inférieurs à l’inflation, tout en gaspillant des dizaines de milliards pour réarmer l’armée et subventionner les grandes entreprises. La seule façon d’imposer des augmentations salariales supérieures à l’inflation est de lancer une contre-offensive de masse dirigée par les travailleurs pour mettre fin à l’austérité et à la guerre.

Cette lutte est politique et doit prendre la forme d’une répudiation ouverte de l’alliance entre les syndicats, le NPD et le gouvernement libéral. En opposition à l’insistance de toutes ces organisations pour que les travailleurs acceptent que les vastes ressources de la société soient canalisées pour répondre aux besoins de la machine de guerre impérialiste canadienne et pour gonfler les profits des banques et des grandes entreprises, les travailleurs doivent se battre pour un programme socialiste et internationaliste. Ils doivent lancer un appel spécial à leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis pour une lutte commune contre l’alliance impérialiste canado-américaine, qui a semé la mort et la destruction dans de vastes régions du Moyen-Orient et de l’Asie centrale au cours des trois dernières décennies et qui est au cœur des préparatifs de Washington en vue d’un «conflit stratégique entre grandes puissances», c’est-à-dire d’une guerre mondiale avec la Russie et la Chine. Ce mouvement doit lutter pour l’établissement du pouvoir ouvrier afin que la vie socio-économique puisse être réorganisée pour répondre aux besoins sociaux et non pour maximiser le profit privé.

Nous exhortons les travailleurs qui approuvent cette stratégie et souhaitent lutter pour sa mise en œuvre à nous contacter.

(Article paru en anglais le 29 avril 2023)

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