Festival de films de San Francisco 2023 – 1re partie

Daughter of Rage, La Bonga: la terrible pauvreté au Nicaragua, les ravages de la guerre civile en Colombie

Voici le premier d’une série d’articles concernant des films projetés au Festival international de films de Sans Francisco (13 – 23 avril) qui ont été mis à la disposition du WSWS.

Le monde est un endroit compliqué et difficile. Il est évident qu’il existe des misères terribles et que nombreux sont ceux qui vivent de grandes souffrances. Il est de plus en plus difficile de fermer les yeux face à tout cela. Il est inévitable que des artistes dotés de la moindre sensibilité ou attention sont poussés à traiter – ou tenter de traiter – toute une gamme de sujets douloureux tels que la guerre, l’inégalité, la pauvreté et l’autoritarisme.

Deux parties de notre couverture du festival de films de San Francisco traitent d’œuvres qui décrivent directement ou indirectement des conditions économiques dures en Amérique, la guerre civile en Colombie et la privation sociale insoutenable au Nicaragua.

Les possibilités artistiques et sociales sérieuses abondent. Le sujet complexe doit permettre de réaliser un drame comportant de fortes émotions, la tragédie (et la comédie !) et la critique sociale. En cause sont les plus grandes questions humaines.

Malheureusement, les cinq films que l’auteure passera en revue présentent des résultats relativement maigres.

A ce moment de l’histoire, la plupart des représentants des couches sociales détentrices de caméras et disposant de ressources ont toujours une vision extrêmement limitée. Ils tendent à s’embourber dans un mélange de passivité, de résignation et de timidité artistique qui vont de pair avec le scepticisme face à de possibles changements dans le monde. Les deux faces du problème s’alimentent mutuellement.

En conséquence, le réalisateur tend à voir sa tâche limitée à enregistrer et observer l’état des choses sans les interpréter pour le spectateur. Ceci équivaut à abandonner la responsabilité de l’artiste. Derrière le prétexte de l’impartialité et de l’objectivité (fausses) se trouve l’acceptation de ce qui est réel et/ou un état de bouleversement par la manière dont les choses se passent. « Voilà, faites vous-même ce dur travail » est le message implicite au public. Ceci n’aide pas le spectateur, qui a besoin de l’assistance de l’artiste, à trouver ses repères dans le monde.

Le plus fort des cinq films, et le seul long métrage de fiction parmi eux, est aussi le plus en colère, comme le suggère le titre du film nicaraguayen Daughter of rage[Lafille en colère, titre original La hija de todas las rabias]. Le film de Laura Baumeister est le premier long métrage narratif dirigée par une femme nicaraguayenne.

Le film suit María, onze ans (Araceli Ajejandra Merdal) qui vit avec sa mère inflexible Lilibeth (Virginia Raquel Sevilla Garcia) – « si tu veux quelque-chose, tu dois te battre pour l’obtenir » – près de La Chureca, la plus grande décharge à ciel ouvert du Nicaragua.

Leur baraque est un patchwork d’objets trouvés sauvés de la décharge. María et sa mère font partie d’une armée d’indigents qui gagnent leur vie en récupérant des articles de la décharge de Managua. Mère et fille recyclent en duo de la ferraille et élèvent leur chienne pour obtenir des chiots vendables. La survie est incertaine.

Fille de la colère

Après avoir empoisonné par accident les chiots que sa mère élevait pour les vendre, Lilibeth amène María à un entrepôt de ferraille où des enfants orphelins sont utilisés comme esclaves. Un des garçons, du nom de Tadeo (Carlos Gutierrez), souffre d’une intoxication au mercure. Mais il s’est résigné à sa condition, au contraire de María.

Apparemment abandonnée par sa mère, dont le destin est inconnu, María prend la route pour la retrouver. Une vague de protestations violentes submerge la ville et sa quête sera dangereuse.

« La Fille en colère est un film sur le pouvoir de l’imagination, sur l’habilité de chacun d’entre nous d’être le protagoniste de sa propre histoire » affirme sa réalisatrice dans une interview avec womenandhollywood.com. « Qu’est ce qui active l’imagination ? Au-delà du désir de créer, d’inventer … elle est renforcée comme une façon d’affronter la réalité que nous voulons changer. En d’autres termes, nous imaginons d’abord tout ce qui ne nous plaît pas et ensuite, nous le changeons, n’est-ce pas ? C’est comme si l’imagination pourrait être le prélude pour que quelqu’un passe à l’action. »

« Je veux que les gens qui voient le film en sortent avec le sentiment que si une fille comme María peut en arriver à croire que sa mère a été transformée, alors qu’elle est morte, alors nous pourrions tous récrire notre propre histoire personnelle dans le sens qui nous donne le maximum d’autonomie. »

Une imagination réveillée ne change pas à elle seule une réalité de misère économique accablante. Pour emprunter une locution, les idées ne conduisent jamais au-delà du statu quo, mais tout au plus au-delà des idées qu’on s’en fait (et parfois même pas ça). Le film de Baumeister est déchirant, mais le spectateur reste sur sa faim en raison du manque de contexte.

Le Nicaragua est le pays le plus pauvre dans sa région et le deuxième plus pauvre de l’Amérique du Nord. Quelque 41 pour cent de la population vivent dans des zones rurales. Trente pour cent de la population entière vivent dans la pauvreté, mais cette proportion est de 50 pour cent pour la population rurale.

Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a estimé que la population souffrant de la faim a augmenté de 400 pour cent au cours des deux dernières années au Salvador, au Guatemala, au Honduras, et au Nicaragua ; 1,7 million souffrent d’une insécurité alimentaire atteignant le niveau d’urgence. La pénurie alimentaire est particulièrement aiguë sur les bords du Pacifique, qui ont été surnommés « le corridor sec de l’Amérique centrale » après des années de sécheresse grave.

Un désastre humanitaire s’est développé au Nicaragua parce que le gouvernement du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) se prosterne devant les intérêts des trusts, notamment ceux des Etats-Unis, en réponse à une crise aussi bien politique, qu’ économique et environnementale.

La Bonga

La Bonga, un film colombien, a été réalisé par Sebastian Pinzón Silva et Canela Reyes. Il traite de gens qui retournent dans leur communauté après une absence de deux décennies. Ils en furent chassés par des forces de la droite pendant la guerre civile qui a ravagé le pays.

Le film nous informe que La Bonga fut fondée au 16e siècle par des gens qui échappèrent à l’esclavage et luttèrent pour leur liberté dans les jungles qui entourent Cartagena, créant l’une des premières villes des Amériques libérée du règne colonial.

La Bonga

« La menace de mort adressée à la Bonga fut proférée par des paramilitaires de la droite qui accusaient injustement les Bongueros de collaborer avec les guérilléros de la gauche. En Colombie, 8 millions de personnes ont été déplacées par la force pendant les 40 ans de conflit armé. »

« Aujourd’hui, plusieurs communautés continuent de lutter pour leur terre, animées par une action collective et la puissance de la mémoire partagée. »

Une caravane de villageois et une mère et sa fille solitaires rentrent. Leurs maisons d’antan se sont fondues dans la jungle. Plus de 200 personnes se rassemblent pour une célébration de masse.

L’histoire est une immense tragédie, mais les réalisateurs semblent essentiellement se contenter de rester sans rien faire à part filmer les événements. Que pensent-ils de la situation ? Un commentateur observe que Silva et Reyes emploient « une stratégie narrative délibérément – et par endroits littéralement – opaque. » En d’autres termes, ils refusent de prendre position.

« Nous voulons faire un film fortement inspiré par Fitzcarraldo [de Werner Herzog], » explique Silva (faisant allusion au film de 1982 qui fit la chronique inutile de la tentative de monter un bateau à vapeur par un flanc de coteau abrupt vers la fin du 19e siècle), « commençant par un voyage de retour à La Bonga. Lorsque nous y arriverons, nous recréerons la célébration de la fête du saint patron de La Bonga. Nous y amènerons une énorme sono; rien que de l’apporter là représente le bateau de Fitzcarraldo. »

Comme l’indique ce commentaire désinvolte, le film ne donne que peu de vision du passé, présent ou futur, et la colère sociale en est quasiment absente. On pourrait être tenté de qualifier La Bonga de demi-film. Quelles furent les origines de la guerre civile en Colombie ? Ici encore, on nous dit que des processus individuels, quasi-psychologiques sont la solution à des maux sociaux monumentaux.

L’impérialisme des Etats-Unis, sous des gouvernements tant démocrates que républicains, a étranglé la Colombie au nom de Wall Street et violenté le pays à maintes reprises – des fureurs anti-communistes des années 1960 sous John F. Kennedy jusqu’à Clinton et Obama et le « plan Colombie ». Les militaires américains et la police et les militaires colombiens créés, armés et entraînés par Washington sont responsables d’avoir tué des dizaines de milliers de travailleurs, paysans, jeunes et intellectuels de la gauche, de même que d’autres crimes contre l’humanité. Il n’y a aucune référence à tous cela dans le film.

(Article original paru en anglais le 18 avril 2023)

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