La Réserve fédérale relève ses taux d’intérêt mais signale une possible pause dans le contexte des turbulences financières

Comme prévu, la Réserve fédérale américaine a relevé son taux d’intérêt de base de 0,25 point de pourcentage mercredi, pour la dixième fois depuis le début du resserrement des taux il y a 14 mois, mais elle a laissé entendre qu’elle pourrait ralentir alors que les conditions de crédit se resserrent et que l’économie montre de plus en plus de signes de récession.

Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, témoigne devant la commission bancaire du Sénat, le jeudi 3 mars 2022 au Capitole à Washington. [AP Photo/Tom Williams, Pool]

Cette décision a été exprimée par un changement dans la formulation de la déclaration publiée par le Comité fédéral du marché ouvert (FOMC), que le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a qualifié de «significatif» lors de la conférence de presse qui a suivi la décision.

Dans sa déclaration de mars, le FOMC a déclaré qu’«un raffermissement supplémentaire de la politique monétaire pourrait être approprié» pour maîtriser l’inflation. La déclaration de mercredi précise que pour «déterminer dans quelle mesure un raffermissement supplémentaire de la politique monétaire pourrait être approprié», le comité prendrait en compte «le resserrement cumulatif de la politique monétaire».

Toutefois, Powell a contesté les attentes du marché selon lesquelles la Réserve fédérale réduirait les taux d’intérêt plus tard dans l’année, en répondant à une question lors de sa conférence de presse.

Une fois de plus, comme il l’avait fait après la réunion de mars, qui s’était tenue immédiatement après l’effondrement de la Silicon Valley Bank, Powell a commencé son intervention en assurant que le système bancaire américain était «solide et résilient».

Cette réunion s’est tenue immédiatement après le rachat de la First Republic Bank par JPMorgan Chase, à la suite de la deuxième plus grande faillite bancaire de l’histoire des États-Unis.

Certains craignent que de nouvelles turbulences ne se produisent dans les banques de petite et moyenne taille, car les dépôts quittent ces banques à cause de la possibilité d’obtenir des taux de rendement plus élevés ailleurs.

Mercredi, après la séance, les actions de la banque californienne PacWest ont plongé de 50 pour cent, après que l’on a appris qu’elle cherchait un acquéreur ou une nouvelle injection de capitaux. Il est peu probable que ce soit la dernière, car un indice de la valeur des actions des banques de taille moyenne a fortement chuté depuis l’effondrement de la SVB.

En ce qui concerne l’inflation, Powell a déclaré qu’elle restait bien supérieure à l’objectif à long terme de 2 pour cent. Et même si elle s’était «quelque peu atténuée», les pressions inflationnistes «continuent d’être élevées» et qu’il y avait «encore beaucoup à faire» avant qu’elle revienne au taux cible.

Étant donné que la position officielle de la Réserve fédérale est que les hausses de taux sont nécessaires pour faire baisser les prix, cela devait indiquer qu’elle ne réduirait pas ses taux dans l’avenir immédiat. Cela a été souligné lors de la conférence de presse, lorsque Powell a déclaré que les baisses de taux ne seraient pas «appropriées» et qu’elles ne faisaient pas partie de ses prévisions.

La véritable cible de la politique monétaire de la Réserve fédérale – les salaires de la classe ouvrière – est apparue plus clairement lors de la conférence de presse de Powell.

À un moment donné, il a expressément reconnu qu’il «ne pensait pas que les salaires étaient la principale cause de l’inflation». Il pouvait difficilement faire autrement, car toutes les données montrent que les augmentations de salaire sont bien en deçà des hausses de prix.

Si la Réserve fédérale ne considère pas les salaires comme la cause de l’inflation, elle estime que maintenir les salaires bas est la solution, et ses politiques visent à creuser encore davantage l’écart entre les prix et les salaires.

Lors de sa conférence de presse, Powell a déclaré qu’il y avait «beaucoup de demande excédentaire sur le marché du travail» et que celui-ci était «extraordinairement tendu».

L’objectif de la Réserve fédérale est de changer cette situation en ralentissant l’économie et en provoquant une récession, si nécessaire, dont la perspective a été projetée par les analyses du personnel de la Réserve fédérale et l’augmentation des licenciements au cours de la période récente.

Powell a déclaré que les augmentations salariales «diminuaient» et que c’était une «bonne chose», mais il a précisé qu’elles devraient être encore réduites, car même les augmentations subinflationnistes actuelles sont trop élevées pour être compatibles avec un objectif d’inflation de 2 pour cent. Avec une inflation d’environ 5 pour cent, les augmentations de salaire ne devraient pas dépasser 3 pour cent.

La conférence de presse n’a pas beaucoup abordé la question de la crise bancaire, mais le peu qui a été dit était révélateur. Powell a reconnu que la rapidité de la liquidation à la SVB – lorsque 42 milliards de dollars ont été retirés en une seule journée et que 100 milliards de dollars devaient être retirés le lendemain – était sans précédent.

Aucun journaliste présent à la conférence de presse n’a même fait allusion à la question évidente de savoir, si tel était le cas, comment le système bancaire pouvait être qualifié de «solide et résilient» ou au fait que trois des quatre plus grandes faillites bancaires de l’histoire s’étaient produites au cours des deux derniers mois.

Une question a attiré l’attention sur un rapport présenté à l’organe directeur de la Réserve fédérale le 14 février, qui signalait une crise potentielle à la SVB en raison de la chute de la valeur de marché des bons du Trésor qu’elle détenait, due à la hausse des taux d’intérêt. Mais Powell n’a pas expliqué pourquoi rien n’avait été fait, mentionnant plutôt la nécessité d’une surveillance et d’une réglementation accrues à l’avenir.

La cause immédiate des trois faillites bancaires jusqu’à présent a été la hausse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale, ce qui soulève la question de savoir s’il y en aura d’autres si ces taux sont encore augmentés ou même s’ils restent à leur niveau actuel de 5 pour cent, le plus élevé depuis 16 ans, pendant une période prolongée.

Powell a affirmé qu’il était possible de séparer la politique générale des taux d’intérêt des problèmes qu’elle a engendrés dans certains secteurs du système bancaire. En d’autres termes, le régime de taux d’intérêt plus élevés serait maintenu tandis que la Réserve fédérale, avec d’autres agences gouvernementales, s’occuperait des effondrements et des faillites individuels.

Toutefois, une telle politique n’est possible que si les défaillances restent isolées et ne s’étendent pas. Une telle propagation, par contagion, est plus que possible, comme on l’a vu lorsque la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) a invoqué l’exception du «risque systémique» afin d’organiser le sauvetage des déposants non assurés qui détenaient plus de 250.000 dollars dans les banques SVB et Signature en faillite.

Ceux qui ont encore de la mémoire se souviendront que la crise de 2008 a commencé avec la faillite de Bear Stearns en mars 2008, avant de toucher l’ensemble du système financier.

Dans un éditorial sur la crise publié en début de semaine, le Financial Times (FT) a souligné certaines des implications plus larges de l’effondrement de la First Republic Bank. Il a déclaré que «la faillite d’une banque qui était, en apparence, très prospère et qui n’était pas engagée dans des activités manifestement risquées est alarmante».

«Ce que la First Republic partageait avec la Silicon Valley Bank et la Signature Bank… c’était un modèle d’entreprise qui ne s’adaptait pas bien à la hausse des taux d’intérêt».

Mais on pourrait en dire autant de l’ensemble du système bancaire. Les modèles d’entreprise des 15 dernières années sont basés sur les conditions créées par la Réserve fédérale et son programme d’assouplissement quantitatif, qui a injecté des milliers de milliards de dollars dans le système financier, maintenant les taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas.

Cela en va de même pour les activités spéculatives et commerciales des fonds spéculatifs, des banques d’investissement et d’autres institutions du système financier. Les opérations commerciales fondées sur l’hypothèse du maintien de taux d’intérêt bas ne se sont pas limitées aux trois banques en faillite, mais se sont étendues à l’ensemble du système.

L’affirmation selon laquelle le système bancaire est «solide et résilient» a reçu un nouveau coup avec la révélation que l’un des plus grands cabinets comptables du monde, KPMG, était le contrôleur de gestion des trois banques en faillite.

Comme le rapporte le FT: «Dans les trois cas, KPMG a donné un certificat de bonne santé aux états financiers des banques pas plus tard qu’à la fin du mois de février».

Cet incident n’est pas sans rappeler la crise de 2008, lorsque les principales agences de notation ont attribué les meilleures notes aux divers mécanismes qui permettaient d’acheter et de vendre sur le marché des prêts hypothécaires à risque regroupés sous forme de titres.

(Article paru en anglais le 4 mai 2023)

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