Le couronnement du roi Charles III et de la reine Camilla: la crise terminale de la monarchie britannique

La somptueuse cérémonie de couronnement du roi Charles  III et de la reine Camilla, accompagnée d’une couverture médiatique à saturation et de l’octroi d’un jour férié, est présentée comme un moment d’unification de la nation. Il n’en est rien.

L’étalage des privilèges et des richesses hérités, le militarisme effréné et la glorification de l’impérialisme britannique, y compris l’étalage des pierres précieuses pillées et incorporées dans diverses couronnes, sceptres et bâtons, ainsi que la facture de 250  millions de livres pour les contribuables, sont obscènes – une hautaine insulte aux millions de travailleurs en difficulté et à leurs familles.

Le roi Charles III, à l'époque prince de Galles, lisant le discours au nom de sa mère, la reine Élisabeth II, en 2022. [Photo by Annabel Moeller / CC BY 2.0]

Loin d’offrir la possibilité d’un renouveau de la monarchie, de restaurer sa popularité, ce couronnement confirmera le déclin du soutien à cette institution pourrie, en particulier parmi les jeunes générations, marquant sa crise terminale.

Charles est couronné à l’âge de 74  ans, il est ainsi le monarque le plus âgé de Grande-Bretagne, après des décennies passées dans l’ombre de sa mère. Non seulement il ne jouit pas de l’affection populaire dont jouissait la reine Élisabeth  II, mais il est largement vu comme un personnage ridicule. Le roi Charles est un mystique qui promeut depuis longtemps la pseudoscience et les thérapies de charlatan, notamment l’homéopathie, l’«autoguérison» spirituelle et le traitement du cancer à l’aide de jus de fruits et de café. Il est à la tête d’une famille vénale, avide d’argent et profondément corrompue, libérée de la main contraignante et du bouclier politique de sa matriarche.

Le WSWS avait commenté en ces termes la mort de la reine:

«Sa mort survient à un moment de crise économique, sociale et politique aiguë pour l’impérialisme britannique, avec notamment l’effondrement le plus massif du niveau de vie depuis la Grande Dépression, une guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie menée sur le continent européen et une vague montante de luttes de classe qui menace d’éclater en une grève générale».

«La classe dirigeante est à présent confrontée à cette tempête parfaite sans son représentant populaire de l'État sur lequel elle s'est appuyée pour projeter le mythe de l'unité nationale et supprimer les conflits sociaux... Aujourd'hui, l'espoir le plus sincère de la classe dirigeante est que le temps que Charles passera sur le trône soit court afin que le Prince William, soigneusement préparé, puisse avoir une chance de restaurer la réputation publique d'une monarchie très affaiblie».

Les événements ont confirmé cette évaluation et prouvent que l’accession de Charles au trône et à la tête de l’État ne survient pas seulement à un moment de crise aiguë pour l’impérialisme britannique, mais qu’elle agit comme le catalyseur et l’accélérateur d’un dénouement social historique.

On a limité les dégâts lors de la cérémonie pour atténuer les problèmes, historiques et récents. En tant que chef d’une Église d’Angleterre à laquelle n’adhèrent plus que 16  pour cent de la population, et 40  pour cent se déclarant sans religion, Charles ne se présentera pas comme «défenseur de la foi». À la cérémonie participeront bien plutôt les dirigeants des religions juive, musulmane (sunnite et chiite), sikh, bouddhiste, hindoue, jaïne, bahaïe et zoroastrienne. En outre, seul le prince William accomplira le grotesquement nommé «hommage du sang royal» – promettant loyauté au roi. La participation, comme d’habitude, des ducs royaux, signifierait nécessairement la présence du prince Andrew, accablé de scandales, et du renégat prince Harry. Meghan, duchesse de Sussex, restera elle, en Californie.

Compte tenu du coût exorbitant du couronnement des efforts extraordinaires ont été déployés pour souligner son caractère «modeste» – du moins comparé au couronnement d’Elizabeth en 1953 – tout en se vantant de son faste et de son apparat.

Pour prouver la puissance militaire de la Grande-Bretagne, plus de 6.000  membres des forces armées ont par exemple participé à la cérémonie, où l’amiral Sir Tony Radakin, chef d’état-major de la défense et le général Sir Patrick Sanders, chef d’état-major des armées, jouaient un rôle promiment. Il y eut aussi un défilé aérien de 68  avions des trois forces armées. Mais les commentateurs royaux ont opposé ce spectacle aux 600  avions de la RAF et du Commonwealth qui avaient pris l’air pour Elizabeth. Au couronnement assistaient 2.000  invités, contre plus de 8.000 pour Elizabeth. «Le roi est parfaitement conscient de la crise du coût de la vie et des difficultés que rencontrent de nombreuses personnes», avait déclaré une source royale au Daily Mirror.

Portrait du couronnement de la reine Élisabeth II, par Cecil Beaton, juin 1953, Londres, Angleterre. [Photo: Cecil Beaton/Royal Collection RCIN 2153177]

Ces efforts schizophréniques reflètent une grande nervosité dans les cercles dirigeants, alors que le soutien de l'opinion publique à la monarchie n'a jamais été aussi bas. Seuls 29  pour cent des Britanniques considèrent la monarchie comme «très importante», tandis que 25  pour cent déclarent qu'elle n'est « pas du tout importante » et qu'elle devrait être abolie. Parmi les jeunes, 78  pour cent ne s'intéressent pas à la monarchie et 38  pour cent souhaitent son abolition.

52  pour cent des lecteurs interrogés par le Daily Mirror pensent que Charles devrait payer pour son propre couronnement. Ces résultats font suite à une enquête du Guardian, qui a fait grand bruit, sur la fabuleuse fortune personnelle de Charles, qui a atteint près de 2  milliards de livres sterling, selon une estimation prudente, après les héritages légués par la reine, exonérés d’impôts.

À l’opposition publique au couronnement l’État a réagi par des mesures de répression des manifestations. Des dizaines de manifestants ont été arrêtés avant et durant les cérémonies. Plus de 11.500  policiers avaient été mobilisés, utilisant pour la première fois les pouvoirs prévus par la Loi sur l’ordre public récemment adoptée. Cette loi prévoit des peines de 12  mois pour le blocage des routes et des voies ferrées et des peines de six mois et des amendes illimitées pour le «verrouillage» de bâtiments ou d’objets. Le ministère de l’Intérieur avait envoyé des messages de menace au groupe Republic.

L’ordre de service du couronnement – la reconnaissance, le serment, l’onction, l’investiture et le couronnement, l’intronisation et l’hommage, ainsi que le couronnement de la reine consort – est si ridicule que son importance stratégique pour l’impérialisme britannique peut être sous-estimée.

La cérémonie invoquait mille ans d’histoire, utilisant des dispositifs tels que la pierre du destin, l’épée d’État, l’épée d’offrande, l’épée de miséricorde, les bracelets de sincérité et de sagesse, et des vêtements tels que la robe de justice, et ainsi de suite. En outre, on met en rapport la couronne anglaise avec les rois bibliques Saul, David et Salomon, par l’onction de Charles avec de l’huile pressée d’olives israéliennes, afin de souligner qu’il est lui aussi un représentant de Dieu sur terre.

La référence au «droit divin des rois» est toujours une caractéristique de l’État britannique, 374  ans après l’exécution de Charles  Ier pour haute trahison, suite à la guerre civile anglaise, parce qu’il avait insisté sur ce principe. Celui-ci fut réaffirmé lors de la restauration de la monarchie sous Charles  II, en 1660. Mais les monarques gouvernent depuis sous la contrainte du parlement, instrument politique de la bourgeoisie montante, ce qui fut codifié suite à la Glorieuse Révolution de 1688, où le roi William  III et la reine Mary ont prêté serment de respecter les lois votées par le parlement.

Au cours des siècles qui ont suivi, la monarchie et les autres attributs du féodalisme ont été mis au service du pouvoir bourgeois. En septembre de l’année dernière, le WSWS a commenté le premier grand engagement public de Charles  III en tant que monarque:

«Ce qui est communiqué à travers la pompe et la cérémonie sans fin, c’est la puissance de l’État, la prééminence de la nation et la permanence supposée d’un ordre social existant caractérisé par de vastes inégalités, où chacun doit montrer la déférence et le respect nécessaires à la “tradition” et à l’élite dirigeante qui incarne ces traditions».

L’élément le plus extraordinaire de la cérémonie de couronnement de Charles est donc peut-être la décision de renforcer et de rendre manifeste, plutôt que de minimiser, la position du roi en tant que chef de l’État. En grande pompe, le palais de Lambeth, qui représente l’archevêque de Canterbury, en accord avec Charles et le gouvernement Sunak, avait instauré «l’hommage du peuple». Remplaçant l’«hommage des pairs», c’est 150  millions de citoyens du Royaume-Uni et des 15  États du Commonwealth qu’on a invités à prendre part à un «grand cri», jurant leur allégeance à la Couronne.

L’ordre du service sera le suivant : « Tous ceux qui le souhaitent, dans l’abbaye et ailleurs, disent ensemble: ‘‘Tous: je jure de prêter une véritable allégeance à votre majesté, à vos héritiers et à vos successeurs, conformément à la loi. Que Dieu me vienne en aide’’».

Cette obscénité – qui invoque la subordination du peuple à un privilège héréditaire et à un chef d’État non élu – a été saluée comme exemple de «modernisation» par des lèche-bottes comme Shabana Mahmood, députée et coordinatrice nationale de campagne du Parti travailliste, qui l’a décrite comme «une merveilleuse façon de rapprocher la cérémonie et la monarchie du peuple».

Ce qui est en jeu, ce n’est pas la loyauté personnelle envers le roi, mais envers l’appareil d’État capitaliste qu’il dirige. Le couronnement est conçu comme un appel à l’unité nationale, à une époque où les tensions sociales et les conflits de classe s’exacerbent et où la guerre a déjà éclaté sur le sol européen. Il a lieu au milieu d’une vague de grèves en Grande-Bretagne et de manifestations de masse en France contre l’imposition dictatoriale de la réforme des retraites par Macron, le plus grand mouvement de grève et de protestation dans ce pays depuis mai-juin 1968. En effet, une visite prévue du roi Charles en France il y a moins de six semaines a été précipitamment annulée. L’ex-ambassadeur britannique Peter Ricketts avait averti qu’un banquet prévu par Charles au château de Versailles pourrait «rappeler» la Révolution française.

D’Élisabeth II à Charles III

La reine Élisabeth  II avait étudié «La Constitution anglaise» de Walter Bagehot (publié sous forme de livre en 1867) qu’on lui enseigna lors de cours privés bi-hebdomadaires au collège d’Eton en 1938. La princesse, alors âgée de 12  ans, puis l’héritière du trône après l’abdication de son oncle Edward en 1936, en est venue à incarner la description par Bagehot de la fonction essentielle du monarque constitutionnel.

Portrait de Walter Bagehot (1826-1877) par Norman Hirst

Les essais de Bagehot exprimaient les principales craintes de la classe dirigeante britannique suite au mouvement chartiste, aux révolutions de 1848 et à la guerre civile américaine. Ils mettaient en garde contre les dangers posés par les doctrines démocratiques, égalitaires, républicaines et socialistes. L’œuvre de Bagehot exprime la peur et la haine de la classe dirigeante britannique envers la classe ouvrière, la «Vox diaboli».

Pour empêcher une «combinaison politique des classes inférieures… un mal de première grandeur», il fallait trouver un moyen d’exercer un contrôle sur les «foules de gens à peine plus civilisés que la majorité d’il y a deux mille ans». C’était l’élément «théâtral» essentiel de la constitution de l’État représenté par la monarchie, qui «renforce notre gouvernement par la force de la religion».

Il poursuivait ainsi: «Les éléments qui suscitent le plus facilement la vénération seront les éléments THÉÂTRAUX – ceux qui font appel aux sens, qui prétendent incarner les plus grandes idées humaines, qui se targuent dans certains cas d’une origine bien plus qu’humaine. Ce qui est mystique dans ses revendications, ce qui est occulte dans son mode d’action, ce qui est brillant à l’œil, ce qui est vu vivement pendant un moment, puis n’est plus vu, ce qui est caché et non caché, ce qui est spécieux, et pourtant intéressant, palpable dans son apparence, et pourtant professant être plus que palpable dans ses résultats…»

Élisabeth  II a parfaitement joué le rôle qui lui était dévolu en tant que rempart de la richesse et des privilèges, respectant la consigne de Bagehot selon laquelle le monarque ne devait « pas être touché. Il doit être évident qu’il ne fait rien de mal. Il ne faut pas qu’on puisse le mesurer de trop près. Il doit être distant et solitaire… un symbole visible de l’unité pour ceux qui sont encore si imparfaitement éduqués qu’ils ont besoin d’un symbole».

DOSSIER – Sur cette photo d’archives du mardi  10  juillet 2018, les membres de la famille royale se rassemblent sur le balcon du palais de Buckingham, avec de gauche à droite, le prince Charles, Camilla, la duchesse de Cornouailles, le prince Andrew, la reine Elisabeth  II, Meghan, la duchesse de Sussex, le prince Harry, le prince William et Kate la duchesse de Cambridge, alors qu’ils regardent un défilé aérien d’avions de la Royal Air Force passer au-dessus du palais de Buckingham, à Londres. [AP Photo/Matt Dunham]

L’objectif fondamental du monarque était de dissimuler à la classe ouvrière la nature de classe de l’État. Bagehot écrivait: «La royauté constitutionnelle a une fonction sur laquelle j’ai longuement insisté dans mon dernier essai et sur laquelle, bien qu’elle soit de loin la plus importante, je n’ai pas besoin de m’étendre à nouveau. Elle agit comme un DÉGUISEMENT. Elle permet à nos vrais dirigeants de changer sans que les gens inattentifs s’en rendent compte. Les masses anglaises ne sont pas faites pour un gouvernement électif; si elles savaient à quel point elles en ont été proches, elles seraient surprises et en trembleraient presque».

Bagehot avait prévenu que la suprématie des «classes inférieures» ne pouvait être évitée que «par la plus grande sagesse et la plus grande prévoyance des classes supérieures». Mais le couronnement d’un personnage aussi profondément impopulaire que Charles – décrit par ses propres amis comme un «pleurnicheur olympien» – compromet la capacité de la monarchie à agir comme une force unificatrice. Bagehot avait souligné qu’«une famille royale adoucit la politique par l’ajout saisonnier de gentils et jolis événements. Elle introduit des faits sans importance dans les affaires du gouvernement, mais ce sont des faits qui parlent au “cœur des hommes” et qui mobilisent leurs pensées». Mais l’odeur nauséabonde qui entoure les relations du prince Andrew avec Jeffrey Epstein et les querelles intestines entre le prince Harry, Charles, Camilla et William sont des «faits» qui indiquent l’ampleur de la crise actuelle. Le soutien de la population à la famille royale s’effiloche au milieu de l’impasse économique, sociale et politique la plus profonde à laquelle le capitalisme britannique ait été confronté depuis les années  1930.

Dans son ouvrage de 1925, «Où va l’Angleterre? », Trotsky a écrit des passages essentiels sur le rôle de la monarchie britannique en général, et en particulier en période de crise aiguë. Il y fait une critique dévastatrice de l’attitude sans principes des dirigeants travaillistes à son égard et de leur philosophie empirique, réactionnaire, gradualiste et anhistorique.

«La royauté, déclarent-ils, 'n'est pas un obstacle' au progrès du pays et lui coûte moins cher que ne coûterait un président, si l'on tient compte des frais d'élection, etc. Ces propos des leaders ouvriers caractérisent un aspect de 'l'originalité' anglaise, qu'on ne peut qualifier autrement que de stupidité conservatrice ».

Leon Trotsky

Trotsky réplique: «La royauté est faible, puisque le Parlement bourgeois est le moyen de domination de la bourgeoisie, et puisque celle-ci n'a pas besoin d'armes extraparlementaires. Mais, en cas de besoin, la bourgeoisie peut tirer parti de la royauté avec le plus grand succès, comme du centre de ralliement de toutes les forces extraparlementaires, c'est-à-dire réelles, dirigées contre la classe ouvrière ».

La monarchie britannique possède un pouvoir énorme. Dans des conditions normales, le rôle du monarque en tant que chef d’État, qui implique l’exigence d’un assentiment royal pour la législation, et le fait que les politiciens et les généraux prêtent serment d’allégeance au roi, semblent désuets, archaïques et cérémoniels. Mais lorsque les antagonismes de classe s’exacerbent au point de déboucher sur un conflit ouvert, la démocratie doit céder la place à la dictature et les pouvoirs «symboliques» du monarque, y compris le rôle du roi en tant que commandant en chef de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air, deviennent réels, et les défier constitue un acte de trahison.

Fort de cette compréhension, Trotsky conclut que «la question de la monarchie ne se résout pas pour le socialiste du point de vue de la comptabilité d'aujourd'hui et d'autant moins de celui d'une comptabilité fausse. Il s'agit de la transformation complète de la société, de se nettoyer de tous les éléments d'esclavage. Ce travail exclut en politique et en psychologie tout accommodement avec la monarchie.»

La classe ouvrière est aujourd’hui en conflit avec l’ensemble de l’ordre bourgeois, ses partis, son appareil d’État – et avec sa monarchie. À une époque où les travailleurs sont poussés par la nécessité de mettre fin à l’oppression de classe, à la pauvreté et à la guerre, l’imbécile politique du palais de Buckingham, le troisième roi Charles, pourrait bien s’avérer être le dernier.

(Article paru d’abord en anglais le 6  mai 2023)

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