La lettre d’Assange au roi décrit les conditions de détention brutales à la prison de Belmarsh

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a écrit une lettre ouverte au roi Charles  III, le jour de son couronnement et attire l’attention sur les conditions épouvantables dans lesquelles il est détenu à la prison de Sa Majesté, Belmarsh.

On détient Assange dans cette prison de haute sécurité depuis plus de quatre ans, la plupart du temps sans inculpation, pendant que les tribunaux britanniques décidaient de son extradition vers les États-Unis. Là, il est confronté à des accusations en vertu de la Loi sur l’espionnage, pour avoir publié des fuites révélant les crimes de guerre, violations des droits de l’homme, complots antidémocratiques et intrigues diplomatiques des États-Unis.

Julian Assange [AP Photo/Matt Dunham]

Il a passé confronté à cette menace les sept années précédant sa détention à Belmarsh effectivement emprisonné à l’ambassade d’Équateur à Londres, où il avait demandé l’asile politique.

Le 17  juin 2022, Priti Patel, alors ministre de l’Intérieur, a donné son accord final pour son transfert vers les États-Unis, mais on n’a rien entendu à ce sujet depuis.

C'est ‘‘Declassified UK’’ qui a d’abord publiée la lettre d'Assange.

***

Julian Assange

À Sa Majesté le Roi Charles III,

À l'occasion du couronnement de mon seigneur, j'ai pensé qu'il était tout à fait approprié de vous adresser une invitation sincère à commémorer cette occasion capitale en visitant votre propre royaume au sein d'un royaume: la prison de Sa Majesté, Belmarsh.

Vous vous souviendrez sans doute des sages paroles d’un célèbre dramaturge: «Le caractère de la clémence est de n’être point forcée. Elle tombe, comme la douce pluie du ciel sur le lieu placé au-dessous d’elle »

Ah, mais que saurait ce barde de la clémence face au jugement à l’aube de votre règne historique? Après tout, on peut vraiment prendre la mesure d’une société à la façon dont elle traite ses prisonniers, et votre royaume a certainement excellé dans ce domaine.

La prison de Votre Majesté, Belmarsh, est située à l’adresse prestigieuse de One Western Way, à Londres, à quelques encablures du Old Royal Naval College de Greenwich. Quel plaisir ce doit être de voir un établissement aussi estimé porter votre nom!

C’est ici que sont détenus 687 de vos loyaux sujets, ce qui conforte le Royaume-Uni dans son statut de nation ayant la plus grande population carcérale d’Europe occidentale. Comme l’a récemment déclaré votre noble gouvernement, votre royaume connaît actuellement «la plus grande expansion de places de prison depuis plus d’un siècle», ses ambitieuses projections montrant une augmentation de la population carcérale de 82.000 à 106.000  personnes dans les quatre prochaines années. C’est tout un héritage, en effet.

En tant que prisonnier politique, détenu selon le bon vouloir de Votre Majesté au nom d’un souverain étranger embarrassé, j’ai l’honneur de résider entre les murs de cette institution de classe mondiale. Vraiment, votre royaume ne connaît pas de frontières.

Au cours de votre visite, vous aurez l’occasion de vous régaler des délices culinaires préparés pour vos loyaux sujets avec un budget généreux de deux livres par jour. Savourez les têtes de thon mixées et les omniprésentes formes reconstituées prétendument à base de poulet. Ne vous inquiétez pas, car contrairement à d’autres institutions de moindre importance comme Alcatraz ou San Quentin, il n’y a pas de repas en commun dans un réfectoire. À Belmarsh, les prisonniers dînent seuls dans leur cellule, ce qui leur assure une intimité maximale avec leur repas.

Au-delà des plaisirs gustatifs, je peux vous assurer que Belmarsh offre à vos sujets de nombreuses possibilités d’éducation. Comme le dit Proverbes  22:6: « Instruis l'enfant selon la voie qu'il doit suivre; Et quand il sera vieux, il ne s'en détournera pas ». Observez les files d’attente raclant des pieds au sas des médicaments, où les détenus récupèrent leurs ordonnances, non pas pour usage quotidien, mais pour l’expérience d’une «grande excursion» qui élargit l’horizon – tout à la fois.

Vous aurez également l’occasion de rendre hommage à mon défunt ami Manoel Santos, un homosexuel menacé d’expulsion vers le Brésil de Bolsonaro, qui s’est suicidé à huit mètres de ma cellule à l’aide d’une corde grossière fabriquée à partir de ses draps de lit. Son exquise voix de ténor a été réduite au silence pour toujours.

Si vous vous aventurez plus loin dans les profondeurs de Belmarsh, vous trouverez l’endroit le plus isolé entre ses murs: l’infirmerie, ou l’«enfer-merie», comme l’appellent affectueusement ses occupants. Ici, vous vous émerveillerez des règles sensées conçues pour la sécurité de tous, comme l’interdiction des échecs, alors que le jeu de dames, bien moins dangereux, est autorisé.

Au cœur de l’«enfer-merie» se trouve l'endroit le plus superbement exaltant de tout Belmarsh, voire de tout le Royaume-Uni: le sublimement nommé ‘‘Belmarsh End of Life Suite’’ (Suite de fin de vie de Belmarsh). Si vous écoutez attentivement, vous entendrez peut-être les cris du prisonnier: «Frère, c’est ici que je vais mourir», témoignage de la qualité de la vie comme de la mort dans votre prison.

Mais ne craignez rien, car à l’intérieur de ces murs on peut trouver la beauté. Régalez-vous des pittoresques corbeaux qui nichent dans les barbelés et des centaines de rats affamés qui ont élu domicile à Belmarsh. Et si vous venez au printemps, vous pourrez peut-être même apercevoir les canetons pondus par des colverts égarés dans l’enceinte de la prison. Mais ne tardez pas, car les rats voraces assurent que leur vie soit éphémère.

Je vous implore, Roi Charles, de visiter Belmarsh, prison de Sa Majesté, car c’est un honneur digne d’un roi. Alors que vous entamez votre règne, souvenez-vous toujours des mots de la Bible du Roi James: «Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront eux-mêmes miséricorde (Matthieu  5:7). Et que la miséricorde soit la lumière qui guide votre royaume, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des murs de Belmarsh.

Votre très dévoué sujet,

Julian Assange

A9379AY

(Article paru d’abord en anglais le 6  mai 2023)

Loading