Les tempêtes financières s’élèvent sur plusieurs fronts majeurs

Une confluence de facteurs interagit pour créer les conditions d’une aggravation majeure de la crise dans le système financier américain, menaçant l’ordre mondial dans son ensemble, alors que les responsables et les régulateurs ressemblent de plus en plus au légendaire garçon hollandais qui se précipite pour boucher un trou dans la digue avec son doigt pour l’empêcher de céder.

Les sources importantes d’un effondrement potentiel incluent: les problèmes persistants des banques américaines de taille moyenne, malgré trois opérations de sauvetage au cours des deux derniers mois; le resserrement des conditions de liquidité sur le marché du Trésor américain de 22.000 milliards de dollars, la base du système financier américain et mondial; la menace d’un défaut du gouvernement américain si le plafond de la dette n’est pas relevé par le Congrès; et les signes de plus en plus nombreux d’une érosion du rôle du dollar en tant que monnaie mondiale.

Les opérations de sauvetage des banques, après trois des quatre plus grandes faillites de l’histoire financière des États-Unis, ont été accueillies par l’assurance de l’administration, des régulateurs et de la Réserve fédérale que le système bancaire est solide et résilient. Mais ils ne pouvaient pas vraiment dire autre chose car présenter une explication de la situation réelle déclencherait sans aucun doute une crise.

La faillite de Silicon Valley Bank, Signature et First Republic est significative tant par sa taille que par la vitesse à laquelle elle s’est produite.

Le total des actifs des trois banques, après ajustement pour l’inflation, a dépassé celui des actifs combinés des 25 banques qui se sont effondrées lors de la crise financière de 2008. Et cela s’est produit à une vitesse jamais vue auparavant.

Dans son dernier rapport sur la stabilité financière, publié plus tôt cette semaine, la Fed a déclaré que les paniques de retraits bancaires impliquant SVB et Signature «étaient d’une vitesse sans précédent» par rapport aux paniques précédentes. Lorsque la Washington Mutual s’est effondrée en 2008 – la plus grande faillite bancaire jamais enregistrée en termes monétaires – les déposants ont retiré 17 milliards de dollars en huit jours ouvrables.

Dans le cas de SVB, 40 milliards de dollars ont été retirés en une seule journée et 100 milliards de dollars supplémentaires devaient être retirés le lendemain si la banque n’avait pas été reprise par la Federal Deposit Insurance Corporation.

Des tentatives ont été faites pour présenter les banques en faillite comme des «cas qui font figure d’exception». Cette affirmation part en fumée dès une analyse, même superficielle, de la situation. Sur les quelque 4700 banques aux États-Unis, SVB était la seizième en importance.

Bien qu’elles aient été touchées en raison de problèmes spécifiques dans leurs modèles commerciaux, il y avait une cause sous-jacente. Ce fut le changement bouleversant dans le système financier en raison du passage par la Fed d’un régime d’argent ultra-facile, pratiquement gratuit, à une hausse des taux d’intérêt de 5 points de pourcentage en un an.

L’augmentation des taux d’intérêt signifiait que la valeur marchande des actifs qu’ils détenaient – des bons du Trésor dans le cas de SVB et des prêts hypothécaires aux ultra-riches dans le cas de First Republic – a fortement chuté.

La situation universelle, dont les trois faillites bancaires ont été une expression particulière, a été soulignée par Amit Seru, professeur de finance à l’Université de Stanford, qui fait partie d’un groupe d’économistes qui essaient de cerner la crise.

Dans un article du New York Times la semaine dernière, il a noté que «la valeur marchande des actifs du système bancaire américain est inférieure d’environ 2000 milliards de dollars à ce que suggère leur valeur comptable».

Jusqu’à présent, l’attention s’est concentrée sur la question des déposants non assurés, ceux qui détiennent plus de 250.000$. Mais Seru a souligné un autre facteur qui pourrait déclencher la panique: l’immobilier commercial, qui constitue une part considérable des actifs des banques de taille moyenne.

Les prêts immobiliers commerciaux, qui s’élèvent à 2700 milliards de dollars aux États-Unis, représentent un quart des actifs d’une banque moyenne, et nombre d’entre eux arrivent à échéance dans les prochaines années dans des conditions de taux d’intérêt plus élevés augmentant le risque de défaut.

L’immobilier commercial est touché par deux forces: la baisse de la valeur des propriétés en raison de la hausse des taux d’intérêt et la baisse de l’occupation des bureaux en raison de l’augmentation du travail à domicile due à la pandémie de COVID.

Seru a noté que «des signes de détresse sont déjà visibles», la valeur boursière des sociétés de portefeuille immobilier ayant chuté de 55 pour cent depuis le début de la pandémie, se traduisant par une réduction de 33 pour cent de la valeur des immeubles de bureaux détenus par ces sociétés.

Si le taux de défaut de paiements dans l’immobilier commercial atteignait ne serait-ce que le plancher de celui observé après la crise de 2008, cela entraînerait des pertes pouvant atteindre 160 milliards de dollars qui pourraient avoir des «implications importantes» pour des centaines de banques régionales, petites et moyennes, déjà fragilisées par la hausse des taux d’intérêt.

Le marché des bons du Trésor est une autre source potentielle de crise comme il l’était en mars 2020. Au début de la pandémie, il s’est figé; la dette publique, censée être l’actif financier le plus sûr au monde, ne pouvait être vendue pendant plusieurs jours et la Fed fut contrainte d’intervenir, injectant rapidement 4000 milliards de dollars pour soutenir tous les secteurs du système financier.

Une analyse complète des causes du gel n’a jamais été présentée au cours des trois années écoulées depuis lors, malgré les enquêtes en cours des autorités financières, et des mesures visant à empêcher qu’il ne se reproduise n’ont certainement pas été mises en place.

En fait, le problème de la liquidité du marché du Trésor est depuis lors une épée de Damoclès sur tout le système.

Dans un commentaire publié dans le Financial Times (FT), Lori Heinel, chef du bureau mondial des investissements de la société financière State Street, a averti qu’«une crise de liquidité potentielle menace les marchés financiers».

Elle a identifié trois facteurs. Premièrement, l’évolution de l’environnement macroéconomique, passant d’un assouplissement quantitatif à un resserrement de la politique monétaire par les banques centrales.

Deuxièmement, l’incertitude quant à la politique monétaire qui génère une volatilité des taux d’intérêt.

Le troisième facteur, ce sont des changements importants dans les opérations du marché du Trésor qui affectent la liquidité, c’est-à-dire la capacité des négociants à faire des transactions importantes sans déclencher de grands retentissements.

Selon JPMorgan, le marché des bons du Trésor a quintuplé au cours des 15 dernières années, mais le nombre de négociants principaux facilitant les transactions a «décroché» et «l’ampleur du marché des bons du Trésor américain a diminué de près de 60 pour cent en 2022 pour atteindre des niveaux observés uniquement en période de crise».

Les cycles passés, a-t-elle écrit, n’étaient pas un guide de la dynamique de la liquidité dans les conditions actuelles, marquées par des chocs soudains tels que la guerre en Ukraine et la crise bancaire de mars.

L’impasse au Congrès sur la levée du plafond de la dette, la conséquence de la guerre civile au sein de l’establishment politique américain, est un autre déclencheur potentiel d’une crise du système financier.

La secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a déclaré au Congrès que le Trésor pourrait manquer d’argent dès le 1er juin. L’analyste financier Mohamed El- Erian a déclaré au FT que bien que l’on s’attende à ce qu’un accord de dernière minute soit conclu, si cela ne se produisait pas, «nous devrions nous attendre à voir une autre couche de volatilité financière dans un système qui a déjà perdu bon nombre de ses points d’ancrage».

Lors d’une conférence de presse la semaine dernière, le président de la Fed, Jerome Powell, a déclaré que le fait de ne pas relever le plafond de la dette embarquerait l’économie américaine dans un «territoire inconnu» et que «personne ne devrait supposer que la Fed peut protéger l’économie et le système financier et notre réputation des dommages qu’un tel événement pourrait infliger».

L’impasse sur le plafond de la dette alimente des inquiétudes plus larges quant au rôle du dollar américain en tant que monnaie mondiale. Depuis que le président Nixon a décidé la non-convertibilité en or du dollar en 1971, le dollar est devenu une monnaie fiduciaire. Elle ne repose plus sur l’or, en tant qu’incarnation matérielle de la valeur, mais sur la confiance dans l’économie américaine et son système politique.

Le rôle mondial du dollar a donné au gouvernement américain la capacité de faire ce qu’aucun autre pays ne pouvait faire. Il peut générer des déficits massifs de la balance commerciale et des paiements, accumuler des déficits budgétaires records en augmentant les dépenses militaires et fournir un soutien apparemment sans fin aux sociétés et aux banques à la fois par le biais de subventions directes du gouvernement et d’argent bon marché de la Fed.

Mais le déclin historique à long terme des États-Unis, associé à l’éruption de crises financières de plus en plus graves, remet en cause le rôle mondial du dollar.

L’utilisation croissante des sanctions financières dans ce qu’on appelle la «militarisation du dollar», tel que cela s’est produit avec le gel des avoirs en dollars de la banque centrale russe au début de la guerre d’Ukraine, a fait frissonner le système financier et soulevé des questions sur son rôle mondial.

Yellen a reconnu dans une interview à CNN le mois dernier qu’«il y a un risque lorsque nous utilisons des sanctions financières liées au rôle du dollar, au fil du temps cela pourrait saper l’hégémonie du dollar».

Il n’y a pas d’alternative mondiale au dollar à l’heure actuelle, mais il existe un effort de plus en plus acharné de se libérer de son emprise, comme en témoigne l’augmentation des accords commerciaux entre la Chine et un certain nombre d’autres pays effectuant des transactions dans leur propre monnaie.

Dans un commentaire du FT le mois dernier, Ruchir Sharma, président de Rockefeller International, a noté que le prix de l’or avait augmenté de 20 pour cent au cours des six derniers mois. Les principaux acheteurs étaient «les banques centrales, qui réduisent fortement leurs avoirs en dollars et recherchent une alternative sûre».

Les banques centrales, principalement du «monde en développement», y compris la Russie, l’Inde et la Chine, achètent plus de tonnes d’or qu’à tout moment depuis que les données ont été enregistrées en 1950.

Il a également noté, comme d’autres l’ont fait, que lors de la crise bancaire de mars, le dollar a baissé tandis que l’or a augmenté. Généralement, lorsqu’il y a une tempête financière, le dollar monte parce qu’il est considéré comme une «valeur refuge», mais pas à cette occasion. L’or se négocie actuellement à un prix proche de son record de 2089 dollars l’once qu’il a atteint en août 2020.

Les différents aspects de la montée de la crise financière ne sont pas des événements conjoncturels ou épisodiques passagers, qui aboutiront à un retour à la «normale».

Ils présagent d’énormes chocs économiques dans lesquels les classes dirigeantes du monde entier chercheront à faire payer à la classe ouvrière la crise historique du système de profit, intensifiant les mesures violentes déjà mises en œuvre.

À ce stade, la classe ouvrière n’est pas préparée à ce qui se profile. Le moyen de surmonter cet écart est une lutte politique visant à la conquête du pouvoir politique pour ouvrir la voie à un ordre économique supérieur: le socialisme.

(Article paru en anglais le 10 mai 2023)

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