La colère monte chez les travailleurs fédéraux canadiens face aux accords de capitulation de l’AFPC

Depuis plus d’une semaine que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) a ordonné à plus de 100.000 travailleurs du gouvernement fédéral de mettre fin à une puissante grève, l’opposition n’a cessé de croître à l’égard des réductions salariales réelles et des autres reculs contenus dans les contrats de capitulation provisoires que les dirigeants de l’AFPC ont négociés avec le gouvernement libéral.

La colère contre l’abandon par l’AFPC des principales revendications – à savoir des augmentations salariales à hauteur de l’inflation, des mesures de protection de l’emploi et le droit de travailler à distance – est si forte parmi les travailleurs de la base que l’exécutif national du plus grand syndicat de l’AFPC, le Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, s’est senti obligé d’appeler à voter «non».

Travailleuses en grève du gouvernement fédéral à Kitchener, en Ontario

L’AFPC a renoncé à toutes ses revendications initiales qui, même si elles avaient été satisfaites, auraient été bien en deçà des besoins des travailleurs. La demande initiale du syndicat concernant des augmentations salariales annuelles de 4,5 % pour un contrat de trois ans a été transformée en augmentations moyennes de 3 % par an pendant quatre ans, soit exactement ce que le gouvernement offrait au début de la grève. La prime à la signature de 2500 $ est un paiement unique et imposable qui n’offre aux travailleurs aucune protection à long terme contre l’inflation, qui a atteint plus de 8 % l’an dernier et qui continue d’augmenter à un taux annuel de près de 5 %.

En ce qui concerne le travail à distance, l’AFPC a accepté une lettre d’accompagnement non contraignante qui l’engage à examiner la question en collaboration avec l’employeur, ce qui signifie qu’il n’y aura aucun changement dans les droits et obligations contractuels des travailleurs. En ce qui concerne la sécurité d’emploi, les parties ont simplement convenu de soumettre une «recommandation» à la Commission des services publics nommée par le gouvernement pour que l’ancienneté soit un facteur parmi d’autres dans les décisions de licenciement.

Jeudi dernier, les négociateurs des syndicats et du gouvernement ont conclu un accord de principe similaire pour les 35.000 travailleurs de l’Agence du revenu du Canada. Le 19 avril, ces travailleurs avaient débrayé en même temps que les travailleurs fédéraux «centraux» employés par le Conseil du Trésor; ils ont ensuite été laissés à eux-mêmes après que l’AFPC a annoncé des ententes de principe pour les quatre unités de négociation du Conseil du Trésor. Le Syndicat des employés de l’Impôt (SEI) de l’AFPC avait d’abord demandé une augmentation salariale plus importante, faisant valoir que ses membres avaient traditionnellement bénéficié de la parité salariale avec les employés de l’Agence des services frontaliers du Canada qui administrent la Loi sur l’accise. En fin de compte, l’AFPC-SEI a accepté la même augmentation de 12 %, bien qu’elle ait tenté de prétendre qu’elle avait obtenu «plus» en raison d’une différence de formulation par rapport aux autres accords de principe.

La réaction des travailleurs aux revendications «historiques» de l’AFPC a été vive et rapide, comme en témoigne l’avalanche de commentaires furieux sur les médias sociaux. «Que d’efforts pour nous faire avaler une mauvaise entente», pouvait-on lire sur Twitter. «Les membres du syndicat devraient remplacer leurs dirigeants». Un autre travailleur a ajouté, en réponse à un tweet de l’AFPC: «Quelle triste journée pour les syndicats! Vous êtes pathétiques. Vous faites cette grève “historique” et vous vous retrouvez avec la même entente pour tout le monde, avec une année de plus de l’offre initiale de l’employeur. Cela valait-il la peine de faire grève?»

La direction de l’AFPC a d’abord cherché à éviter de déclencher une grève, puis à en limiter l’impact en isolant les travailleurs du gouvernement fédéral et en acceptant docilement que quelque 45.000 travailleurs soient désignés comme «employés essentiels», ce qui leur interdisait légalement de se joindre à la grève.

Malgré l’expiration de leur contrat de travail en 2021, le syndicat a poursuivi les pourparlers avec le gouvernement libéral Trudeau, pro-guerre et pro-austérité, pendant près de deux ans, malgré les provocations délibérées et les tentatives de sabotage de la négociation par l’employeur. Lorsque la grève a commencé, le président national de l’AFPC, Chris Aylward, a reculé sur toutes les revendications clés sans jamais consulter les membres, tandis que le syndicat a refusé de faire appel à d’autres sections de travailleurs confrontés à des attaques similaires sur les salaires et les conditions de travail. Et ce, malgré le fait que la partie patronale, encouragée par les grands médias, ait dénoncé avec véhémence les grévistes et ait clairement fait savoir qu’elle considérait l’application d’énormes reculs comme une référence pour les travailleurs des provinces et du secteur privé dans tout le pays.

L’assaut brutal du gouvernement Trudeau contre les travailleurs du gouvernement fédéral est motivé par son programme de guerre de classe, à savoir la guerre impérialiste à l’étranger et l’austérité pour les travailleurs à l’intérieur du pays. Les libéraux dépensent des dizaines de milliards de dollars pour la guerre menée par les États-Unis contre la Russie en Ukraine et pour le réarmement de l’armée.

En outre, les centaines de milliards remis aux banques et aux grandes entreprises au début de la pandémie de COVID-19, sans aucune condition, doivent maintenant être retirés à la classe ouvrière. Pour ce faire, les libéraux s’appuient sur leur alliance avec les syndicats et le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui a servi de mécanisme clé pour étouffer la lutte des classes au cours des dernières décennies.

La décision de la direction du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada d’appeler ses 36.000 membres à voter «non» à l’entente de principe lors des prochaines réunions de ratification ne contredit en rien le rôle central des syndicats dans l’alliance libérale pour l’austérité et la guerre. Elle reflète plutôt une préoccupation croissante au sein d’une faction de la bureaucratie selon laquelle la trahison de l’AFPC est si effrontée qu’elle pourrait déclencher une rébellion de la base qui doit être contenue au sein de l’appareil syndical pour l’empêcher de se transformer en un défi direct et explicite au gouvernement libéral et à ses partisans dans la bureaucratie syndicale.

Ce fait s’est reflété dans l’annonce faite par le SEIC sur son site Internet, selon laquelle le syndicat mènerait une campagne de «vote négatif» sur l’accord. On peut y lire: «Notre direction a entendu un message clair de la part d’un nombre écrasant de membres de la base, qui ne veulent pas que notre syndicat accepte cet accord». La lettre poursuit en indiquant que l’accord salarial entraînerait «un retard encore plus important de nos membres par rapport à l’inflation» et qu’il ne permettrait pas d’obtenir le droit au travail à distance.

La lettre conclut: «Les membres de l’exécutif national du SEIC estiment que le rejet de cet accord permettra d’exercer la pression nécessaire sur le gouvernement pour qu’il dépose plus d’argent et qu’il soit plus disposé à négocier d’autres avantages, y compris un meilleur accord sur la terminologie du travail à distance.»

Cette déclaration est une stratégie totalement erronée qui ne remet nullement en cause le système réactionnaire de négociation collective qui étouffe la lutte des classes depuis des décennies. Les gouvernements fédéral et provinciaux, qu’ils soient dirigés par les libéraux, les conservateurs ou le Parti Québécois (PQ), ont eu recours à plusieurs reprises à des lois de retour au travail briseuses de grève.

La conspiration des représentants du gouvernement et des bureaucrates syndicaux à la «table de négociation» ne changera pas si davantage de «pression» est exercée par le bas. La seule façon pour les travailleurs du gouvernement fédéral d’obtenir leurs revendications est de faire du «non» le point de départ de la lutte pour une stratégie entièrement nouvelle: une stratégie qui cherche à faire d’une grève renouvelée le fer de lance d’une contre-offensive de masse de la classe ouvrière qui doit d’abord et avant tout se développer comme une lutte politique contre le programme d’austérité et de guerre du gouvernement Trudeau et ses alliés de la bureaucratie syndicale et du NPD. La faction de la bureaucratie de l’AFPC qui appelle à voter «non» est tout aussi hostile à cette perspective que les partisans de l’accord de principe.

Comme on pouvait s’y attendre, la pseudo-gauche s’est empressée de promouvoir la faction dissidente de la bureaucratie syndicale, cherchant à rallier les travailleurs derrière elle et à maintenir l’autorité de l’AFPC et des syndicats corporatistes dans leur ensemble. La Riposte, la section canadienne de la Tendance marxiste internationale, a qualifié la campagne du «non» du SEIC de «développement progressiste». Elle demande aux dirigeants du SEIC de «diffuser la campagne dans tous les éléments de l’AFPC». En même temps, La Riposte exhorte les travailleurs à «ne pas attendre que leurs dirigeants prennent position sur le vote de ratification» et à s’organiser en «comités de base avec des travailleurs partageant les mêmes idées» pour faire campagne en faveur d’un vote négatif.

Ce n’est rien d’autre que de belles paroles militantes destinées à semer la confusion parmi les travailleurs et à les empêcher de se libérer de l’emprise organisationnelle et politique paralysante du syndicat. Les «comités de base» proposés par La Riposte ne sont pas conçus comme des mécanismes de mobilisation de la classe ouvrière dans la lutte, indépendamment des bureaucraties syndicales pro-gouvernementales et en opposition à elles. La Riposte promeut plutôt l’action de la base comme un moyen de pression sur la bureaucratie syndicale afin qu’elle mène une lutte plus efficace et plus militante dans le cadre des négociations collectives.

Ce fait est mis en évidence par l’approbation sans équivoque par La Riposte de la stratégie pathétique du SEIC consistant à utiliser un vote négatif pour faire pression à la table des négociations. Ils n’ont rien à dire sur la nécessité d’une lutte politique contre le gouvernement Trudeau et ses alliés du NPD et des syndicats, ce qui n’est guère surprenant étant donné les liens étroits de ce groupe de pseudo-gauche avec la bureaucratie syndicale et le statut de ses membres en tant qu’adhérents du NPD. Et ils jugent qu’il n’est pas approprié de mentionner que l’AFPC est l’un des plus grands membres du Congrès du travail du Canada, un pilier clé du gouvernement Trudeau depuis son arrivée au pouvoir en 2015.

Si les travailleurs du gouvernement fédéral veulent l’emporter, ils doivent prendre la lutte en main. Ils doivent établir des comités de base pour retirer la direction de la lutte contractuelle des mains de la bureaucratie syndicale, faire campagne pour un vote négatif et lutter pour élargir la lutte à toutes les sections de la classe ouvrière, dans le secteur privé comme dans le secteur public.

L’opposition généralisée à l’entente de principe doit être transformée en un défi politique conscient de la classe ouvrière à l’austérité et à la guerre, à leurs exécutants dans le gouvernement Trudeau et à leurs alliés dans la bureaucratie syndicale et le NPD. La mobilisation systématique des travailleurs contre les réductions des salaires réels, le démantèlement des services publics, les lois antigrèves et le détournement des ressources de la société vers la guerre et le réarmement doit déclencher un mouvement de masse pour le pouvoir ouvrier et la redistribution des vastes ressources de la société afin de répondre aux besoins sociaux de base, y compris des emplois décents et sûrs pour tous.

(Article paru en anglais le 10 mai 2023)

Loading