Canada: Hausse marquée des décès officiels au travail – et des milliers d’autres ne sont pas rapportés

La journée nationale de commémoration des décès survenus sur le lieu de travail au Canada a été marquée à la fin du mois dernier, le 28 avril. Pour les personnes directement touchées, leurs familles, leurs amis et leurs collègues, cette journée peut être l’occasion de réfléchir à ce qui a été perdu. Pour les ministres du gouvernement et leurs laquais à la tête des bureaucraties syndicales, il s’agit simplement d’une journée où l’on porte des rubans colorés, où les drapeaux sont en berne et où l’on prononce des discours sombres mais creux lors de cérémonies publiques.

Un échafaudeur en Alberta [Photo: Government of Alberta]

En 1991, le gouvernement fédéral a conféré à cette occasion un statut officiel en adoptant la Loi sur le jour de compassion pour les travailleurs, qui stipule qu’«est souhaitable que les Canadiens instituent un jour de compassion pour commémorer les travailleurs tués, atteints d’incapacité ou blessés à leur travail» et que «les Canadiens cherchent ardemment à donner un exemple de leur attachement à la cause de la santé et de la sécurité au travail».

La loi ne prend aucun engagement et ne propose aucune mesure pour remédier au carnage en cours, si ce n’est de se souvenir, une fois par an, du nombre toujours grandissant de victimes du système capitaliste.

Toutefois, la loi précise clairement que le Jour de compassion «n’est pas une fête légale ni un jour non juridique et n’est pas tenu d’être célébré ou observé comme tel». En d’autres termes, le gouvernement canadien a accordé à la commémoration de ce qui est, en moyenne, la mort de trois travailleurs par jour, autant de gravité et de solennité que la Journée nationale du violon ou la Journée nationale de la philanthropie.

La façade de préoccupation des cercles officiels pour la vie et le bien-être des travailleurs est trahie par les chiffres réels. Selon les dernières statistiques disponibles de l’Association des commissions des accidents du travail du Canada, les accidents du travail ont augmenté de 9 %, passant de 253.397 en 2020 à 277.225 en 2021. Officiellement, 1081 travailleurs ont été tués au travail au cours de cette dernière année. Il s’agit d’une augmentation étonnante de 16 % par rapport au total de 924 en 2020 et d’une augmentation significative par rapport à la moyenne annuelle de 945 depuis 2009.

Aussi scandaleux que soient ces chiffres, ils ne représentent que les demandes approuvées compilées par les commissions d’indemnisation des accidents du travail dans tout le pays et n’incluent pas les demandes non indemnisées, les personnes exemptées de couverture ou les cas tels que les suicides dus au stress ou les accidents mortels survenus pendant les trajets domicile-travail.

En fait, au moins 2 millions de travailleurs au Canada ne sont même pas couverts par un système public d’indemnisation des travailleurs. Il s’agit, entre autres, des agriculteurs, des travailleurs indépendants et des travailleurs itinérants. Compte tenu des décès qui ne répondent pas aux critères d’inclusion des commissions d’indemnisation et du grand nombre de travailleurs qui ne sont tout simplement pas pris en compte, des études suggèrent que le nombre réel de décès annuels directement liés au travail au Canada est, de manière plus réaliste, supérieur à 10.000.

Il n’est pas surprenant que le nombre de morts et de blessés ait augmenté de façon aussi spectaculaire au cours des dernières années, compte tenu des pressions énormes exercées sur les travailleurs par la classe dirigeante, qui cherche sans relâche à maximiser les profits et à réduire les coûts à tout prix. La classe ouvrière a été poussée à l’épuisement et au désespoir par l’imposition d’heures supplémentaires forcées dans de nombreuses industries et les menaces constantes de licenciements et de réductions dans d’autres, tout en essayant de survivre à l’assaut renouvelé de l’inflation sur ce qui était déjà des décennies de baisse du niveau de vie.

La réaction de l’élite dirigeante à la pandémie de COVID-19, qui fait passer les profits avant la vie, est une source majeure d’accidents et de décès au travail depuis 2020. En Ontario, la charge de la preuve pour pouvoir prétendre à une indemnisation à la suite d’une infection par le COVID-19 incombe à l’employé, et ce dans une mesure qui la rend extrêmement difficile à établir.

Plus précisément, la Commission de la sécurité et de l’inspection du travail de l’Ontario stipule ce qui suit: «Pour qu’une demande d’indemnisation au titre du COVID-19 soit acceptée, les preuves doivent démontrer que le risque pour la personne de contracter la maladie dans le cadre de son emploi est supérieur au risque auquel le grand public est exposé et que le travail a contribué de manière significative à la maladie de la personne.»

À l’exception des infirmières, des premiers intervenants et des aides-soignants, dans des circonstances très particulières, les chances qu’un travailleur prouve qu’il a été infecté sur son lieu de travail sont quasiment impossibles. Il est certain que des milliers d’infections par COVID-19 et un très grand nombre des plus de 50.000 morts au Canada peuvent être attribués à une exposition sur le lieu de travail. Le nombre de travailleurs contraints de travailler tout au long des premiers confinements limités en raison de leur catégorisation comme «essentiels» était considérable.

À cela s’ajoute le fait que seuls 40 % des travailleurs, et seulement 10 % de ceux à bas salaires, ont accès à des congés de maladie rémunérés. La simple pression économique liée à la nécessité de payer les factures fait que les gens travaillent alors qu’ils sont infectés. Une étude menée en 2020-2021 dans la région de Peel, en Ontario, a révélé qu’un quart des employés se rendaient au travail alors qu’ils présentaient des symptômes, et qu’un pour cent d’entre eux se rendaient au travail même après avoir été testés positifs au COVID-19.

Comme preuve de leurs prétendus efforts pour protéger les travailleurs sur leur lieu de travail, le gouvernement libéral Trudeau, pro-guerre et pro-austérité, et ses alliés au sein de la bureaucratie syndicale et du Nouveau Parti démocratique, citent le projet de loi C-45, également connu sous le nom de «loi Westray». Cette loi a été ajoutée au Code pénal du Canada en 2004 afin d’établir la responsabilité pénale des organisations en cas de décès et de blessures sur le lieu de travail.

Cette loi porte le nom de la catastrophe survenue en 1992 dans une mine de charbon de Nouvelle-Écosse, qui a coûté la vie à 26 mineurs. Il a fallu 12 ans pour qu’une loi soit promulguée afin de remédier à une situation future telle que le mépris flagrant pour la vie des travailleurs dont ont fait preuve les propriétaires et les superviseurs de Westray. Aucune personne de Westray n’a finalement été condamnée pour un quelconque délit, malgré les plaintes répétées concernant les problèmes de sécurité qui avaient précédé la catastrophe.

Entre 2004 et 2022, ces dispositions du Code pénal ont rarement été utilisées. Sur les 23 cas où la loi Westray a été appliquée, des accusations de négligence criminelle ont été portées contre 17 personnes et 13 sociétés. Seules deux personnes et sept sociétés ont été condamnées. Dans un seul cas, une peine d’emprisonnement de trois ans et demi a été prononcée. Dans les huit autres cas, les sanctions allaient d’environ 100.000 dollars à environ 2,5 millions de dollars d’amendes et de frais. Au cours de la même période, au moins 16.000 travailleurs ont été officiellement tués sur leur lieu de travail dans tout le pays, le nombre réel étant sans aucun doute beaucoup plus élevé.

Deux semaines seulement avant la célébration du Jour national de compassion de cette année, un épisode s’est déroulé devant un tribunal pénal qui illustre le mépris de la classe dirigeante capitaliste et de son système judiciaire à l’égard de la vie de la classe ouvrière.

Comme le World Socialist Web Site l’a rapporté plus tôt cette année, Patrick Poitras, 25 ans, de Saint-André au Nouveau-Brunswick, s’est noyé dans un bassin de résidus gelé à la mine Base de Suncor, à environ 30 kilomètres au nord de Fort McMurray, en Alberta, le 13 janvier 2021. Il conduisait un bulldozer sur le bassin gelé lorsque la glace a cédé et que le véhicule a coulé.

Suncor et Christina River Construction, qui faisaient face à un total de 28 chefs d’accusation, ont plaidé coupables d’un seul chef d’accusation en vertu de la loi albertaine sur la santé et la sécurité au travail (Occupational Health and Safety Act) dans le cadre du décès de M. Poitras. Les deux parties se sont soumises à un exposé conjoint des faits lu dans le dossier de la Cour provinciale de Fort McMurray. Suncor a admis que les mesures nécessaires effectuées sur la glace avaient indiqué qu’elle était trop mince pour supporter le poids du bulldozer que Poitras conduisait. Christina River a plaidé coupable à un chef d’accusation qui précise l’obligation d’un entrepreneur de ne pas créer de risque pour la santé et la sécurité d’une personne.

Après le retrait de tous les autres chefs d’accusation, le tribunal a accepté une demande conjointe de condamnation. Un jugement total de 745.000 dollars a été prononcé à l’encontre des deux sociétés. Christina River Construction a été condamnée à payer un total de 325.000 $. Sur cette somme, 200.000 $ serviront à financer la création d’une bourse commémorative et d’un prix commémoratif de sécurité au nom de Patrick Poitras, 75.000 $ serviront à subventionner des cours de sécurité et les 50.000 $ restants serviront d’amende.

Suncor a été condamnée à payer un total de 420.000 dollars. Sur ce total, 50.000 dollars serviront d’amende et les 370.000 dollars restants seront utilisés pour financer la recherche en matière de sécurité technique et de gestion des risques. Mais c’est le fait que les dangers de l’environnement de travail dans les sables bitumineux étaient déjà si bien connus qui a conduit au dépôt de 28 plaintes en premier lieu.

Suncor est connue pour son attitude laxiste en matière de sécurité, qui a entraîné la mort d’au moins 12 travailleurs dans ses installations de sables bitumineux dans le nord de l’Alberta depuis 2014. Avec plus de 27 milliards de dollars de bénéfices bruts l’année dernière, l’amende dérisoire imposée par le tribunal n’aura aucune valeur dissuasive sur les pratiques brutales du géant des sables bitumineux.

C’est la nature même du système de profit capitaliste et de l’appareil d’État qui le soutient, qui valorise l’acquisition de richesses privées au détriment de la santé et de la sécurité des travailleurs individuels, des communautés et de la planète tout entière, qui conduit au massacre quotidien sur les lieux de travail à travers le pays. Ce n’est qu’en luttant pour mettre fin au capitalisme et en établissant un pouvoir ouvrier que l’on pourra mettre un terme à ce massacre pratiquement sans retenue.

(Article paru en anglais le 17 mai 2023)

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