Les travailleurs de Clarios en Allemagne soutiennent la grève de Toledo et dénoncent des conditions de travail dangereuses

La grève de 525  travailleurs de l’usine de batteries Clarios, dans l’État américain d’Ohio, entrera bientôt dans sa deuxième semaine. Les travailleurs se battent contre les baisses de salaire, les changements d’horaires et les conditions de travail dangereuses.

Les travailleurs de Clarios mènent un combat crucial contre une multinationale qui fournit les batteries des trois quarts des automobiles produites tous les ans dans le monde. Sous de nombreuses marques différentes, Clarios exploite des usines dans des dizaines de pays, dont la France, l’Italie, la Belgique, l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Allemagne.

Dans une déclaration publiée en début de semaine dernière, l’Alliance internationale des travailleurs des comités de base (initiales anglaises IWA-RFC) explique aux travailleurs qu’il faut «aborder la grève de manière stratégique, comme une bataille cruciale dans une guerre plus large». L’issue de la lutte aura un impact énorme non seulement pour les 173.000  travailleurs de l’automobile des Trois Grands (Ford, General Motors, Stellantis) aux États-Unis et au Canada et dont les contrats expirent plus tard dans l’année, mais aussi pour les travailleurs dans le monde entier.

Des journalistes du World Socialist Web Site se sont entretenus mercredi avec des travailleurs de Clarios au siège européen de l’entreprise à Hanovre, en Allemagne, au sujet de la grève dans l’Ohio et de son importance. Le site allemand de Clarios Varta abrite la plus grande usine de batteries pour applications automobiles en Europe.

L’Usine Clarios à Hanovre, Allemagne

Clarios exploite 12 usines dans sept pays d'Europe et emploie plus de 3.800 personnes, dont environ 1.300 à Hanovre. De nombreux sites continuent de produire des batteries automobiles au plomb pour voitures et camions.

La plupart des travailleurs du site de Hanovre sont employés par des sous-traitants ou des sociétés extérieures. Nombre d’entre eux sont des ‘‘temporaires’’ [intérimaires] à long terme. Tous ceux interrogés ont déclaré qu’ils n’ont pas été informés de la grève de leurs collègues américains, que ce soit par les syndicats, le comité d’entreprise, la direction de l’entreprise ou les médias.

La bureaucratie du syndicat automobile UAW (United Auto Workers) a présenté aux travailleurs de Clarios un accord de principe qui aurait autorisé des équipes de 12 heures sans paiement d’heures supplémentaires et introduit un modèle d'équipes tournantes 2-2-3. Les travailleurs de Toledo ont rejeté ce contrat à 98  pour cent, ce qui a entraîné une grève. Depuis, l'entreprise utilise des briseurs de grève, avec le soutien de la police. Elle a obtenu une injonction du tribunal interdisant les piquets de grève de plus de cinq travailleurs.

Pendant ce temps, l'UAW et le syndicat IG Metall en Allemagne tentent de garder la grève secrète, ne faisant rien pour organiser du soutien pour les travailleurs de Toledo.

À Hanovre, les journalistes du WSWS ont distribué un tract d’information, auquel la direction a réagi de manière extrêmement nerveuse. Après que la sécurité de l’usine leur ait ordonné de quitter les lieux, Christian Riedel (directeur de la communication de Clarios EMEA) est apparu, quelques minutes plus tard, et a exigé un tract. Contrairement aux travailleurs, Riedel était parfaitement au courant de la grève («Cela dure depuis deux semaines»).

Un travailleur intérimaire avec lequel le WSWS s’est entretenu a soutenu la grève des travailleurs de Tolède: «Oui, parce que si le salaire est inférieur à l’inflation, ils ne peuvent pas en vivre. Je suis donc tout à fait favorable à la grève».

«Avec l’inflation mondiale, tout change. Partout dans le monde, c’est difficile. Ce n’est plus une époque normale. Il y a d’abord eu la pandémie de coronavirus, puis la guerre en Ukraine. Nous ne vivons plus des temps normaux. Les choses ne seront plus jamais les mêmes», a-t-il déclaré.

Pourtant, les travailleurs étaient confrontés aux mêmes problèmes partout dans le monde. «Il ne s’agit pas seulement d’un, deux ou trois pays. Où que vous regardiez, l’inflation augmente et tout devient plus cher. Quand vous allez au supermarché, vous ne pouvez rien acheter et en même temps le salaire est très bas».

Les bureaucrates syndicaux «ne pensent pas du tout à nous», a-t-il ajouté. «Les travailleurs doivent donc s’unir et faire face à leurs problèmes ensemble». Et puisqu’une entreprise comme Clarios opère au niveau international, les travailleurs devaient également «s’unir au niveau international et lutter pour un objectif commun».

Le WSWS s’est entretenu avec deux autres travailleurs intérimaires qui ont également soutenu la grève de Tolède, mais qui ont souhaité rester anonymes. «Si nous disons publiquement quelque chose contre l’entreprise, en tant que travailleurs intérimaires, nous sommes directement licenciés», a déclaré l’un d’eux. «Mais il faudrait qu’une équipe de journalistes infiltrés pénètre un jour dans l’usine pour montrer ce qui s’y passe».

Markus a 35  ans et travaille chez Clarios depuis plusieurs années : «Je n’ai pas fait de prise de sang depuis des mois parce que je sais que mon taux de plomb est bien supérieur à la limite, et que je perdrais alors mon emploi».

Selon Markus, l’entreprise lésine sur les mesures de santé et de sécurité au travail. Par exemple, les vapeurs de plomb toxiques ne sont pas éliminées correctement et s’échappent illégalement dans l’environnement par les fenêtres ouvertes. «Nous devons parfois attendre des jours pour avoir des vêtements de protection».

«Ce sont les intérimaires qui font tourner l’entreprise, car il n’y a presque plus de permanents ici», poursuit Markus. «Contrairement au personnel permanent, nous, les intérimaires, n’avons pas reçu de “compensation de l’inflation”, bien que nous fassions exactement le même travail qu’un salarié permanent. En même temps, nous sommes déjà moins bien payés. De nombreux collègues doivent rembourser des emprunts pour des maisons et des voitures, ce qui est très difficile pour eux. En même temps, rien ne fonctionnerait ici si nous, les intérimaires, prenions pour une fois des vacances».

Cependant, il était difficile de «créer la cohésion nécessaire pour que tout le monde se serre les coudes». Les conditions de travail font pression sur beaucoup de travailleurs. «À une réunion il y a quelques mois, le comité d’entreprise a parlé de 40  collègues qui sont morts ces dernières années juste après avoir pris leur retraite. Ici, on se ruine la santé, surtout à cause de l’exposition au plomb».

Tom, 19  ans, ne travaille chez Clarios que depuis quelques mois: «Un collègue qui a fait tourner l’équipe pendant des décennies s’est ruiné la hanche au travail». Les superviseurs avaient répondu à ses plaintes en lui disant qu’ils ne pouvaient rien y faire. «Un chef de service est venu dans le hall pour dire au collègue qu’on avait besoin de lui et qu’il ne pouvait pas le transférer à un poste moins dur. Ce collègue est malade depuis des mois et ne pourra probablement pas travailler pendant le reste de l’année».

«Un autre a subi de graves brûlures alors qu’il travaillait avec du téflon, à cause d’une étincelle provenant d’un four à 400  degrés situé à côté de lui. Il était en feu de la tête aux pieds, bien que les vêtements de protection ne soient en fait pas inflammables. Il est toujours à l’hôpital aujourd’hui, des mois plus tard, parce qu’on a du lui faire des greffes de peau».

Selon Tom, l’une des raisons de l’augmentation de ce type d’accidents du travail est que l’entreprise fait porter aux travailleurs la responsabilité de former leurs nouveaux collègues aux machines et aux opérations complexes.

Il sort un manuel de travail rédigé en allemand. «Beaucoup de nouveaux collègues sont des réfugiés et ne parlent pas du tout allemand; il faut se faire comprendre en faisant des gestes. Si bien que beaucoup ne savent même pas à quelles matières dangereuses ils ont affaire ici. On voit souvent des gens qui ne portent pas correctement leur masque de protection, l’un d’entre eux a même mangé dans le hall de production. En faisant ça on risque sa vie».

Markus ajoute: «Les patrons n'ont aucune idée de notre travail. Ils devraient essayer de travailler ici ne serait-ce que trois heures. C'est exactement la même chose aux États-Unis. Nos collègues américains devraient se mettre en grève. Il faudrait que cela se passe ici aussi».

En réponse au commentaire que Clarios occupe une position extraordinairement importante dans la chaîne d’approvisionnement automobile internationale et qu’une grève affecterait immédiatement l’ensemble du secteur automobile, Markus a déclaré: «Je pense que c’est exactement ça qu’il leur faudrait. C’est exactement ça qu’on devrait faire».

La production de batteries sur le site de Hanovre a une longue histoire d’exploitation extrême. Il y a vingt ans, la multinationale américaine Johnson Controls a racheté l’entreprise de longue date Varta AG et a vendu sa division Power Solutions à Brookfield Business Partners en 2019. Cela a conduit à la création de Clarios.

Mais la production de batteries avait déjà commencé à Hanovre en 1938 avec la création de l’usine Akkumulatorenfabrik (AFA) par l’industriel et profiteur nazi Günther Quandt. Au lieu des batteries de propulsion et de démarrage au plomb initialement prévues pour divers véhicules, on a produit à partir de 1940 des batteries de propulsion pour sous-marins et torpilles. Quandt est devenu l’un des principaux producteurs d’armement pour les nazis.

On a astreint les prisonniers de guerre et les détenus des camps de concentration au travail forcé et on les a exploités dans des conditions bestiales. À cette fin, on a construit un camp de concentration directement sur le site de l’usine, comme annexe du camp de concentration de Neuengamme. Au moins 1.500  prisonniers des camps de concentration et 3.700  travailleurs forcés ont été utilisés dans l’usine AFA de Hanovre. La mort d’au moins 403  détenus est documentée.

A la Libération, le 8  mai 1945, les bâtiments de l’usine de Hanovre n’étaient que légèrement endommagés. L’usine a été occupée par l’armée britannique, qui y a fait fabriquer des batteries pour ses véhicules. Lors de la «dénazification», Günther Quandt fut considéré comme un «compagnon de route», bien qu’il ait été Wehrwirtschaftsführer (Leader de l’économie de Défense, nommé par les nazis).

En 1948, Günther Quandt a repris la direction de l'AFA. Son fils, Herbert Quandt, devient président du conseil d'administration en 1954 et un second fils, Harald Quandt, président du conseil de surveillance. Les Quandt restent l'une des familles les plus riches d'Allemagne, avec une valeur nette combinée de 31 milliards d'euros [39 milliards de dollars]. (De précieuses informations de fond sont disponibles dans l'article du WSWS intitulé «Milliardaires nazi: comment les financiers d'Hitler sont toujours en activité», par David de Jong).

Le WSWS exhorte les travailleurs du monde entier à soutenir la grève des Clarios et à se battre pour élargir la lutte. Lisez et distribuez la déclaration de l'IWA-RFC, «Un appel à l'action pour les travailleurs de l'automobile de la base: mobilisons-nous pour soutenir la grève de Clarios» pour aider à briser le black-out de l'information.

(Article paru d’abord en anglais le 20  mai 2023)

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