Avec l’appui des syndicats, le projet de loi 19 du Québec autorise une hausse spectaculaire du travail des enfants

Le projet de «Loi sur l’encadrement du travail des enfants» du gouvernement de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ), présenté à l’Assemblée nationale sous le nom de projet de loi 19 à la fin du mois de mars, fait partie d’une attaque en règle contre les droits sociaux de la classe ouvrière québécoise et canadienne.

L’establishment politique – y compris le parti de pseudo-gauche, Québec Solidaire, et la bureaucratie syndicale – promeut cyniquement le projet de loi 19 comme un moyen d’assurer la sécurité et le «développement» personnel des jeunes.

En réalité, elle donne un vernis juridique à une augmentation spectaculaire de l’exploitation des enfants par les entreprises capitalistes.

Le travail des enfants a toujours été une sombre réalité sous le capitalisme. Il a fallu des générations de luttes de la classe ouvrière pour le limiter et obtenir l’accès à l’éducation pour les enfants des classes populaires. Au XXe siècle, les classes dirigeantes ont été contraintes d’adopter des lois pour réglementer et limiter le travail des enfants, mais le phénomène a persisté, en particulier dans les pays les plus pauvres dominés par le Canada et les autres puissances impérialistes.

Jean Boulet, ministre du Travail du Québec et parrain du projet de loi 19 à l’Assemblée nationale, s’adressant à une conférence de bureaucrates des syndicats des métiers de la construction du Canada (SMCC) au début du mois. [Photo: Twitter/Jean Boulet]

La nouvelle législation proposée par le premier ministre du Québec, François Legault, et le ministre du Travail de la CAQ, Jean Boulet, s’inscrit dans le cadre d’une pression internationale exercée par l’élite capitaliste pour normaliser et étendre le travail des enfants, en faisant revivre les éléments les plus rétrogrades de l’essor du capitalisme à l’époque victorienne. Le mois dernier, le Sénat de l’Iowa, dirigé par les républicains, a déposé un projet de loi qui démantèlerait de nombreuses restrictions sur le travail des enfants dans cet État américain, élargirait les types d’emplois que les mineurs peuvent légalement occuper et prolongerait la durée maximale et l’heure de fin des quarts de travail.

L’exploitation des jeunes s’est intensifiée ces dernières années, en particulier depuis la pandémie. Dans le cadre de la politique du «profit avant la vie» adoptée par les gouvernements capitalistes du monde entier en réponse au COVID-19, les entreprises et les écoles ont été rouvertes prématurément, ce qui a entraîné l’infection massive des travailleurs et des jeunes. Les employeurs, grands et petits, se sont tournés vers des employés de plus en plus jeunes et de moins en moins bien payés pour pallier une pénurie de main-d’œuvre de longue date, exacerbée par la pandémie.

Si l’embauche de jeunes de 16 ans est courante depuis longtemps, celle de jeunes de 12 à 14 ans s’est normalisée au cours des dernières années. Selon une enquête menée en janvier 2023 par le CIUSSS de l’Estrie, une agence gouvernementale de santé, auprès de 18.000 lycéens de la région des Cantons de l’Est au Québec, 62 % d’entre eux travaillaient, soit une augmentation de 26 % en un an seulement. Plus alarmant encore, parmi les élèves de 12 ans du secondaire 1, 54 % des répondants ont déclaré qu’ils travaillaient en 2023, contre 13 % en 2022. Un cinquième des répondants du secondaire 1 ou 2 ont déclaré travailler plus de 15 heures par semaine.

L’establishment politique et les grands médias présentent cyniquement le travail des enfants comme une «expérience enrichissante». Pourtant, les experts s’accordent à dire que les conséquences négatives du travail sur la santé mentale et l’éducation des jeunes peuvent être sévères. Outre le stress et l’anxiété, le temps et l’énergie perdus au travail se traduisent pour les jeunes par de la fatigue et un manque de sommeil, ce qui peut avoir un impact sur leurs résultats scolaires et les amener à abandonner l’école. Comme le souligne Audrey Mckinnon, directrice générale du Réseau québécois pour la réussite éducative, «les études montrent qu’à partir de 15 heures [par semaine], c’est difficile, et qu’à partir de 20 heures, on tombe dans des zones critiques pour beaucoup de jeunes».

Le nombre d’accidents du travail chez les jeunes a augmenté de façon exponentielle au cours de la dernière décennie. Selon le Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM) – un organisme consultatif du gouvernement du Québec composé de fonctionnaires du ministère du Travail et de représentants des syndicats et des employeurs – le nombre annuel d’accidents du travail chez les jeunes de 16 ans et moins est passé de 278 à 447 entre 2017 et 2021, soit une augmentation de 60,8 %. Pour les enfants de moins de 14 ans, le nombre d’accidents est passé de 10 à 64 par an, soit une augmentation de 540 %. Selon les experts, ces chiffres sont nettement sous-estimés.

Les enfants travailleurs sont également victimes d’accidents mortels sur leur lieu de travail. En février, Zohaib Aamir Shafiqui, 16 ans, a été heurté et tué par un chasse-neige alors qu’il récupérait des chariots à l’épicerie de Laval où il travaillait. En 2021, Charles-Antoine Poulin, 14 ans, est décédé après avoir été éjecté et écrasé par la structure protectrice du chariot élévateur qu’il conduisait pour la première fois, sans supervision ni formation.

Ces accidents mortels et l’accroissement rapide du travail des enfants au Québec ont suscité des appels de plus en plus nombreux de la part de la population en faveur d’une législation visant à mieux encadrer, voire à abolir, le travail des enfants. Le projet de loi 19 du gouvernement de la CAQ vise, d’une part, à étouffer ces protestations et, d’autre part, à normaliser et à rendre légale cette pratique rétrograde. En qualifiant sa loi de «perfectible», le gouvernement réactionnaire de la CAQ reconnaît tacitement que ses mesures de protection sont largement vides de sens et que les employeurs pourront poursuivre leurs activités comme si de rien n’était.

Pour donner une aura de légitimité au processus, Legault et Boulet ont impliqué le CCTM, l’un des innombrables comités tripartites gouvernement-patronat-syndicat qui servent à subordonner les intérêts de la classe ouvrière à l’élite dirigeante québécoise.

Le projet de loi 19 reprend pour l’essentiel les recommandations du comité. Le texte est rédigé de telle manière qu’il ouvre la porte à de nombreuses exceptions et dérogations. Officiellement, l’âge minimum pour travailler serait fixé à 14 ans. Mais un enfant de moins de 14 ans pourrait travailler avec l’autorisation de ses parents dans des domaines «à faible risque» tels que «le gardiennage, l’aide aux devoirs, les camps d’été, les pratiques artistiques» et dans «une entreprise familiale de moins de 10 employés» s’il est «un enfant du propriétaire». Officiellement, le nombre maximum d’heures doit être fixé à 17 heures par semaine, avec un maximum de 10 heures pendant la semaine scolaire de cinq jours.

Les organisations d’employeurs, en particulier celles qui représentent le secteur des services et les petites entreprises dont les profits dépendent fortement de salaires très bas, ont critiqué le projet de loi et demandent plus de «flexibilité», c’est-à-dire un plus grand accès au travail des enfants. Il s’agit notamment de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) et de l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), qui représente les producteurs laitiers, les éleveurs de volailles et d’autres agriculteurs, dont beaucoup dirigent de grandes entreprises commerciales de plusieurs millions de dollars. Ils réclament le «droit» absolu d’embaucher 90.000 enfants de moins de 14 ans, comme ils l’ont fait en 2022, quel que soit le secteur économique.

Leurs appels ont été entendus par Québec Solidaire (QS), le parti de «gauche» indépendantiste pro-québécois. Ce parti s’est joint au Parti libéral, un parti de grandes entreprises, pour demander que la loi 19 soit modifiée afin de permettre aux enfants de moins de 14 ans de travailler en tant qu’ouvriers agricoles. Alexandre Leduc, porte-parole de QS en matière de travail, s’est dit «ému» par les arguments du président de l’UPA selon lesquels la transformation des enfants en esclaves salariés est une bonne chose «pour les parents qui n’ont pas les moyens d’inscrire leurs enfants à un camp de jour».

En fait, QS est en plein accord avec Éric Duhaime, le libertaire d’extrême droite qui dirige le Parti conservateur du Québec. Il a vanté les valeurs éthiques prétendument inculquées aux enfants lorsqu’ils effectuent un travail salarié, tout en affirmant clairement que les enfants «aident de nombreux entrepreneurs québécois à rester ouverts».

Fait significatif, les appareils syndicaux, notamment la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), dont les représentants siègent au CCTM, ont donné leur aval à l’accroissement de l’exploitation des enfants à des fins lucratives. Bien qu’imparfaite, la loi «est un pas dans la bonne direction», a souligné la FTQ dans un communiqué de presse. Cette position n’est que la dernière indication du glissement vers la droite de ces appareils pro-capitalistes qui défendent le «droit» des entreprises à faire des profits, en imposant des réductions de salaire, des suppressions d’emplois et des conditions de travail dangereuses.

Les médias bourgeois jouent un rôle particulièrement pernicieux dans la normalisation du travail des enfants. Dans les premiers jours de la pandémie de COVID-19, ils proclamaient haut et fort que les enfants devaient retourner à l’école, même si cela signifiait être infecté par un virus potentiellement mortel et débilitant. La scolarisation en présentiel a été déclarée importante, voire vitale, pour la «socialisation» des enfants, pour les éloigner des écrans et pour lutter contre les «modes de vie sédentaires». Bien entendu, il s’agissait de prétextes hypocrites pour renvoyer les parents au travail et générer des profits pour les entreprises. Ironiquement, les médias utilisent aujourd’hui les mêmes justifications pour normaliser le travail des enfants. Toute préoccupation concernant la menace qui pèse sur l’éducation des jeunes a commodément disparu.

En fait, il existe une multitude de moyens de développer l’initiative, l’autonomie, la responsabilité et d’autres qualités personnelles et sociales chez les enfants autrement que par le biais du travail salarié. Le problème fondamental est que le système capitaliste exige des travailleurs, souvent des parents, qu’ils travaillent de plus en plus pour enrichir la classe dirigeante et qu’ils n’aient pratiquement pas de temps de qualité à consacrer à leurs enfants. Plus inquiétant encore, dans un contexte d’inflation galopante et de bas salaires, de plus en plus de jeunes seront contraints de travailler pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

Les travailleurs et les jeunes doivent s’opposer à cette régression sociale. Il y a suffisamment de ressources pour assurer un salaire décent à tous les adultes qui travaillent et pour permettre aux jeunes de se développer physiquement et intellectuellement au mieux de leurs capacités. Le système capitaliste de profit n’a rien à offrir à la classe ouvrière et à la jeunesse, sauf l’exploitation, la guerre et la réaction. Ce n’est qu’en abolissant ce système moribond et en instaurant une société socialiste que l’humanité se débarrassera du fléau de l’exploitation capitaliste, y compris de sa forme la plus sordide, le travail des enfants.

(Article paru en anglais le 19 mai 2023)

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