Le Premier ministre australien Albanese refuse de rencontrer la femme d'Assange

Dans un geste gratuit de mépris, le Premier ministre Anthony Albanese a refusé lundi de rencontrer Stella Assange, l'épouse de Julian Assange, le prisonnier politique le plus éminent d'Australie. Ce camouflet a eu lieu alors même que Stella était à l'intérieur du parlement fédéral, après s’être rendue dans le pays pour faire campagne pour la libération de son mari.

Stella Assange s'adresse au National Press Club à Canberra, Australie, le 22 mai 2023. [Photo: National Press Club]

Interrogé par le député indépendant Andrew Wilkie sur les raisons pour lesquelles il ne rencontrerait pas Mme Assange, Albanese a écarté la question en déclarant : « Qui je rencontre est déterminé par les priorités de mes engagements. »

Au cours du mois dernier, Albanese a rencontré une multitude de magnats des affaires. Il a assisté au mariage du disc-jockey provocateur de droite Kyle Sandilands, aux côtés d'un trafiquant de drogue condamné et d'un chef du crime réputé. Plus récemment, Albanese a fait l’éloge du président américain Joe Biden au G7 de Tokyo. Biden supervise la tentative d'extrader Assange depuis la Grande-Bretagne et de l'emprisonner pendant 175 ans pour avoir dénoncé les crimes de guerre américains.

Albanese a déclaré au parlement qu'il n'était pas intéressé à rencontrer la femme d'Assange, ce qui, selon lui, s'apparenterait à une « démonstration » et à une « démagogie ». Il a cherché à déguiser ce refus en réitérant de vagues commentaires du genre « ça suffit » avec l'affaire Assange, et qu’il n’arrivait pas à comprendre à quoi cela servait de maintenir le fondateur de Wikileaks en prison.

Bien qu'Albanese affirme avoir clairement fait connaître cette position à l'administration américaine, il n'en existe aucune preuve, même dans la correspondance abondante entre divers organismes gouvernementaux américains et australiens révélée dans le cadre de demandes d'accès à l'information. Le gouvernement travailliste continue même de donner carte blanche à l'administration Biden, qui cherche à détruire Assange.

La question évidente est celle-ci : si Albanese refuse même de rencontrer la femme d'Assange, un geste fondamental de respect et de courtoisie qu'il a accordé à des milliers d'autres au cours de son année au pouvoir, pourquoi penser du tout que le Premier ministre mène une lutte à huis clos pour la liberté du journaliste australien emprisonné?

Dans le cadre de sa visite en Australie, Stella Assange s'est adressée lundi au National Press Club de Canberra.

Son allocution était un plaidoyer puissant pour la liberté d'Assange, une mise à nu des conditions draconiennes dans lesquelles il est détenu dans la prison britannique de sécurité maximale de Belmarsh et un exposé clair des questions fondamentales de droits démocratiques en jeu dans les poursuites visant son mari.

Stella a noté qu’il existait une vague de soutien à Assange: « Je voudrais remercier le dévouement immense du peuple australien, qui a provoqué un changement radical dans la prise de conscience et la solidarité pour le sort de Julian. Cette unité dans le soutien à mon mari est une énorme source d'encouragement pour notre famille. Cela renforce la capacité de Julian de tenir bon. »

Elle a ajouté : « La réalité est que pour retrouver sa liberté, Julian a besoin du soutien de son pays d'origine. C'est une affaire politique, et elle a besoin d'une solution politique. »

En discutant sa présence en Australie, et aussi ce dont elle parle avec son mari, Stella a souligné le lien d'Assange avec l'Australie. Il avait été élevé à la campagne et avait partagé ses nombreux souvenirs, du surf à Byron Bay, de l'apiculture dans les Dandenong Ranges de Melbourne et de l'équitation dans les rivières du nord de la Nouvelle-Galles du Sud.

« C'est comme ça que j'imagine Julian quand il sera libre », a-t-elle déclaré.

« Aujourd'hui, les pieds de Julian ne sentent que le ciment dur, terne et uniforme du sol de la prison. Quand il va dans la cour pour faire de l'exercice, il n'y a ni herbe, ni sable. Juste la chaussée en bitume entourée de caméras et de couches de barbelés au-dessus de la tête.

« Je peux vous dire exactement ce que fait Julian en ce moment. Il est 3 heures du matin à Londres. Julian est allongé dans sa cellule, probablement éveillé et luttant pour s'endormir. C'est là qu'il passe vingt-deux heures par jour, tous les jours. La cellule de Julian mesure environ trois mètres sur deux. Il utilise certains de ses livres pour bloquer les courants d'air désagréables provenant de la fenêtre pendant les froides nuits d'hiver. »

Stella a décrit les procédures de sécurité draconiennes requises pour qu'elle et ses deux enfants puissent rendre visite à leur père. Ils devaient passer d'innombrables points de contrôle, et subir fouilles et scans pour leurs visites. Les enfants n'ont jamais vu leur père en dehors du parloir inhospitalier de la prison. Pour l'aîné des deux, aujourd'hui âgé de six ans, « les prisons font partie de ses rêves et de ses cauchemars ».

Quant à l'affaire, Stella a déclaré: « Une peine de 175 ans est une condamnation à la mort vivante. Une perspective si désespérée que la cour anglaise a estimé que cela le pousserait à se suicider, plutôt que de vivre éternellement en enfer. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que Julian ne mette jamais, au grand jamais, les pieds dans une prison américaine. L'extradition dans ce cas est une question de vie ou de mort. »

Elle a expliqué: « Pour la plupart des gens, Julian est un symbole. Symbole d'une injustice ahurissante, car il est en prison sous de fausses accusations pour avoir dénoncé les crimes d'autrui. Un symbole, car il risque une peine ahurissante de 175 ans pour avoir publié la vérité. Le symbole d'une forme sophistiquée de violence d'État habillée d'une complexité et d'une tromperie que même Franz Kafka n'aurait pas pu imaginer.

« Pour la presse et le public, l’affaire de Julian est l'attaque la plus brutale contre la liberté de la presse que le monde occidental ait connue au cours des 70 dernières années. Un gouvernement étranger utilise les délits politiques prévus dans ses textes de loi pour inculper un ressortissant étranger, à l'étranger, en raison de ce qu'il ou elle a publié dans un autre pays.

«Des publications précises et accablantes révélant leurs crimes de guerre. Si la souveraineté doit signifier quelque chose, si la juridiction est une réalité juridique et politique en soi, l'accusation contre Julian ne peut être comprise que comme une absurdité. »

Malgré la grave menace qui pèse sur la liberté de la presse, le discours a été largement soumis à un boycott médiatique. Seule une poignée de journalistes de renommée nationale étaient présents. Plusieurs publications importantes ont envoyé du personnel subalterne, fraîchement sorti de l'université, armé uniquement d'arrogance et de questions odieuses basées sur les calomnies déjà utilisées pour attaquer Assange.

Ce spectacle honteux souligne le fait que de larges pans des médias officiels ne sont rien d'autre que des propagandistes de l'État. Alors qu'ils applaudissent chaque nouvelle étape de l'intégration de l'Australie dans les préparatifs américains de guerre contre la Chine, cette couche corrompue est hostile à un véritable journaliste qui a dénoncé des crimes de guerre.

Dans les questions-réponses, Stella, avec Jennifer Robinson, l'une des avocates d'Assange, a expliqué les enjeux de l'affaire.

Deux questions ont répété le mensonge que WikiLeaks avait reçu en 2016 du matériel du Comité national démocrate via la Russie. Les interrogateurs, bien qu'ils prétendent être des journalistes, étaient hostiles aux publications de 2016, même si elles contenaient des informations véridiques et dignes d'intérêt.

En réponse, Stella a souligné ce qui avait été révélé. Les publications de 2016 avaient montré que la campagne d'Hillary Clinton avait subverti les primaires du Parti démocrate pour faire échouer la candidature de Bernie Sanders. Cela a été fait, même si les sondages internes du DNC montraient que Sanders battrait Donald Trump, contrairement à Clinton.

Plus généralement, Stella a souligné le précepte fondamental selon lequel les journalistes ont la responsabilité de publier des informations qui sont dans l'intérêt public. Supprimer de telles informations reviendrait à commettre une violation de l'éthique du journalisme.

En réponse à une autre question, Robinson a noté l'importance historique des publications de 2010 pour lesquelles Assange est confronté à des poursuites. Elles avaient révélé des crimes de guerre immenses en Irak et en Afghanistan, y compris des milliers de morts civiles qui avaient été dissimulées par l'armée américaine. Pour ces mêmes publications, pour lesquelles il risque désormais 175 ans d'emprisonnement, Assange et WikiLeaks avaient reçu en 2011 le prix Gold Walkley, la plus haute distinction du journalisme australien.

Stella et Robinson ont remercié Albanese et le gouvernement travailliste pour leurs déclarations et noté que cela marquait un changement par rapport aux administrations précédentes. Il ne fait aucun doute que les déclarations tièdes des responsables travaillistes reflètent, sous une forme extrêmement limitée et déformée, le vaste soutien populaire à l'éditeur de WikiLeaks.

Mais toute l'expérience a montré qu'on ne peut faire aucune confiance aux gouvernements capitalistes pour tendre une main bienveillante et libérer Assange. Albanese était un haut responsable du gouvernement travailliste Gillard, qui en 2010 et 2011 a activement participé à la persécution d'Assange.

De plus, le gouvernement travailliste actuel intensifie considérablement le rôle de première ligne de l’Australie dans les préparatifs américains pour la guerre contre la Chine. Cette politique est incompatible avec les droits démocratiques et s'accompagne d'une série de poursuites réactionnaires sur la base de la «sécurité nationale» en Australie, directement supervisées par les travaillistes.

Comme l'a souligné le Parti de l'égalité socialiste, un gouvernement australien ne remplira ses obligations de libérer Assange que s'il y est contraint par une opposition de masse d'en bas. Cela signifie le développement d'un mouvement de la classe ouvrière, contre le gouvernement travailliste et son programme de guerre, d'austérité et d'autoritarisme.

(Article paru en anglais le 23 mai 2023)

Loading