Perspectives

L’Allemagne lance une campagne de répression policière contre les manifestants pour le climat

Des policiers en tenue antiémeute renvoient les gens d’une manifestation du 1er mai à Berlin, en Allemagne, le mardi 1er mai 2018. [AP Photo/Markus Schreiber]

Mercredi, l’Allemagne a été le théâtre de scènes que l’on ne voit habituellement que dans les dictatures militaires et les régimes fascistes. Des unités de police lourdement armées sont intervenues dans tout le pays contre le groupe de protestation contre le changement climatique «Last Generation», en prenant d’assaut les domiciles des principaux membres. En outre, le site web du groupe a été bloqué et les comptes des membres ont été gelés.

Ces actions doivent servir d’avertissement aux travailleurs de tous les pays. Alors que les classes dirigeantes capitalistes intensifient leurs plans de guerre, elles s’emploient systématiquement à abroger les droits démocratiques fondamentaux et à jeter les bases d’un régime d’État policier.

Selon les autorités, on a mené des perquisitions dans 15 bâtiments au total, situés dans sept États fédéraux. Ces actions rappellent la période la plus sombre de l’histoire allemande. Carla Hinrichs, porte-parole et cofondatrice de l’Alliance pour le climat, a décrit la prise d’assaut de son appartement dans un tweet:

C’était comme une scène de film. Soudain, on se réveille parce que quelqu’un frappe violemment à la porte. On se réveille parce que la «police» crie et soudain un policier avec un gilet pare-balles se tient devant votre lit et pointe une arme sur vous. Ensuite, ils fouillent tout et prennent tout ce qui fait partie de votre vie quotidienne. C’est effrayant.

Le World Socialist Web Site et le Parti de l’égalité socialiste d’Allemagne condamnent fermement la terreur policière contre les militants du changement climatique. Elle n’est pas seulement dirigée contre Last Generation, mais vise à réprimer toute opposition sociale et politique. Les manifestations pacifiques, la désobéissance civile, les grèves et, en fin de compte, toute forme d’opposition doivent être intimidées et criminalisées.

Les perquisitions de mercredi ont eu lieu sur la base de l’article 129 du Code pénal allemand qui interdit la «formation d’associations criminelles».

Cette disposition a des conséquences extrêmement importantes. Les militants de Last Generation protestent pacifiquement et rejettent explicitement la violence. Ils attirent l’attention sur leurs préoccupations, souvent en bloquant la circulation.

Le paragraphe 129 remonte au Code pénal du Reich de l’Empire allemand, qui date de 1871. Il a été appliqué historiquement surtout contre la gauche et les communistes, sanctionnant massivement les membres de toute «association criminelle».

«Quiconque fonde une association ou participe en tant que membre à une association dont l’objectif ou l’activité vise à commettre des infractions pénales est passible d’une peine d’emprisonnement qui peut aller jusqu’à cinq ans ou d’une amende», stipule le code. «Quiconque soutient une telle association ou recrute des membres ou des sympathisants pour elle est également passible d’une peine d’emprisonnement qui peut aller jusqu’à trois ans ou d’une amende».

Des peines de prison ont déjà été prononcées à l’encontre de militants du changement climatique au cours des dernières semaines. Le 6 mars, deux membres de Last Generation ont été condamnés par le tribunal de district de Heilbronn à une peine d’emprisonnement de deux à trois mois sans possibilité de libération conditionnelle pour avoir participé à un barrage routier. Fin avril, un militant du changement climatique a été condamné par le tribunal de district de Berlin à quatre mois de prison sans possibilité de libération conditionnelle. Cette répression est aujourd’hui massivement étendue.

Bien qu’une décision de justice n’ait pas encore été rendue, le bureau du procureur général de Munich, qui était à l’origine des perquisitions, a déclaré que Last Generation était une «association criminelle». Mercredi, toute personne qui a visité le site web du groupe de protestation contre le changement climatique pouvait voir le message suivant:

La page d’accueil de «Last Generation» a été confisquée par l’Office de la police criminelle de l’État de Bavière au nom du bureau du procureur général de Munich-Bavière qui inclue l’Office central de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme (ZET). Last Generation est une association criminelle au sens de l’article 129 du Code pénal (StGB). Attention: les dons à Last Generation constituent donc un soutien punissable à une association criminelle!

Cette position militariste n’est pas seulement la politique du gouvernement bavarois de droite de l’Union chrétienne-sociale (CSU), mais elle est soutenue par tous les gouvernements des Länder ainsi que par le gouvernement fédéral.

La ministre fédérale de l’Intérieur, Nancy Faeser (Parti social-démocrate), a déclaré aux journaux du groupe de presse Funke, basé à Essen, que les mesures prises à l’encontre de Last Generation montraient que l’«État de droit» ne devait pas être pris à la légère.

«La police et la justice ne tolèrent pas les crimes, mais agissent comme il est de leur devoir de le faire», a-t-elle déclaré. La protestation légitime, a-t-elle poursuivi, s’arrête là où des crimes sont commis et où les droits d’autrui sont violés, ajoutant: «Si l’on franchit cette ligne rouge c’est, la police qui doit agir».

La nouvelle sénatrice berlinoise, Felor Badenberg, qui a également classé Last Generation dans la catégorie des associations criminelles, a même établi un lien entre les militants du changement climatique et le terrorisme. «Le fait que Last Generation doive entrer dans la clandestinité ou autre chose est une décision que Last Generation doit prendre pour elle-même», a-t-elle déclaré, dans une interview accordée à l’émission «Tagesthemen» du radiodiffuseur public ARD.

L’apparition de Badenberg souligne le programme d’extrême droite poursuivi par la classe dirigeante et les objectifs réactionnaires qu’il sert. Badenberg était dernièrement vice-présidente de l’Office fédéral de protection de la Constitution (Verfassungsschutz), l’agence de renseignement intérieur de l’Allemagne.

Entre 2013 et 2018, elle a travaillé en étroite collaboration avec Hans-Georg Maassen, le président d’extrême droite du Verfassungsschutz, et était, selon Wikipédia, «responsable des contacts de l’office avec le Bundestag allemand (parlement) et le gouvernement fédéral, ainsi que des discours et des conférences du président».

Pendant son mandat, Maassen n’a pas seulement renforcé et défendu les forces de droite et fascistes, il a également placé le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste – SGP), la section allemande du Comité international de la Quatrième Internationale, sous la surveillance des services de renseignement. Il a justifié cette mesure uniquement par le fait que le SGP défend un programme socialiste, critique le capitalisme, le militarisme et le nationalisme et rejette les partis et les syndicats établis. Le World Socialist Web Site a lancé une mise en garde à l’époque:

L’attaque des services secrets contre le Sozialistische Gleichheitspartei est une atteinte fondamentale aux droits démocratiques. Il s’agit d’un élément de la politique gouvernementale qui repose de plus en plus sur des formes autoritaires de gouvernement et sur le recours aux forces d’extrême droite afin d’appliquer des politiques militaristes, de renforcer l’appareil répressif de l’État, de s’attaquer aux dépenses sociales et d’étouffer toute opposition qui émerge. Cela rappelle la République de Weimar, lorsque les agences de renseignement, le système judiciaire et la police persécutaient impitoyablement les socialistes et les pacifistes tout en renforçant les nazis.

L’action contre les militants du changement climatique est la mise en œuvre de ce programme d’extrême droite. Il est significatif que ce soient les fascistes qui l’ont célébrée le plus.

«La perquisition nationale» est «un premier pas dans la bonne direction», s’est réjoui le porte-parole adjoint du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), Stefan Brandner. «L’État de droit doit enfin réagir face aux machinations criminelles des terroristes», a-t-il poursuivi. Il a ajouté que l’interdiction de l’association était «la bonne mesure en fin de compte». Il a indiqué que son parti avait «déjà demandé une telle action il y a quelques semaines au Bundestag allemand» et espérait que «le gouvernement fédéral agisse rapidement en conséquence».

Le contexte politique et historique plus large de l’évolution vers la dictature est évident. Comme dans les années 1930, le réarmement militaire massif et les préparatifs d’une guerre mondiale nécessitent un régime autoritaire et, en fin de compte, fasciste. En France, le gouvernement Macron a réagi aux manifestations nationales contre les réductions des retraites destinées à transférer le coût des dépenses militaires sur la classe ouvrière par des arrestations massives et une violence policière systématique.

Cette évolution dangereuse souligne l’importance de la plainte constitutionnelle du SGP contre le ministère de l’Intérieur et les services secrets de Faeser. La plainte stipule ce qui suit:

[blockquote]

Face à la guerre par procuration que le gouvernement allemand mène contre la Russie, au réarmement le plus important depuis Hitler et aux attaques féroces contre les travailleurs par le biais d’une inflation galopante, du vol des salaires et des licenciements massifs, l’objectif est de faire taire quiconque s’élève contre cette politique de classe agressive ou même l’appelle par son nom.

Si la Cour suprême suit le gouvernement et la décision du tribunal de première instance, ce sera un pas vers la dictature. Toute grève des travailleurs, toute protestation contre le réarmement et toute manifestation contre l’extrême droite pourraient être interdites, car jugées anticonstitutionnelles.

La répression massive des activistes du changement climatique est un avertissement sérieux. Elle montre avec quelle rapidité et quelle agressivité la classe dirigeante met en œuvre son programme dans un contexte de guerre et d’intensification de la lutte des classes au niveau international. Le SGP intensifiera sa lutte pour construire un mouvement de masse indépendant contre le capitalisme, la guerre et la dictature. Nous appelons les travailleurs et les jeunes à défendre les activistes du changement climatique contre la répression étatique.

Soutenez notre plainte constitutionnelle en signant cette pétition sur change.org.

(Article paru en anglais le 27 mai 2023)

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