Erdoğan est réélu à l’élection présidentielle turque

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a remporté le second tour de l’élection présidentielle dimanche, terminant avec près de quatre points d’avance sur son rival Kemal Kılıçdaroğlu. Il remporte ainsi un nouveau mandat de cinq ans.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan à Sarajevo, en Bosnie, le 6 septembre 2022. [AP Photo/Armin Durgut]

Erdoğan, le candidat du Parti de la justice et du développement (AKP), a obtenu 52,14 pour cent des voix, tandis que le chef du Parti républicain du peuple (CHP) Kılıçdaroğlu a obtenu 47,86 pour cent. La différence de voix entre les deux candidats est de près de 2,3 millions. Kılıçdaroğlu et son Alliance nationale se sont inclinés dimanche soir devant Erdoğan.

Erdoğan a augmenté ses voix d’environ 600.000 par rapport au premier tour, tandis que les voix de Kılıçdaroğlu ont augmenté d’environ 830.000. La participation électorale a baissé dans 80 des 81 provinces. Cependant, la baisse la plus notable des voix de Kılıçdaroğlu s’est produite dans les provinces kurdes, là où le Parti démocratique des peuples (HDP), nationaliste kurde, qui l’a soutenu lors des deux tours, est le premier parti de la région.

Erdoğan était en tête dans 52 provinces, tandis que Kılıçdaroğlu, qui était en tête dans 29 provinces, a augmenté ses voix dans les trois plus grandes villes de Turquie: Istanbul, Ankara et İzmir. Comme au premier tour, Kılıçdaroğlu est arrivé en tête sur les côtes égéenne et méditerranéenne et dans la plupart des provinces à majorité kurde de l’est et du sud-est. Erdoğan a remporté les élections en dehors de ces régions et dans toutes les provinces à l’exception d’Ankara, d’Eskişehir et de Tunceli.

Comme l’ont expliqué le World Socialist Web Site et le Sosyalist Eşitlik Grubu, ces élections ont présenté deux candidats de droite pro-impérialistes. La réélection d’Erdoğan ne signifie pas qu’il est populaire ou que ses politiques sont approuvées par la population. En réalité, Erdoğan, qui s’est présenté pour la troisième fois à l’élection présidentielle en violation de la constitution, n’a pas, pour la première fois de sa carrière, réussi à remporter l’élection au premier tour et n’a gagné que par une faible avance au second tour.

Erdoğan a subi une perte importante en raison de l’opposition des travailleurs et des jeunes à ses réponses meurtrières à la pandémie de COVID-19 et au tremblement de terre du 6 février, ainsi qu’à l’aggravation de la crise du coût de la vie dans le contexte de la guerre de l’OTAN contre la Russie. Il a eu recours à un faux «anti-impérialisme» et au populisme pour tenter d’enrayer ce déclin, en profitant de l’orientation ouverte de son rival vers les puissances impérialistes de l’OTAN, largement détestées. Kılıçdaroğlu s’était engagé à intégrer la Turquie encore plus profondément à la guerre de l’OTAN contre la Russie.

Ce résultat électoral montre davantage la faillite politique de la campagne de Kılıçdaroğlu et de son alliance que le mince succès d’Erdoğan. La guerre de l’OTAN contre la Russie, qui menace de plus en plus le monde d’une catastrophe nucléaire, a joué un rôle central dans l’élection. Kılıçdaroğlu n’a pas caché son orientation vers les puissances de l’OTAN, accusant le gouvernement russe d’interférer dans les élections avant le premier tour, sans fournir aucune preuve.

Adoptant le programme économique de la fédération d’entreprises TÜSİAD, Kılıçdaroğlu s’est engagé à développer des liens avec les milieux financiers de Londres et de New York. Il a proposé un programme d’austérité anti-travailleur pour faire face à la crise économique.

Kılıçdaroğlu a signé un protocole électoral avec le parti d’extrême droite Victory Party suite au premier tour du 14 mai. Il a construit sa campagne en grande partie autour d’un programme d’expulsion de millions de réfugiés innocents et d’une «guerre contre le terrorisme» qui cible les Kurdes.

Le Parti démocratique des peuples (HDP), nationaliste kurde, et de nombreux partis de pseudo-gauche comme le Parti des travailleurs de Turquie (TİP) stalinien ont salué Kılıçdaroğlu comme une alternative «démocratique» à l’«autoritaire» Erdoğan. Mais en réalité, Kılıçdaroğlu a mené une campagne fasciste contre les réfugiés, qu’il rendait responsables de tous les problèmes sociaux qui découlent de la crise capitaliste. Les résultats des élections de dimanche montrent que cet appel réactionnaire à la xénophobie et au chauvinisme n’a pas trouvé de soutien dans de larges couches de la population.

Erdoğan a prononcé un discours de victoire à minuit au palais présidentiel d’Ankara, poursuivant la rhétorique populiste de sa campagne. Le vainqueur n’est pas seulement nous, le vainqueur est la Turquie», a-t-il déclaré, ajoutant: «Nous avons dit que lorsque nous gagnerons, les seuls perdants seront ceux qui fomentent de sales combines contre notre pays et leurs appareils, les organisations terroristes et les usuriers».

Erdoğan a dénoncé ses alliés de l’OTAN qui n’ont pas caché leur préférence pour Kılıçdaroğlu lors de l’élection. Il a dit: «Les magazines allemands, français et britanniques n’ont-ils pas publié en page couverture qu’il fallait battre Erdoğan? Ils ont également perdu. Vous avez vu les alliances qui se sont formées contre nous depuis des mois. Vous avez vu qui est avec qui. Ils ont échoué et ils ne réussiront plus», a-t-il déclaré.

Kılıçdaroğlu a également pris la parole pour exclure sa démission en tant que chef du CHP, s’engageant à maintenir sa ligne politique réactionnaire. Une fois de plus, Kılıçdaroğlu s’en est pris aux couches les plus vulnérables de la population. Il a déclaré qu’il était contre les réfugiés, dont l’écrasante majorité vit dans une grande pauvreté sans droits fondamentaux, parce qu’ils «empiètent sur les droits» des citoyens turcs.

«Nous avons assisté au processus électoral le plus injuste de ces dernières années. Toutes les ressources de l’État ont été mobilisées pour un seul parti politique et un seul homme», a affirmé Kılıçdaroğlu, ajoutant: «La CHP et l’Alliance nationale se battent sur tous les fronts avec toutes leurs possibilités. Nous continuerons à être à l’avant-garde de cette lutte jusqu’à ce qu’une véritable démocratie s’installe dans notre pays. Notre marche continue et nous sommes prêts».

Les premières réactions des principales puissances de l’OTAN ont reflété leur intention d’impliquer la Turquie, un allié stratégique dans la mer Noire, dans leur politique agressive contre le Kremlin, afin d’intensifier la guerre avec la Russie. Ainsi, les dirigeants de la France, de l’Allemagne et des États-Unis ont publié des messages qui félicitent Erdoğan.

Le président français Emmanuel Macron a tweeté en turc et en français, déclarant: «La France et la Turquie ont d’immenses défis à relever ensemble. Revenons à la paix en Europe, à l’avenir de notre alliance euroatlantique et à la mer Méditerranée. Avec le président Erdogan, que je félicite pour sa réélection, nous continuerons à avancer».

Le chancelier allemand, Olaf Sholz, a également souligné sa volonté de travailler avec Erdoğan. Il a déclaré: «L’Allemagne et la Turquie sont des partenaires et des alliés proches, nos peuples et nos économies sont profondément liés. Je félicite le président Erdoğan. Ensemble, nous voulons faire avancer notre programme commun avec un nouvel élan!»

De même, le président américain Joseph Biden a déclaré: «Félicitations au président Recep Tayyip Erdogan de Türkiye pour sa réélection. Je me réjouis de continuer à travailler ensemble, en tant qu’Alliés de l’OTAN, sur des questions bilatérales et des défis mondiaux communs».

Le président russe Vladimir Poutine, qui a félicité Erdoğan avant les alliés de l’OTAN de la Turquie, a exprimé son espoir qu’Ankara poursuive sa politique étrangère actuelle. Poutine a déclaré: «Nous apprécions grandement votre contribution personnelle au renforcement des relations amicales russo-turques et de la coopération mutuellement bénéfique dans divers domaines. Je tiens à réaffirmer que nous sommes prêts à poursuivre notre dialogue constructif sur les questions actuelles au plan bilatéral, régional et international».

Poutine est sans doute soulagé que ce résultat électoral ait empêché un candidat encore plus radicalement hostile, Kılıçdaroğlu, d’accéder au pouvoir. Cependant, sous Erdoğan, le gouvernement turc appuie pleinement l’OTAN et l’Ukraine politiquement et militairement, même s’il ne s’est pas joint aux sanctions imposées par les puissances de l’OTAN à la Russie. Le soutien d’Erdoğan s’est d’ailleurs avéré essentiel pour permettre à la Finlande de rejoindre l’OTAN contre la Russie.

Les initiatives des puissances de l’OTAN qui visent à armer l’Ukraine avec des F-16 et d’autres armes de pointe contre la Russie menacent de plus en plus d’élargir la guerre et de conduire à une intervention directe de l’OTAN. La semaine dernière, à 140 kilomètres au nord-est du Bosphore, un navire russe qui garde les pipelines TurkStream et Blue Stream entre la Russie et la Turquie a été attaqué par des drones navals ukrainiens.

Le résultat des élections en Turquie ne résoudra aucun des problèmes auxquels font face les travailleurs turcs. Il ne résoudra pas la guerre entre l’OTAN et la Russie à quelques centaines de kilomètres au nord, ni la crise du coût de la vie enracinée dans une flambée mondiale de l’inflation. Face à l’aggravation de la crise économique, le gouvernement Erdoğan prévoit d’intensifier ses attaques sociales contre la classe ouvrière, ce qui conduira inévitablement à d’âpres luttes des classes.

La voie à suivre dans la lutte contre le gouvernement capitaliste réactionnaire d’Erdoğan est de développer la mobilisation de la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste international, indépendamment de l’opposition bourgeoise en faillite et des groupes de pseudo-gauche qui la soutiennent.

(Article paru en anglais le 29 mai 2023)

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