Les travailleurs russes de l'automobile protestent contre les bas salaires

Entrée principale d’Oulianovski Avtozavod UAZ. [Photo by Yuriy Lapitskiy / CC BY-SA 2.0]

Les travailleurs d'une usine automobile à Oulianovsk, en Russie, ont spontanément arrêté la production le 17 mai pour protester contre les bas salaires. L'usine appartient à l'un des principaux producteurs d'autobus, camions et véhicules tout-terrain du pays, pour les civils, le gouvernement et l'armée. L'activité a été interrompue pendant plusieurs heures lorsque des dizaines d'hommes et de femmes ont débrayé à l'heure du déjeuner et ont refusé de faire redémarrer la ligne jusqu'à la nuit.

Les forces de l'ordre sont arrivées et sept travailleurs ont été arrêtés et emmenés au poste de police local. Leur grève de protestation était, selon le directeur de l'Ulyanovsky Avtomobilniy Zavod (UAZ), « une action illégale » qui interférait avec le processus de production. Les travailleurs ont ensuite été libérés sans inculpation.

Le député parlementaire Aleksei Kurinny, membre du parti stalinien KPRF (Parti communiste de Russie), a accusé les travailleurs automobiles de « sabotage » au motif que l'usine faisait partie du complexe militaro-industriel russe et exécutait les commandes nécessaires au maintien de l'effort de guerre. Bien qu'aucune action en justice n'ait été intentée contre les grévistes, la déclaration de Kurinny était une menace dirigée non seulement contre les travailleurs de l'UAZ mais contre tous ceux qui ne veulent pas se sacrifier pour soutenir la machine militaire du Kremlin. Les accusations de sabotage entraînent la possibilité de lourdes peines de prison.

Dans une déclaration vidéo, les travailleurs de l'UAZ ont rejeté l'accusation de Kurinny, affirmant qu'ils défendaient leurs intérêts, l'invitant ainsi que d'autres à venir voir les conditions dans les usines. Ils ont déclaré qu'ils obtiendraient leur augmentation « non pas grâce aux politiciens qui vivent de nos impôts » mais grâce à leurs propres efforts.

Selon eux, le salaire mensuel moyen à l'usine UAZ est d'environ 20 000 roubles (243 euros), les mieux payés voyant leurs revenus culminer entre 31 000 et 32 000 roubles (379-391 euros). Ils veulent que tous les travailleurs de l'usine soient promus au palier supérieur de compétence et de qualification et que la rémunération à ce palier soit augmentée. De plus, ils réclament la suppression de la clause de leur contrat qui fait dépendre l'indexation des salaires de « la capacité financière de l'entreprise ».

L'UAZ ainsi que le procureur général chargé d'enquêter sur le conflit et le ministre du Développement économique de la région ont rejeté la demande des travailleurs d'un changement de statut. Ils ont dit également que les travailleurs mentaient sur leur revenus.

Le procureur Andrei Yefremkin a déclaré au journal Kommersant que son inspection « n'a jusqu'à présent trouvé aucune violation » et que « la déclaration selon laquelle les travailleurs seraient payés 20 000 roubles ne sonne pas tout à fait vrai ». Reprenant la position de l'entreprise, il a déclaré que leurs salaires étaient « supérieurs à la moyenne régionale », sous-entendant que ce fait, même s'il s’avérait vrai, invalidait la demande des travailleurs pour une meilleure rémunération.

Le même refrain fut repris par le ministre du Développement économique d'Oulianovsk, Nikolai Zontov, qui a déclaré à la presse: «Dans l'ensemble, l'UAZ en termes de salaires moyens correspond au niveau de salaire moyen dans l'industrie des composants et de la construction automobiles. La région elle-même occupe désormais la 60e place en Russie en termes de salaire moyen », a-t-il déclaré comme si un tel classement était une sorte de réussite.

UAZ affirme que les hausses de salaires ont été en 2021 et 2022 suffisantes pour répondre aux besoins des travailleurs et souligne de nouvelles augmentations prévues, ce qui augmentera les salaires de 12 pour cent au total pour 2023. Mais même si l'on acceptait les affirmations de l'entreprise sur ce que ses salariés des chaînes de production gagnent réellement, le coup de pouce de 2023 les porterait à seulement 45 000 roubles, moins de 561 euros par mois.

L'entreprise et les responsables de l'État, de même que le syndicat ont également essayé de nier qu'il y ait vraiment eu une véritable grève de protestation dans les ateliers. Ils prétendent qu'il s'agissait juste d'une sorte de rassemblement au cours duquel des travailleurs, de façon non planifiée et au milieu de leur quart de travail, avaient demandé à parler à la direction.

Viktor Bychkov, président du comité syndical de l'usine, a déclaré à Kommersant : « Ce n'était pas un rassemblement, mais une réunion avec la direction, exprimée à haute voix. »

Il a déclaré qu'il « travaillerait sur les demandes légitimes avec la direction », mais expliquerait à ses membres que certaines de leurs demandes, en particulier la transition globale vers un palier de salaire plus élevé, étaient « illégitimes ». Bychkov a défendu l'externalisation du travail de l'entreprise comme nécessaire pendant les «périodes de forte charge de production» et a nié que ses membres soient moins bien payés que ces salariés temporaires.

Les conditions dans l'industrie automobile russe, qui a vu la production de véhicules chuter de 56 pour cent en 2022, sont extrêmement tendues. Étroitement intégrée à la production automobile mondiale, cette industrie a été particulièrement touchée par les sanctions économiques draconiennes imposées par les États-Unis et l'UE depuis le début de la guerre en Ukraine. Malgré une légère augmentation de la production, les constructeurs continuent d'imposer des congés sans soldes et des fermetures temporaires en raison de problèmes de chaîne d'approvisionnement. Début mai, UAZ a prolongé de six jours sa fermeture de vacances d'une semaine. Les travailleurs ont été informés qu'ils pouvaient utiliser une partie de leurs congés payés pendant cette période s'ils le souhaitaient.

Le plus grand conglomérat de production automobile de Russie, AvtoVaz, a interrompu ses opérations dans certaines usines entre le 4 et le 24 avril, décision qu'il avait l'intention de reporter à plus tard dans l'année mais ne pouvait plus repousser. En juin, les installations d'AvtoVaz à Tolyatti et Izhevskiy passeront à une semaine de quatre jours pour une période de trois mois. La société cite comme raison la pénurie de pièces électriques et les problèmes du marché automobile.

Dans une interview accordée à Tsargrad.tv, l'économiste Yevgeny Nadorshin, commentant la récente manifestation à l'usine UAZ, a déclaré qu'étant donné la crise des revenus des ménages en Russie et les efforts du pays pour augmenter la production industrielle, il y aurait « sans aucun doute » des revendications salariales croissantes de la part des travailleurs russes.

Alors que l'inflation s'est atténuée en Russie au cours de la dernière année, la banque d'État vient d'annoncer que ce sursis sur les prix était temporaire et qu'il est maintenant terminé. L'inflation est à nouveau en hausse et atteindra entre 4,5 et 6,5 pour cent en 2023. Les revenus réels des travailleurs continueront de baisser.

Le décor est planté en Russie pour des conflits sociaux majeurs. La pression incessante sur le niveau de vie des travailleurs coïncide avec et est exacerbée par l'escalade de la guerre entre les États-Unis, l'OTAN et la Russie au sujet de l'Ukraine.

Dans cette guerre, la classe dirigeante russe cherche une sorte d'arrangement avec l'impérialisme qui lui permettrait d'exploiter les ressources naturelles de la Russie et la classe ouvrière russe sans ingérence directe des grandes puissances capitalistes. Mais ce que celles-ci recherchent ce n’est pas un arrangement mais une défaite militaire. Le Kremlin, après être tombé dans le traquenard des États-Unis et de l'OTAN en envahissant l'Ukraine, a entraîné la classe ouvrière russe dans une débâcle sanglante.

(Article paru en anglais le 5 juin 2023)

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