La grève dont on ne peut parler: les groupes de la pseudo-gauche maintiennent le black-out sur la grève chez Clarios alors que l’UAW redouble d’efforts pour isoler les travailleurs

Les grévistes de Clarios à l’entrée de l’usine de batteries de Holland, Ohio, le 25  mai 2023.

Alors que, la grève des 525  ouvriers de l’automobile de Clarios à Holland, près de Toledo (Ohio) dure depuis plus d’un mois, le silence des DSA (Démocrates Socialistes d’Amérique), du magazine Jacobin et d’autres groupes de la pseudo-gauche sur cette lutte est assourdissant.

Les travailleurs de Clarios sont engagés dans une lutte aux implications cruciales pour tous les travailleurs. Avec l’aide du World Socialist Web Site, les travailleurs de l’usine ont formé un comité de la base qui a cherché à briser l’isolement imposé par la bureaucratie de l’UAW (United Auto Workers). Là où ils en ont eu connaissance, les travailleurs des Trois grands (GM, Ford, Stellantis) ont réagi avec enthousiasme à la rébellion des ouvriers de Clarios et ont de plus en plus soutenu la revendication d’interdire la manipulation des batteries fabriquées par les briseurs de grève.

La lutte oppose les travailleurs de l’usine de Holland à l’industrie transnationale de l’automobile et des fournisseurs de pièces détachées, qui cherche à écraser la grève. L’appareil pro-patronat de l’UAW, qui a déjà tenté de faire passer deux contrats de concessions – rejetés à une écrasante majorité par les travailleurs – et qui essaie maintenant d’affamer les travailleurs rebelles en faisant traîner la grève en longueur et en l’isolant délibérément, apporte une aide cruciale aux employeurs.

L'UAW n'a fait aucun effort sérieux pour alerter ses 1,1 million de membres actifs et retraités ou la classe ouvrière en général sur l'importance de cette grève, et encore moins pour mettre un terme à l’usage de batteries faites par des briseurs de grève dans les usines d'assemblage de Ford, GM ou Stellantis. En effet, l'UAW International a ordonné aux travailleurs de l'usine d'assemblage GM de Flint d'installer des batteries Clarios produites par des briseurs de grève, malgré l'opposition de la base.

Cherchant à isoler et à trahir la grève à Clarios, l’appareil de l’UAW emploie toutes les méthodes utilisées lors de luttes précédentes, comme chez Volvo Trucks, John Deere et CNH. Cela inclut pousser à des votes de ratification de contrats à l’improviste, la désinformation, les mensonges purs et simples et l’intimidation.

La détermination de l’UAW à isoler et écraser la grève est soulignée par la révélation que la bureaucratie syndicale collabore au transfert de la production de l’usine de l’Ohio vers une usine située à Saint-Joseph, dans le Missouri.

L’appareil de l’UAW craint avant tout qu’une victoire des travailleurs de Clarios et l’obtention par eux de hausses de salaire significatives et suffisantes pour lutter contre l’inflation, ainsi que le rétablissement de la journée de huit heures, susciterait des attentes chez les travailleurs de l’automobile lors des négociations contractuelles de septembre avec Ford, GM et Stellantis.

Les DSA et Jacobin participent au black-out médiatique sur la grève de Clarios

La bureaucratie de l’UAW, profondément discréditée, compte pour isoler la lutte sur l’aide cruciale apportée par des organisations pseudo-de gauche comme le magazine Jacobin, l’organe semi-officiel des DSA, et la revue Labor Notes. Étant donné l’intégration croissante de ces éléments aux échelons supérieurs de l’appareil même de l’UAW, ils peuvent difficilement prétendre ignorer la grève.

Les DSA et Labor Notes en particulier ont fortement contribué à promouvoir les prétendues références réformistes du président de l’UAW, Shawn Fain, aux élections syndicales nationales de 2022, oubliant commodément que c’est un bureaucrate de longue date profondément impliqué dans les trahisons du gang de Solidarity House. Lorsque fut imposé le système des paliers en 2009, Fain faisait partie du Comité national de négociation UAW-Chrysler. Ils ont salué l’élection de Fain comme la victoire d’une sorte de rébellion insurrectionnelle, malgré que Fain a été élu avec les voix d’environ 3  pour cent des membres de la base de l’UAW, dans une élection entachée par la suppression massive et délibérée des votes par l’appareil syndical. Cela fut détaillé dans une contestation de l’élection déposée par Will Lehman, travailleur de Mack Trucks et candidat socialiste à la présidence de l’UAW.

Entre-temps, ces organisations n’ont pratiquement rien écrit sur la grève de Clarios. Elles renforcent l’isolement imposé par l’UAW et se font ainsi complices des briseurs de grève de la direction. Ce silence inclut des politiciens démocrates se disant socialistes comme le sénateur du Vermont Bernie Sanders et la députée de New York Alexandra Ocasio-Cortez.

Le WSWS avait déjà noté le silence de pratiquement tous les groupes de pseudo-gauche ainsi que des médias d’entreprise sur la grève courageuse des travailleurs de Volvo Trucks à New River Valley, en Virginie, en 2021. Les mêmes observations faites à l’époque s’appliquent avec force à la lutte chez Clarios.

Toute organisation authentique de la classe ouvrière saluerait et encouragerait la position courageuse adoptée par les travailleurs de Clarios. Elle soutiendrait l’appel à élargir la grève et à mettre fin à l’utilisation de batteries de briseurs de grève. Le silence des groupes de la pseudo-gauche sur cette lutte cruciale en dit long sur leur orientation sociale, fondamentalement hostile à la classe ouvrière.

L’une des rares mentions de la grève de Clarios par ces groupes est l’exception qui confirme la règle. Une référence d’un seul paragraphe à la fin d’un article sur la grève de 160  travailleurs des pièces détachées de Constellium à Van Buren Township, Michigan, publié le 1er  juin 2023 par «Labor Notes», ‘‘Ford Parts Workers Strike over Money, Safety, Discipline’’ [Les ouvriers des pièces détachées de Ford font grève pour des questions d’argent, de sécurité et de discipline].

Comme celle de Clarios, la grève des travailleurs de Constellium est isolée et trahie par l'UAW International, qui n'a pas levé le petit doigt pour stopper la vaste opération pour briser la grève menée par la direction. L'article rapporte nerveusement le sentiment qui règne sur le piquet de grève de Constellium: «Les nouveaux membres se demandaient pourquoi leurs collègues ne refusaient pas de manipuler des pièces de briseurs de grève  ».

L’auteur, Jane Slaughter, membre des DSA, ne prend pas la peine de souligner que c’est l’UAW International, et non les travailleurs de la base, qui porte la responsabilité d’autoriser l’entrée dans les usines automobiles de pièces produites par des jaunes. Cette omission n’est pas accidentelle. L’idée maîtresse de l’article est de promouvoir la direction soi-disant nouvelle et réformée de l’UAW sous la direction de Shawn Fain, en suggérant qu’elle mène un véritable combat.

Tout à la fin de l’article, Slaughter consacre trois phrases à la grève des Clarios. Elle conclut: «Les membres de la section locale  12 de l’UAW ont rejeté la semaine dernière un accord de principe à 75,8  pour cent». Slaughter ne dit pas que cet accord favorable à l’entreprise ainsi que le précédent, rejeté à 98  pour cent le 27  avril, ont été recommandés et poussés par l’appareil de l’UAW, y compris par l’homme de confiance de Fain, le directeur de la région  2B, David Green.

L’une des principales raisons du black-out sur la grève de Clarios par les publications de la pseudo-gauche est le rôle joué par le WSWS et le Socialist Equality Party pour défendre les travailleurs de Clarios. Ils ont expliqué la signification plus large de leur lutte et ont encouragé l’initiative de la base contre le sabotage de son combat par l’appareil pro-entreprise de l’UAW. Ces publications voient avec inquiétude le soutien croissant au WSWS et à la perspective du socialisme dans la classe ouvrière.

L’orientation des groupes de la pseudo-gauche vers l’appareil corrompu et pro-entreprise de l’UAW est liée aux intérêts matériels des couches privilégiées de la classe moyenne supérieure au nom desquelles ils parlent. Les revenus de ces couches aisées sont liés à la hausse continue du marché boursier et elles voient avec énervement l’intérêt croissant des travailleurs pour le socialisme et leurs efforts pour se libérer des chaînes des appareils syndicaux corrompus et des partis politiques capitalistes.

En outre, les membres dirigeants des DSA et de Labor Notes sont de plus en plus intégrés aux postes de haut niveau dans les appareils syndicaux, de même qu’à des postes au sein du Parti Démocrate, où ils fournissent un vernis «progressiste» à ces institutions discréditées et de plus en plus méprisées.

Le cas de Jonah Furman, membre des DSA, ex-rédacteur de Labor Notes et agent du Parti démocrate, qui reçoit un salaire à six chiffres en tant que directeur de la communication de l’UAW, illustre bien ce phénomène. Le dernier salaire publié pour ce poste était de 161.364  dollars par an, plus les frais.

Un autre ex-rédacteur de Labor Notes et membre des DSA, Chris Brooks, a été choisi pour diriger l’équipe de transition de Fain. Brooks a rédigé un document stratégique, qui a depuis été fuité, avertissant que l’UAW sous Fain devrait surmonter les «attentes irréalistes» des travailleurs lors des négociations contractuelles de 2023.

Jacobin, les DSA, Labor Notes et d’autres se sont tous rangés derrière la campagne du gouvernement Biden pour promouvoir les syndicats, plus spécifiquement l’appareil syndical corrompu, comme le moyen non pas de faire avancer les luttes des travailleurs, mais de supprimer et saboter toute riposte ouvrière. L’attitude totalement hostile de ces groupes de la pseudo-gauche à l’égard de la classe ouvrière s’est montrée dans leur soutien ouvert ou tacite au gouvernement Biden quand il a interdit une grève des travailleurs du rail à l’automne dernier et imposé un contrat favorable au patronat.

La classe dirigeante américaine considère comme vital le renforcement de l’appareil syndical, non seulement pour réprimer les grèves dans l’intérêt de maintenir les profits, mais aussi pour aligner les travailleurs sur la guerre menée contre la Russie et les préparatifs de guerre avec la Chine. Pour leur part, les groupes de la pseudo-gauche ont presque unanimement approuvé la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine et les provocations à l’encontre de la Chine.

Alors que la lutte des classes s’intensifie, le rôle de ces organisations en tant que défenseurs des bureaucraties syndicales et du système capitaliste dans son ensemble devient de plus en plus clair pour les travailleurs. La tâche des socialistes authentiques est d’éduquer les travailleurs sur ce que ces groupes représentent réellement alors qu’ils construisent des organisations de lutte de classe véritablement indépendantes et représentatives. Cela signifie avant tout construire l’Alliance internationale ouvrière des comités de base (initiales anglaises IWA-RFC).

(Article paru d’abord en anglais le 9 juin 2023)

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