Allemagne : Le dirigeant du syndicat des cheminots transforme le syndicat en une agence de travail temporaire

Le 23 janvier, le syndicat allemand des conducteurs de train (GDL) a fondé une coopérative appelée Fair Train eG. Les sept premiers membres de la coopérative comprennent le chef du GDL, Claus Weselsky, et son successeur désigné, Mario Reiss. La coopérative est une agence de travail temporaire qui doit « louer » des conducteurs de train aux entreprises de transport ferroviaire.

Le GDL veut « établir de nouvelles normes », a expliqué Weselsky le 5 juin. Le projet a été présenté ce jour-là avec les revendications salariales du syndicat lors d'une assemblée générale du GDL, puis présenté aux médias à Berlin. Le GDL affirme qu'avec Fair Train, il a « fondé une entreprise qui offre des conditions équitables en matière de location de conducteurs de locomotives ». Weselsky s'est enthousiasmé devant ses membres que le « modèle séculaire des coopératives» résoudrait tous leurs problèmes.

Le chef du GDL Weselsky et des conducteurs de train en grève à l'Ostbahnhof de Berlin en 2021

En fait, c'est le contraire qui se produit. La coopérative est un piège et chaque conducteur de train doit en être conscient. Elle marque une nouvelle étape dans la transformation des syndicats en instruments des grandes entreprises et en entreprises exploitant les travailleurs eux-mêmes.

En créant sa propre agence de travail temporaire, le GDL place ses membres dans une situation dangereuse. Ces derniers sont censés démissionner de la Deutsche Bahn (l'entreprise ferroviaire publique) et d'autres entreprises appartenant au gouvernement, et mettre en péril des décennies d’acquis sociaux afin de signer avec le nouveau Fair Train. Un dirigeant capitaliste, Peter Bosse, qui a été responsable des ressources humaines dans diverses entreprises pendant 22 ans, plus récemment dans les sociétés insolvables Abellio Rail NRW et Vias Rail, a été nommé PDG.

Compte tenu de l'extrême pénurie actuelle de personnel, le GDL s'engage à louer des conducteurs de train aux entreprises ferroviaires à de meilleures conditions que celles dont elles bénéficient actuellement. Mais c'est un calcul tout à fait naïf. Qui paiera la formation, les indemnités de maladie, les plans de retraites d'entreprise et, dans le cas des conducteurs qui ont atteint le statut de la fonction publique, les retraites de l'État? Que se passe-t-il lorsque les conducteurs de train sont licenciés par les compagnies ferroviaires? En tant que travailleurs temporaires, ils ne peuvent prétendre à une protection adéquate contre le licenciement et Fair Train ne pourra pas continuer à payer leurs salaires pendant longtemps.

Fair Train veut aussi faire des profits, soulignait Weselsky. « Non seulement on démarre une entreprise, mais elle va très vite fonctionner rentablement pour faire des profits au profit de tous. »

Comme il s'agit d'une coopérative, les bénéfices seront distribués aux membres. Mais avant cela, il faut financer les coûts d'exploitation, un énorme appareil bureaucratique et les salaires du conseil d'administration de Fair Train, ce qui, d'après l'expérience, ne sera pas modeste. Les conducteurs de train à louer ne recevront qu'une fraction de ce que les compagnies ferroviaires paient à Fair Train pour ses services.

Fair Train doit également rivaliser sur le marché capitaliste avec la concurrence féroce des sociétés de personnel telles que MEV et des sociétés ferroviaires qui sont dans le secteur depuis des années et peuvent s'appuyer sur de vastes ressources internationales. Fair Train est explicitement engagé dans l'économie de marché capitaliste. Sur son site Internet, il cite « l'action libérale » comme premier principe, c'est-à-dire avant les « salaires équitables » et les « conditions de travail socialement acceptables ».

Dans une interview avec Tilo Jung dans le cadre de son format « Jeune et Naîf », Weselsky a répondu de la manière suivante à une question sur Karl Marx: « Nous ne sommes pas dans une guerre de classe, nous sommes dans une économie de marché. » À maintes reprises, Weselsky a souligné l'importance de faire des profits. « Une entreprise qui ne fait pas de profit n'est pas une entreprise. »

De plus, la Deutsche Bahn utilisera certainement l'initiative GDL pour créer ses propres agences d'intérim et externaliser des pans importants de l'exploitation ferroviaire, comme le font depuis longtemps de nombreuses grandes entreprises. L'ensemble du processus équivaut à une sorte de Ryan Airisation des chemins de fer. La compagnie aérienne à bas prix Ryan Air a perfectionné le système d'externalisation et d'utilisation de la main-d'œuvre contractuelle, employant des pilotes et des équipages à des salaires très bas.

Cette manœuvre perfide du GDL revient en fait à diviser la main-d'œuvre ferroviaire et à lui interdire de faire grève. La création d’une agence d'intérim creuse un fossé entre les conducteurs de train et les autres cheminots, sapant ainsi toute lutte commune. En fait, cela signifie renoncer au droit de grève, car les employeurs des conducteurs de train ne sont alors plus les compagnies ferroviaires, mais Fair Train, c'est-à-dire, selon Weselsky, les conducteurs eux-mêmes.

Au XIXe siècle, des réformateurs sociaux catholiques et protestants comme Adolph Kolping et Friedrich Wilhelm Raiffeisen, auxquels Weselsky se réfère explicitement, ont fondé des coopératives, des associations de consommateurs et des banques populaires pour protéger les agriculteurs, artisans, petits commerçants et ouvriers des pires dérives du grand capital. Au début du XXe siècle, la marxiste Rosa Luxemburg dénonçait de telles tentatives de «changer la mer d'amertume capitaliste en une mer de douceur socialiste, en y versant progressivement des bouteilles de limonade sociale réformiste».

Kolping et Raiffeisen ont résolument rejeté une perspective socialiste, qui à l'époque gagnait en popularité massive sous la forme d'un soutien au Parti social-démocrate (SPD). Raiffeisen, né la même année que Marx, n'a jamais remis en question le système de profit capitaliste et l'État et a rejeté les communistes et les socialistes comme un «parti subversif».

Au 21e siècle, alors que les groupes financiers mondiaux et les entreprises dominent la vie économique de tous les pays, de tels concepts sont tout à fait réactionnaires. Ni les conducteurs de train ni aucune autre section de travailleurs ne peuvent défendre leurs revenus et leurs droits en tant que forces indépendantes sur un marché capitaliste dominé par des monopoles milliardaires. Cela ne peut se faire qu'avec les méthodes de la lutte de classe. Ils doivent s'unir à travers les professions, les secteurs et les pays et affronter conjointement les entreprises et l'ensemble du système capitaliste.

C'est précisément ce que l'initiative du GDL cherche à empêcher à tout prix.

Le GDL et Weselsky

Le syndicat professionnel GDL s'est fait connaître en 2007 et 2008 lorsqu'il a mené une grève de 11semaines. De nombreux cheminots ont par la suite quitté le syndicat rival EVG, qui était fermement entre les mains de la direction des chemins de fer et se sont tournés vers le GDL prétendument plus militant. Le gouvernement allemand réagit à cela et à des développements similaires dans l'aviation, où le syndicat des agents de bord UFO et le syndicat des pilotes Cockpit ont organisé des grèves, en introduisant sa loi sur la centralisation des négociations salariales, qui a massivement restreint les droits des petits syndicats.

En 2014 et 2015, le GDL organisa de nouvelles grèves nationales de plusieurs jours, dirigées entre autres contre la loi sur la centralisation des négociations salariales. À l'époque, le Parti de l'égalité socialiste défendait le GDL contre les attaques du gouvernement, mais prévenait qu'en raison de sa perspective étroite en tant que syndicat professionnel, il poignarderait les grévistes dans le dos.

Les conducteurs et contrôleurs de train sont «confrontés à des tâches politiques et à une lutte politique», écrivions-nous. «Cela est devenu clairement visible ces derniers jours. Weselsky a profité de chaque occasion pour faire comprendre au gouvernement fédéral qu'il ne voulait pas lutter contre lui, mais plutôt travailler avec lui. »

Ce qu'il faudrait, disions-nous, c'est une perspective internationale et socialiste: «Weselsky et le GDL prétendent que même à une époque de crise mondiale, un syndicat national peut défendre les intérêts des travailleurs s'il est simplement un peu plus militant et moins corrompu. Mais c'est une illusion. En réalité, la lutte pour défendre les droits et les acquis des travailleurs soulève directement la question de la perspective politique. Et ici, les syndicats corporatistes sont d'accord avec les syndicats traditionnels du DGB, malgré d'autres divergences. Les deux défendent le système de profit capitaliste.

Depuis lors, le GDL a trahi à plusieurs reprises l'action revendicative. En septembre 2021, il a mis fin à une grève peu avant les élections fédérales et a convenu d'un règlement salarial au rabais. «Weselsky, qui est lui-même membre de l'Union chrétienne-démocrate [CDU], ne veut pas que l'élection fédérale et la formation ultérieure d'un gouvernement se déroulent dans une situation où la grève des conducteurs de train devient le point de départ d'un large mouvement social et une radicalisation de la classe ouvrière», commentions-nous à l'époque.

Lundi dernier, le GDL a également annoncé ses revendications pour les négociations contractuelles à venir, prévues à l'automne. Malgré une inflation record, les revendications sont inférieures à celles de l'EVG, qui a été contraint d'organiser ces dernières semaines deux grèves d'avertissement à l'échelle nationale sous la pression de ses membres, et tente désormais désespérément de les trahir. En plus d'une prime d'inflation non imposable unique de 3 000 €, le GDL ne demande qu'un supplément mensuel de 555 € pour une période de 12 mois. Il réclame également certaines améliorations du temps de travail.

Il y a quelques semaines, le GDL a déjà accepté une réduction substantielle des salaires réels dans deux entreprises ferroviaires SWEG du Bade-Wurtemberg, avec des augmentations de salaire de seulement 4,8 pour cent sur 22 mois.

L'initiative d'externaliser les conducteurs de train dans une agence d'intérim contrôlée par le GDL, représente un nouveau recul pour le syndicat. Dans des conditions où de puissantes luttes de classe se développent dans le monde entier, le GDL cherche à isoler les conducteurs de train et à les conduire dans une impasse. Sa dernière proposition fournit encore une autre raison pour laquelle les travailleurs doivent rompre avec les bureaucraties syndicales. La réponse ne peut être pour les travailleurs que de s'unir internationalement dans des comités d'action indépendants.

Parmi les conducteurs de train et personnels du rail, le projet de Weselsky n'a jusqu'à présent rencontré que peu d'approbation. Les commentaires exprimant scepticisme et rejet se multiplient en ligne.

Un ouvrier écrit sarcastiquement: « C’est sûr, tous les cheminots savent à quel point les agences d'intérim sont formidables. » « Les intérimaires ne devraient-ils pas gagner 30 pour cent de plus ? » demande un critique sur le net. Un autre écrit : « L'économie de marché dans notre sens néolibéral crée des luttes de classes ». Et un autre encore écrit: « Pourquoi un chemin de fer devrait-il faire des profits ? Cela ne marche pas. Les transports doivent être orientés vers le bien commun, pas vers le profit ! » et se réfère en particulier à la question de la sécurité.

Même à l'assemblée générale du GDL, des voix sceptiques se sont élevées. « Nous devons d'abord digérer cela », a déclaré un conducteur. « Est-ce que c'est censé être un fournisseur de services de personnel maintenant? » Un autre a demandé s'il était possible de s'inscrire d'abord à un emploi à temps partiel sans abandonner immédiatement son emploi à temps plein à la DB. Un autre a souligné que « tout le monde n'a pas 500 € à sa disposition sans plus tarder ». Et un autre encore a souligné que toute une partie des conducteurs de train bénéficiaient du statut de fonctionnaire. « Devrions-nous abandonner ça maintenant ? »

(Article paru en anglais le 17 juin 2023)

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