La classe dirigeante canadienne et l'aide médicale à mourir – une nouvelle forme d’euthanasie?

En mai, sur la rive-sud de Montréal, une maison funéraire a annoncé un «forfait clé en main» pour l’aide médicale à mourir (AMM). Pour 700$, des personnes peuvent se retrouver avec leurs proches dans un salon funéraire, passer un dernier bon moment puis subir l’intervention. Est prévue dans le forfait la prise en charge du corps pour les obsèques. Alors que l'AMM est en pleine expansion à travers tout le pays, la maison funéraire s'est défendue d'être «opportuniste».

Le même mois, le National Post, le porte-voix des sections les plus ouvertement à droite de la classe dirigeante canadienne, publiait les positions de deux bioéthiciens de l’Université de Toronto qui estimaient que refuser l’aide médicale à mourir à des personnes qui le demandaient à cause de leur situation de pauvreté était une erreur. Leur analyse repose sur des cas où les malades n’ont pas pu, du fait de leur manque de moyens financiers, profiter de traitements adéquats pour soigner leur maladie.

«Forcer des personnes qui se trouvent déjà dans des circonstances sociales injustes à attendre que ces circonstances sociales s'améliorent, ou la possibilité d'une charité publique qui se produit parfois, mais de manière peu fiable, lorsque des cas particulièrement pénibles deviennent publics, est inacceptable», ont-ils écrit dans le Journal of Medical Ethics.

Alors que la classe dirigeante canadienne et ses laquais dans les médias ont toujours présenté le régime d'aide médicale à mourir au Canada comme «progressiste» et «bien encadré», c'est, sans surprise, tout le contraire.

Alors que les critères d'accès à l'AMM se sont constamment élargis depuis son entrée en vigueur en 2016 pour en faire l’un des régimes les plus faciles d’accès dans le monde, les arguments sont maintenant amenés pour justifier l'euthanasie par l'État des pauvres et d’autres personnes qui vivent des «circonstances sociales injustes»: itinérants, malades, vieux, déficients intellectuels, personnes souffrant de maladies mentales (pour ces derniers, l'AMM sera d’ailleurs amendée par le gouvernement canadien l'an prochain) – autrement dit, tous ceux qui ne génèrent pas de profits pour la classe capitaliste par leur force de travail.

La question de l'aide médicale à mourir est une question complexe et sensible. Le fait que la technologie médicale permet de maintenir les gens en vie longtemps, même dans des souffrances intolérables, soulève de sérieuses questions éthiques.

Or, sous le capitalisme, ces questions sont inévitablement soumises à la chasse aux profits. Un système de santé public de qualité et généreusement financé, incluant des soins à domicile, des maisons de retraite pour aînés, des soins palliatifs pour les personnes atteintes d'une maladie en phase terminale, la fourniture adéquate de médicaments contre la douleur – bref, tout ce qui permettrait de mieux vivre la vieillesse ou la maladie et qui manque cruellement à des millions de personnes – est considéré comme une ponction sur les profits.

Des décennies d'assaut contre les salaires, les retraites et les services publics, qui ont permis à une petite minorité de s'enrichir de façon grotesque, s'accompagnent d'un assaut idéologique sur le concept même de la préservation de la vie humaine. Cette campagne réactionnaire, comme le montre l'article publié dans le National Post, rappelle de plus en plus l'eugénisme du régime nazi et les épisodes les plus sombres de l'histoire de l'humanité.

Tous ceux dont on ne peut extraire de la plus-value sont dévalorisés. Les ressources et soins qui doivent être mobilisés pour eux sont présentés comme un fardeau qui «coûte cher» à la société.

En 2017, des chercheurs de l’Université de Calgary faisaient paraître une étude suggérant que le Canada pourrait économiser 139 millions de dollars par année en soins de fin de vie grâce à la légalisation de l’aide médicale à mourir, notamment en «économisant» sur les soins palliatifs.

Les auteurs de l'étude concluent que l'aide médicale à mourir ne devrait pas être un fardeau financier pour le système de santé et pourrait devenir une source d’économie substantielle.

Le gouvernement canadien a d'ailleurs minutieusement compté les «économies» réalisées avec l'AMM. En 2020, le Directeur parlementaire du budget a publié un rapport qui montre, dans un froid langage comptable, la «réduction nette des dépenses de santé» provenant de l'ancienne mouture du régime de l'AMM, pour l’année 2021: 86,9$ millions. Avec les élargissements considérables d'accès à l'AMM contenu dans la loi C-7, le même rapport estime des «réductions nettes des dépenses» additionnelles annuelles de 62$ millions.

Le nombre de décès par AMM a augmenté de façon fulgurante au Canada. D'un peu plus de 1.000 en 2016, lorsque l'aide à mourir au Canada a été officiellement légalisée, c'est passé à 31.644 au total à la fin de 2021. Plus de 10.000 personnes sont décédées par AMM en 2021 seulement. L'AMM représente maintenant 3,3 pour cent de tous les décès au Canada.

L'idée toujours répétée par les médias et politiciens capitalistes que le recours à l'AMM représente simplement un «choix» fait par les individus et leurs familles est une fraude monumentale. Les «choix», incluant de décider ou non de continuer de vivre, se font dans un certain contexte social, historique et idéologique.

Est-ce vraiment un hasard si, d'un côté, les programmes sociaux sont saignés à blanc depuis des décennies sous le prétexte qu'il n'y a «pas d'argent», que les conditions sociales sont de plus en plus pénibles pour les 90% plus pauvres de la société et que, de l'autre, un nombre toujours plus grand de Canadiens font le «choix» de l'aide médicale à mourir?

La pandémie de COVID-19 a mis à nu l’indifférence des classes dirigeantes du monde entier pour la vie humaine. Uniquement préoccupées par le maintien de leurs profits, celles-ci ont levé toutes les barrières sanitaires pour reprendre les activités économiques au plus vite, causant la mort prématurée de millions d’êtres humains et exposant des dizaines de millions d’autres au risque accru de maladies graves associées à la COVID longue.

De même, la classe dirigeante américaine, appuyée par le Canada et les autres puissances impérialistes, est en train de gaspiller d'énormes ressources humaines et financières dans la guerre qu'elle mène contre la Russie – une guerre qui n'a rien à voir avec la défense de la «démocratie ukrainienne», mais plutôt avec la tentative des États-Unis de contrôler cette région du monde qu'ils considèrent comme vitale à leurs intérêts géopolitiques.

La classe dirigeante américaine ne pourrait être plus indifférente à la vie de millions de Russes et d'Ukrainiens, dont des centaines de milliers sont morts depuis le début du conflit. Elle s'efforce d'envenimer le conflit en envoyant toujours plus d'armes létales à l'Ukraine et rapproche chaque jour le monde d'une conflagration nucléaire.

Alors que l’assaut social et idéologique contre la classe ouvrière se poursuit, les critères pour être éligible à l'AMM sont constamment élargis par les politiciens capitalistes provenant de tous les partis. Au Canada, l'aide médicale à mourir était auparavant réservée aux personnes dont la mort naturelle était rapidement prévisible. En 2021, cette aide a été élargie aux personnes qui ne courent pas un risque imminent de mourir, mais dont la maladie, l'invalidité ou la maladie leur cause des souffrances durables difficilement vivables.

Le mois dernier, le gouvernement du Québec a fait évoluer la législation sur le sujet. D’ici deux ans, la loi permettra aux Québécois atteints d’Alzheimer d’exiger des soins d’aide à mourir avant que les symptômes soient trop handicapants. Elle rendra également admissibles les personnes touchées par une «déficience physique grave entraînant des incapacités significatives et persistantes». En 2024, le Canada veut rendre possible l’AMM pour les personnes souffrant exclusivement de maladie mentale.

Cette campagne idéologique soutenue a eu un certain impact sur la population. Selon des sondages, environ la moitié des Canadiens accepteraient de permettre aux adultes de demander l'AMM en raison d'une incapacité à recevoir un traitement médical (51%) ou d'un handicap (50%). Un peu plus du quart d’entre eux seraient favorables à l'élargissement de l'aide médicale à mourir pour inclure l'itinérance (28%) ou la pauvreté (27%).

Une forte opposition, toutefois, est venue des organismes de défense des personnes handicapées. «Notre plus grande crainte a toujours été que le fait d’avoir un handicap devienne une raison acceptable de suicide fourni par l’État», a fait savoir Krista Carr, vice-présidente d’Inclusion Canada. Il y a le cas de Roger Foley, un Ontarien de 47 ans atteint d’une maladie neurodégénérative, hospitalisé, incapable de bouger ou de prendre soin de lui-même. Il a raconté comment on lui a refusé des soins à domicile et fait pression sur lui pour qu’il demande l’aide médicale à mourir. Il réclame devant les tribunaux le droit à une «aide médicale à vivre».

Après des décennies où la classe ouvrière a été paralysée par une bureaucratie syndicale pro-capitaliste qui sabote ses luttes pour de meilleurs services publics et conditions de travail, la campagne des médias et des politiciens capitalistes autour de l’AMM crée une ouverture politique pour la droite religieuse. Ces éléments rejettent le droit à l’avortement au nom du «caractère sacré de la vie» – tout en étant les plus farouches partisans du démantèlement des programmes sociaux et de la guerre impérialiste qui fauche les vies humaines en masse.

Pour combattre les «circonstances sociales injustes», les travailleurs doivent confronter la dure réalité que la société dans son ensemble est subordonnée aux intérêts d'une petite clique capitaliste. Le droit à une vie riche et pleine – que les avancées technologiques d’un système de santé de qualité et universel peuvent prolonger tout en offrant l’assistance nécessaire en phase terminale – ne peut être réalisé que dans la lutte pour le socialisme, c'est-à-dire la réorganisation de l’économie pour satisfaire les besoins humains, et non les profits d'une petite minorité.

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