Perspective

Un été chaud de luttes ouvrières

La multiplication des grèves se heurte aux bureaucraties syndicales pro-patronales

Ces dernières semaines, un puissant mouvement de grève a commencé à émerger aux États-Unis et dans le monde. Il implique des dizaines de milliers de travailleurs dans différents secteurs d’activité. Une colère explosive provoquée par les bas salaires, les conditions de travail intolérables et les niveaux obscènes d’inégalité suscite dans les médias bourgeois des commentaires nerveux qui parlent d’un «été chaud de luttes ouvrières» à l’échelle mondiale.

Acteurs, scénaristes et leurs partisans en grève à New York, juillet 2023

Cependant, les travailleurs se heurtent sans cesse aux bureaucraties syndicales réactionnaires et, derrière elles, à l’État capitaliste.

Dimanche, le syndicat Teamsters a annoncé qu’il annulait la grève de 22.000 camionneurs de Yellow qui devait commencer lundi matin, défiant ainsi le sentiment généralisé des travailleurs en faveur d’un débrayage. L’objectif principal de l’accord conclu avec la direction était d’éviter qu’une grève chez Yellow n’encourage les travailleurs à débrayer chez UPS, où le contrat des 340.000 membres du syndicat des Teamsters expire le 31 juillet, soit dans une semaine. L’appareil des Teamsters, dirigé par le président Sean O’Brien, tente actuellement de parvenir à un accord pour empêcher une grève.

L’accord conclu avec Yellow ne résout aucun des problèmes qui ont poussé les travailleurs à exiger la grève, notamment les appels à une réduction brutale des coûts lancés par les prêteurs sur Wall Street.

La classe dirigeante est extrêmement nerveuse face aux luttes qui se développent déjà aux États-Unis et au Canada et qui pourraient se transformer en un mouvement incontrôlable de la classe ouvrière:

  • Plus de 11.000 scénaristes sont en grève depuis près de deux mois, rejoints à la mi-juillet par plus de 65.000 acteurs, ce qui a entraîné l’arrêt de la production cinématographique et télévisuelle américaine lors de la première grève conjointe des scénaristes et des acteurs depuis 1960.
  • En Colombie-Britannique (Canada), 7.400 dockers ont débrayé mardi dernier pour la deuxième fois en un mois. L’International Longshore Workers Union (ILWU) a toutefois mis fin à la grève en quelques heures après que le gouvernement du Premier ministre canadien libéral Justin Trudeau a déclaré le débrayage «illégal». L’ILWU a ensuite annulé une grève ultérieure qui devait commencer samedi. L’ILWU cherche maintenant à faire adopter son accord de principe avec les opérateurs portuaires lors d’un vote qui aura lieu mardi, malgré l’opposition généralisée des travailleurs.
  • Jeudi dernier, des milliers de travailleurs de l’hôtellerie du sud de la Californie ont entamé une troisième série de grèves dans huit établissements de la région de Los Angeles. Les travailleurs de l’hôtellerie réclament d’importantes augmentations de salaire pour faire face à la flambée des coûts du logement et de la nourriture, mais ils ont vu leurs grèves délibérément isolées et divisées par la section locale 11 du syndicat UNITE HERE.
  • Environ 1.400 travailleurs de Wabtec en Pennsylvanie – qui fabriquent des locomotives – et 1.400 travailleurs de «National Steel Car» à Hamilton, en Ontario – qui fabriquent des wagons – font grève depuis plus d’un mois.

Au-delà de l’Amérique du Nord, les grèves ont continué à s’étendre à travers l’Europe, y compris, ces dernières semaines, parmi 10.000 travailleurs au sol dans les aéroports en Italie, des milliers de médecins seniors au Royaume-Uni et des travailleurs de la compagnie aérienne EasyJet au Portugal, entre autres.

Ces grèves ne sont qu’un pâle reflet de l’opposition qui se développe, et de plus en plus de travailleurs envisagent de passer à l’offensive. Outre la possibilité d’une grève qui débutera en août par des centaines de milliers de travailleurs d’UPS, en septembre, les conventions collectives de 170.000 travailleurs de l’automobile de Ford, General Motors et Stellantis aux États-Unis et au Canada arrivent à échéance.

La Maison-Blanche craint particulièrement que le développement de la lutte des classes ne bouleverse les plans de guerre de l’impérialisme américain, dont l’escalade de la guerre contre la Russie et les préparatifs d’une guerre encore plus importante contre la Chine. Elle s’appuie sur l’appareil syndical pour tenter de contrôler la situation d’une manière ou d’une autre.

Alors que l’administration de Shawn Fain, président du Syndicat des travailleurs de l’automobile (UAW), se targue de mener une «réforme» de l’UAW, elle continue de trahir les luttes des travailleurs au cours des premiers mois de son mandat, y compris la grève de 40 jours des travailleurs des batteries Clarios. Bien conscient de la colère des travailleurs face aux mensonges permanents de la bureaucratie syndicale, l’UAW a lancé en grande pompe une page et des vidéos sur un «suivi des négociations» avec les constructeurs (Ford, General Motors, Stellantis), sans pour autant expliquer concrètement aux travailleurs ce qu’ils exigent des entreprises ou ce qu’ils discutent avec elles.

Derrière la rhétorique «militante» grandiloquente et les belles paroles de Fain et O’Brien se multiplient les subterfuges et les craintes. Les dirigeants de l’UAW et des Teamsters, comme leurs homologues d’autres syndicats, se coordonnent étroitement avec le Parti démocrate, cherchant désespérément à éviter les grèves et à empêcher les travailleurs de lancer des luttes qui pourraient échapper à leur contrôle.

La semaine dernière, le président américain Joe Biden a demandé une discussion privée avec Fain en prévision des réunions à huis clos entre le chef de l’UAW et la quasi-totalité de la direction du Parti démocrate: les mêmes politiciens qui ont interdit une grève des chemins de fer il y a quelques mois et imposé un contrat aux travailleurs du rail l’année dernière.

L’émergence explosive de la lutte des classes est motivée par des conditions de vie qui sont devenues de plus en plus impossibles pour la classe ouvrière. Dans les pays dits les plus riches du monde, la faim et le sans-abrisme frappent non seulement les chômeurs et les travailleurs à temps partiel, mais aussi de plus en plus ceux qui ont un emploi à temps plein dans les grandes entreprises. Dans une enquête récente menée par le site d’emploi Monster.com, plus de 80 pour cent des personnes interrogées ont déclaré que leur salaire ne suivait pas l’augmentation du coût de la vie.

Un énorme mécontentement social se développe autour d’un large éventail de griefs, allant des profits et richesses stratosphériques amassés par les entreprises et les super-riches, aux conditions de travail abominables qui sont devenues omniprésentes. L’impact de plus en plus évident de la crise climatique est lui-même un facteur de l’été «chaud» de luttes ouvrières. Une vague de chaleur meurtrière déferle sur une grande partie de l’hémisphère nord et une fumée sans précédent des incendies de forêt a recouvert à plusieurs reprises de vastes étendues du Canada et des États-Unis.

L’horrible bilan de la pandémie de COVID-19, avec des signes précurseurs d’une nouvelle vague aux États-Unis, continue de susciter un profond sentiment d’injustice et un besoin de représailles chez les travailleurs. «Le traumatisme national nous rapproche d’un point de rupture», écrivait dimanche le Detroit Free Press, qui ajoutait: «Les travailleurs sont épuisés et veulent se sentir valorisés pour ce qu’ils ont fait pendant la pandémie».

C’est contre cette marée montante de luttes que la classe dirigeante dirige tous ses efforts. Les banques centrales américaine et européenne devraient continuer à relever leurs taux d’intérêt cette semaine, déterminées à faire grimper le chômage et à affaiblir l’impact économique que peuvent avoir les travailleurs. «Le marché de l’emploi restant ferme, les autorités ne prennent aucun risque», a déclaré James Knightley, économiste international en chef chez ING Financial Markets LLC, dans un reportage de Bloomberg publié dimanche.

La classe dirigeante et ses serviteurs sont terrifiés par l’énorme pouvoir social de la classe ouvrière. C’est ce pouvoir social qui doit être organisé au niveau international et libéré.

L’issue des luttes dans l’industrie automobile, chez UPS et dans d’autres secteurs, dépend de la capacité des travailleurs à prendre l’initiative. On ne peut faire confiance à aucun des responsables syndicaux ni à ce qu’ils disent. Fain, O’Brien et leurs homologues conspirent à huis clos avec les patrons et leurs représentants à Washington. Ils ont déjà commis d’immenses trahisons et ils recommenceront si on leur en donne l’occasion.

L’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC) met en place un réseau mondial de comités dirigés par les travailleurs dans tous les secteurs d’activité. Ces comités – chez GM, Stellantis, Ford, UPS et ailleurs – relient les travailleurs entre eux, leur fournissent un moyen de partager des informations et de préparer et coordonner une contre-offensive unie. Nous encourageons vivement les travailleurs à adhérer à l’IWA-RFC et à créer un comité de base sur leur lieu de travail dès aujourd’hui.

(Article paru en anglais le 24 juillet 2023)

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