Un rapport révèle les énormes profits réalisés par l’industrie du transport maritime alors que le gouvernement canadien et l’ILWU conspirent pour imposer des reculs aux dockers de la côte ouest

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Les 7400 dockers de la côte ouest du Canada qui ont courageusement mené une grève de 13 jours au début du mois sont contraints de voter cette semaine sur un contrat dicté par le gouvernement qui ne répond à aucune de leurs revendications. La grève a été déclenchée par des travailleurs qui réclament des augmentations de salaire supérieures à l’inflation dans des conditions où les géants mondiaux du transport maritime qui les emploient réalisent des bénéfices exceptionnels. Ils exigent également la fin de la sous-traitance et la protection des emplois contre l’automatisation.

L’International Longshore and Warehouse Union (ILWU) a cédé à plusieurs reprises à une série d’ultimatums du gouvernement visant à saboter la grève et à contraindre les travailleurs à voter sur un accord de capitulation rédigé par un médiateur fédéral. Selon un témoignage anonyme envoyé au World Socialist Web Site, l’accord n’offre qu’une augmentation de salaire de 18 % sur quatre ans, soit seulement 4,5 % par an, ce qui est bien en deçà de l’inflation de ces dernières années.

Dès le début de la grève, les géants du transport maritime et les puissantes sections des grandes entreprises canadiennes ont cherché à diaboliser les travailleurs et à polluer l’opinion publique en condamnant les salaires des dockers comme étant la cause de l’inflation du coût des marchandises transportées. Les employeurs et les médias bourgeois ont souvent cité le salaire annuel le plus élevé d’un docker – 132.000 $ – pour présenter les concessions exigées par les employeurs comme un «accord équitable» rejeté par des travailleurs corrompus et avides. Ils ont omis de mentionner que seuls 1 à 2 % des dockers gagnent ce montant, et seulement s’ils travaillent toute l’année et s’ils effectuent des quarts de nuit.

Toutefois, un rapport publié au début du mois et intitulé «Fighting For Stable And Fair Longshore Jobs: The Shocking Economic Facts Behind the BC Ports Labour Dispute» révèle que ce sont en fait les géants du transport maritime qui se gavent de profits faramineux.

Basé sur des données financières accessibles au public, le rapport, qui a été commandé par l’ILWU, présente cinq des six plus grandes compagnies maritimes mondiales dans la BCMEA. Les cinq compagnies – Maersk, CMA, CGM, Cosco, Hapag-Lloyd et Evergreen – contrôlent ensemble 70 % du transport maritime mondial et ont réalisé un bénéfice combiné de plus de 100 milliards de dollars canadiens pour la seule année 2022, soit une augmentation considérable de 1500 % depuis 2019. À l’inverse, le revenu des dockers en Colombie-Britannique a augmenté de moins de 10 % au cours de la même période, ce qui représente une baisse des salaires réels selon l’inflation.

Un cargo Evergreen et un navire des garde-côtes américains, lundi 5 septembre 2022, près de Freeland, Washington [AP Photo/Stephen Brashear]

Le plus gros transporteur de conteneurs des six, Mediterranean Shipping Company (MSC), est une société privée et n’est pas obligé de publier ses bénéfices. Non citée dans le rapport mais méritant d’être mentionnée, une étude de Sea-Intelligence estime que le bénéfice record avant intérêts et impôts de MSC s’élève à environ 36 milliards de dollars en 2022. En outre, son fondateur, Gianluigi Aponte, a été l’un de ceux qui ont accumulé le plus de richesses l’année dernière, voyant sa valeur nette augmenter de 14,4 milliards de dollars au cours de la seule période de 12 mois allant jusqu’au 10 mars 2023, d’après Forbes.

Le rapport cite un article du Financial Times indiquant qu’entre 2020 et 2022, au cours des trois premières années de la pandémie de COVID-19, «l’industrie [du transport maritime] a généré autant de bénéfices qu’au cours des six décennies précédentes réunies. Les coûts de transport des conteneurs ont quintuplé avec la réouverture de l’économie mondiale, et les coûts de transport en haute mer continuent de se maintenir à plus de 50 % par rapport à ce qu’ils étaient avant la pandémie.»

Les principaux exploitants de terminaux de la Colombie-Britannique ont également vu leurs bénéfices augmenter, avec des hausses allant jusqu’à 25 % pour les services standard au cours des deux dernières années. Pendant ce temps, les salaires de base des travailleurs portuaires n’ont augmenté que de 6,6 % au cours de la même période, ce qui ne représente qu’une infime partie des coûts totaux du secteur du transport maritime.

En outre, le rapport note que les opérateurs de terminaux facturent aux transporteurs le double, voire plus, de ce qu’ils paient aux travailleurs. Et leurs taux de facturation de la main-d’œuvre ont augmenté beaucoup plus rapidement que les salaires réels. «De 2021 à 2023, les salaires de base des débardeurs ont augmenté de moins de 3 dollars l’heure, mais le taux de facturation de la main-d’œuvre perçu par un opérateur de terminal typique a augmenté de plus de 10 dollars l’heure», indique le rapport.

Le salaire de 132.000 dollars mentionné ci-dessus, qui est le salaire le plus élevé d’un débardeur, est assorti d’importantes conditions. Comme l’explique le rapport, dans le cadre du système de répartition actuel, les dockers sont confrontés à une grande insécurité en matière d’horaires de travail (ils ne reçoivent souvent aucun travail) et doivent attendre plusieurs années avant de pouvoir prétendre à des avantages sociaux. En outre, au cours des dernières années, «les salaires ont été bien inférieurs au coût de la vie en Colombie-Britannique, qui est très élevé: le pouvoir d’achat réel des salaires des dockers a chuté de 2,5 % depuis 2017.»

Les employeurs, soutenus par le gouvernement Trudeau et la bureaucratie de l’ILWU, espèrent poursuivre cette tendance en appliquant l’accord de principe dicté par le gouvernement. En plus d’une baisse des salaires réels, le travail sur les quais est rendu de plus en plus précaire et dangereux par la volonté des employeurs d’automatiser et d’externaliser les travaux de maintenance. Le rapport fait état de terminaux qui ont «manipulé la classification des compétences, les pratiques de répartition et la technologie afin de contourner la juridiction syndicale et d’éviter ainsi les salaires, les avantages et les autres protections du syndicat».

Les conclusions du rapport dénoncent les mensonges de la BCMEA, qui prétend que les dockers sont responsables de l’augmentation des coûts de transport, qui est le résultat de la recherche de profit des expéditeurs et des opérateurs de terminaux. Ces entreprises ont pleinement profité de la pandémie de COVID-19, qui a tué plus d’un million de personnes aux États-Unis et plus de 52.000 personnes au Canada, pour faire grimper rapidement leurs profits.

Toutefois, le rapport commandé par l’ILWU conclut en exhortant les travailleurs à faire confiance au cadre truqué du système de négociation collective. «Permettre à la négociation collective de se dérouler normalement est essentiel pour parvenir à un résultat équilibré et durable», affirme le rapport. En fait, la procédure «normale» de la négociation collective est la suivante: si le syndicat se sent incapable d’imposer une capitulation pourrie en raison de l’opposition de la base, le gouvernement se range ouvertement du côté des patrons en adoptant une loi de retour au travail pour criminaliser toute grève et appliquer les diktats des grandes entreprises. La seule raison pour laquelle le gouvernement Trudeau n’a pas eu à recourir à une loi de retour au travail pour mettre fin à la grève est que la bureaucratie de l’ILWU a capitulé devant ses menaces sans se battre et a accepté de forcer les travailleurs à voter sur un contrat de capitulation misérable.

L’auteur du rapport, Jim Stanford, a un lourd passé de trahison des travailleurs. Il a travaillé comme économiste pour le syndicat Canadian Auto Workers/Unifor pendant plus de deux décennies et a conseillé le syndicat lors de la restructuration massive de l’industrie automobile en 2008-9, qui a vu l’introduction de salaires à deux vitesses et la réduction de près de la moitié des revenus des nouveaux embauchés. En 2015, en tant qu’économiste en chef d’Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada représentant plus de 310.000 travailleurs, il a travaillé avec l’ancien président Jerry Dias, aujourd’hui en disgrâce, et la direction de General Motors pour éliminer les derniers vestiges d’un régime de retraite à prestations définies pour les travailleurs nouvellement embauchés et préparer le terrain pour de nouvelles concessions aux patrons des usines canadiennes des trois constructeurs automobiles de Detroit.

Tout au long de la grève, l’ILWU Canada a frauduleusement proclamé la «solidarité internationale», tout en maintenant les dockers canadiens hermétiquement isolés de leurs collègues américains. Si l’accord de principe est rejeté, le gouvernement imposera une loi de retour au travail ou utilisera d’autres méthodes de répression étatique pour tenter d’empêcher la reprise de la grève. Pourtant, l’ILWU n’a aucune stratégie pour permettre aux travailleurs de s’opposer à une loi de retour au travail.

Les dockers canadiens de la côte ouest doivent voter résolument «non» au contrat imposé par le gouvernement. Mais cela ne peut être qu’un point de départ, car cela les placera immédiatement sur une trajectoire de collision avec le gouvernement libéral soutenu par les syndicats, ce qui nécessitera une lutte politique. La tâche urgente des dockers canadiens en grève est d’organiser des comités de base gérés démocratiquement pour s’emparer de la direction de la lutte, en opposition à la bureaucratie de l’ILWU qui maintient les travailleurs isolés dans le cadre truqué de la «négociation collective».

Les travailleurs doivent au contraire se battre pour unifier leur lutte avec celle des dockers de toute l’Amérique du Nord et élargir le combat à d’autres sections de travailleurs à travers le Canada, afin de faire échec à l’élite dirigeante, déterminée à faire payer aux travailleurs la guerre et les immenses profits des entreprises.

(Article paru en anglais le 26 juillet 2023)

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