Perspective

La faillite de Yellow et la guerre sur deux fronts de la classe dirigeante américaine

Des camions et des remorques de l’entreprise Yellow dans les installations de YRC Freight, le vendredi 28 juillet 2023, à Richfield, en Ohio [AP Photo/Sue Ogrocki]

Dans le cadre du plus grand licenciement collectif aux États-Unis depuis 2020, 30.000 travailleurs de l’entreprise de camionnage Yellow se sont retrouvés au chômage ce week-end après que l’entreprise a annoncé qu’elle cessait ses activités dimanche.

Compte tenu de l’ampleur des licenciements et du fait que le principal créancier de Yellow est le gouvernement américain, le gouvernement Biden a pris la décision calculée d’autoriser la faillite, ce qui détruit ainsi les moyens de subsistance de 30.000 travailleurs et de leurs familles.

La raison officielle de la faillite est l’endettement de l’entreprise, qui s’élève à 1,6 milliard de dollars, dont la moitié environ est due au gouvernement fédéral. Mais ce chiffre est inférieur à ce que les États-Unis dépensent chaque semaine pour la guerre en Ukraine. En effet, la décision de la Maison-Blanche d’autoriser la faillite est profondément liée à la guerre.

Alors que le gouvernement américain proclame qu’il financera la guerre en Ukraine «aussi longtemps qu’il le faudra», il n’y aurait apparemment aucune ressource pour empêcher que des dizaines de milliers de familles de travailleurs ne soient jetées dans le dénuement à la suite de la plus grande faillite du secteur du transport routier de l’histoire des États-Unis.

L’élite dirigeante est engagée dans une guerre qui s’intensifie sur deux fronts.

À l’étranger, l’impérialisme américain cherche à soumettre et à démembrer la Russie, tout en se préparant à un conflit militaire encore plus important avec la Chine. À l’intérieur du pays, la classe dirigeante tente désespérément de contenir et de réprimer un mouvement de plus en plus combatif de la classe ouvrière et d’imposer des conditions de surexploitation.

En avril, le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan a déclaré que Biden s’était «engagé – et il nous en fait part chaque jour – à intégrer plus profondément la politique intérieure et la politique étrangère».

La guerre à l’étranger est une guerre à l’intérieur du pays. La Maison-Blanche considère que la répression de la classe ouvrière – en particulier des les secteurs clés de la logistique et de l’industrie manufacturière – et l’imposition de salaires de misère sont essentielles à la réalisation des objectifs prédateurs de l’impérialisme américain en matière de politique étrangère.

Le gouvernement Biden, avec le soutien des deux partis au Congrès, a systématiquement augmenté les dépenses militaires annuelles des États-Unis à des niveaux records. Près de mille milliards de dollars par an sont désormais consacrés au budget du Pentagone, aux coûts de la guerre en Ukraine, aux préparatifs de guerre avec la Chine et à la myriade d’agences de renseignement militaire américaines.

La réaction du gouvernement Biden à l’égard de Yellow contraste fortement avec ses actions liées aux faillites de la First Republic et de la Silicon Valley Bank au début de cette année, lorsque des sommes pratiquement illimitées ont été débloquées par l’État pour protéger la richesse de leurs déposants les plus riches, et celle de l’aristocratie financière de manière plus générale.

Pour les cadres supérieurs de Yellow, qui ont continué à percevoir des rémunérations de plusieurs millions de dollars année après année, la fermeture de la société ne sera finalement qu’un simple désagrément. Mais pour les 30.000 chauffeurs de camion, ouvriers d’entrepôt et employés de bureau de Yellow, ce sera une course désespérée pour trouver un emploi et éviter le dénuement total.

La destruction de dizaines de milliers d’emplois chez Yellow fait partie d’une politique plus large de la classe dirigeante, qui implique l’utilisation du chômage de masse et des bureaucraties syndicales pro-patronales pour forcer les travailleurs à accepter des salaires de misère.

La bureaucratie des Teamsters, loin de mener la lutte contre l’assaut sur les emplois des travailleurs de Yellow, s’est efforcée à chaque étape de semer la confusion et d’empêcher une grève, craignant qu’elle ne galvanise l’opposition parmi les travailleurs d’UPS et d’autres entreprises de logistique. Plus de 340.000 travailleurs d’UPS commencent à voter cette semaine sur un accord de principe pro-patronal, qui suscite déjà une large opposition.

Dans un communiqué publié dimanche qui visait à présenter la destruction de 30.000 emplois chez Yellow comme un fait accompli, le président général des Teamsters, Sean O’Brien, a déclaré: «Les nouvelles d’aujourd’hui sont malheureuses, mais pas surprenantes». Pour couronner le tout, O’Brien a affirmé: «Les Teamsters s’engagent à ce que les membres soient protégés et informés de toutes les dernières informations».

Plutôt que de mobiliser ses centaines de milliers de membres chez UPS, Yellow, TForce, ABF, et ailleurs dans une grève commune qui aurait défendu les emplois et obtenu des améliorations substantielles des salaires et des conditions de travail, la bureaucratie des Teamsters a cherché à isoler les travailleurs les uns des autres, en recourant aux mensonges et à l’intimidation pour imposer un à un des contrats pro-patronaux.

Cela ne fait guère de doute que les hauts responsables du syndicat des Teamsters et le gouvernement Biden ont collaboré étroitement à l’élaboration du plan Yellow. O’Brien s’est rendu souvent à la Maison-Blanche et a joué un rôle clé dans la trahison de la lutte de plus de 100.000 cheminots l’année dernière.

Chez UPS, Yellow et ailleurs, la direction des Teamsters a tenu les travailleurs dans l’ignorance des détails des discussions avec la direction. Le 23 juillet, les Teamsters ont annulé une grève chez Yellow qui devait commencer le lendemain, donnant sciemment à l’entreprise le temps nécessaire pour se préparer à déposer le bilan. Les responsables syndicaux ont probablement senti qu’ils ne seraient pas en mesure d’imposer eux-mêmes les reculs historiques demandés par l’entreprise sans déclencher une explosion parmi les travailleurs et ont décidé qu’il serait plus prudent de se décharger de cette tâche sur les tribunaux des faillites.

La faillite de Yellow et le rôle perfide de la bureaucratie des Teamsters sont un avertissement pour les travailleurs du monde entier. Les leçons sont particulièrement cruciales pour les 150.000 travailleurs de l’automobile de General Motors, Ford et Stellantis qui doivent lutter contre les entreprises et l’appareil des United Auto Workers à l’approche de l’expiration des conventions collectives le 14 septembre.

Biden, qui se décrit comme le «président le plus pro-syndical de l’histoire», cherche à s’appuyer autant que possible sur les bureaucraties syndicales pour bloquer ou isoler les grèves. Lorsque les luttes ont menacé d’échapper à l’emprise de la bureaucratie syndicale – comme dans les chemins de fer l’année dernière – la Maison-Blanche n’a pas hésité à déployer les pouvoirs de l’État pour imposer les diktats des sociétés.

L’utilisation croissante de l’État et des bureaucraties syndicales par la classe dirigeante ne se limite pas aux États-Unis. Au Canada, l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU) a annoncé dimanche en fin de journée qu’il avait conclu une nouvelle entente de principe avec les opérateurs portuaires de l’ouest du pays, dans le cadre d’un accord négocié par le Conseil canadien des relations industrielles, défiant ainsi le sentiment largement répandu parmi les dockers de reconduire leur grève. L’annonce est intervenue deux jours seulement après que les travailleurs ont rejeté un accord de principe soutenu par les entreprises, l’ILWU et le gouvernement Trudeau.

Terrifiés par le développement de la lutte des classes et faisant face à une série de crises sociales, politiques et économiques insolubles, le capitalisme américain et ses alliés impérialistes cherchent désespérément à s’en sortir en utilisant tous les outils à leur disposition, y compris des guerres prédatrices pour les marchés et les ressources et l’utilisation de conflits militaires pour canaliser les tensions sociales vers l’extérieur. En même temps, les coûts gargantuesques de l’escalade rapide du conflit en Ukraine et des préparatifs de guerre avec la Chine seront imposés à la classe ouvrière par des coupes dans les programmes sociaux et des baisses de salaire.

Ainsi, les guerres sur les deux fronts sont menées pour les mêmes intérêts de classe et au profit des mêmes multinationales.

Les attaques incessantes contre le niveau de vie des travailleurs suscitent déjà une colère et une opposition explosives, les grèves se multipliant aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et dans d’autres pays cette année.

Dans tous les cas, le principal obstacle auquel les travailleurs font face est la bureaucratie syndicale qui prétend les représenter mais qui, en réalité, agit comme des saboteurs ennemis, des membres de la cinquième colonne des sociétés et de l’État capitaliste.

Pour vaincre ces manœuvres de sabotage, les travailleurs doivent développer leur propre stratégie et les structures organisationnelles capables de la mettre en œuvre. Dans l’industrie automobile, chez UPS et ailleurs, les travailleurs sont de plus en plus nombreux à former des comités de base avec l’aide de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC), afin de coordonner leurs luttes sur différents lieux de travail et dans différentes industries.

Le capitalisme fait la guerre à la classe ouvrière, et la classe ouvrière doit déclarer la guerre au capitalisme. Une opposition latente existe à la guerre en Ukraine, mais on doit la rendre consciente et lui donner un programme politique. La lutte pour les droits et les intérêts des travailleurs – pour des salaires plus élevés, des conditions de travail décentes et le droit à un emploi bien rémunéré – doit être fusionnée avec la lutte contre la guerre impérialiste et pour le socialisme international.

(Article paru en anglais le 1er août 2023)

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