Chine: La hausse du chômage des jeunes laisse présager des luttes sociales majeures

Alors que l’économie chinoise ralentit et connait des problèmes dans de nombreux domaines – y compris la baisse de la demande des consommateurs, la baisse des investissements, les problèmes persistants dans le secteur immobilier et l’augmentation de la dette des gouvernements locaux, pour n’en citer que quelques-uns – une bombe à retardement sociale s’amorce.

Lycéens en Chine [AP Photo/Andy Wong]

Des dizaines de millions de jeunes, dont beaucoup sont diplômés de l’enseignement supérieur, sont incapables de trouver un emploi ou du moins les opportunités d’emploi promis par un enseignement supérieur.

Des dizaines de millions d’autres, sans diplôme ni qualification, sont soit sans travail, soit poussés vers des emplois très mal rémunérés ou essaient de gagner leur vie dans l’économie précaire du travail à la demande.

Les données les plus récentes ont montré que le taux de chômage des jeunes urbains âgés de 16 à 24 ans était de 21,3 pour cent, un record, reflétant une tendance à la hausse continue. En réalité, le chiffre pourrait être beaucoup plus élevé.

Plus tôt ce mois-ci, un professeur de l’Université de Pékin, Zhang Dandan, a écrit un article en ligne dans le magazine financier Caixin, déclarant que si 16 millions de non-étudiants restant à la maison et dépendant de leurs parents étaient inclus, le taux réel de chômage des jeunes pourrait être aussi élevé que 46,5 pour cent.

Ce phénomène est si répandu qu’un nouveau terme «Tangping» (s’allonger à plat) a été inventé pour le décrire. Une indication de la sensibilité entourant cette question est que l’article de Zhang, publié le 17 juillet, a été supprimé après quelques jours. Reuters a rapporté que les appels vers son téléphone professionnel sont restés sans réponse.

La question du chômage des jeunes fait l’objet de nombreuses discussions sur les réseaux sociaux avec le développement de nouveaux termes tels que «vivre aux crochets des vieux» et «enfants professionnels» utilisés pour décrire le «Tangping».

On estime que la Chine compte environ 96 millions de jeunes âgés de 16 à 24 ans vivant dans des zones urbaines. Parmi eux, 33 millions sont à la recherche d’un emploi. 48 millions de plus font un parcours dans l’éducation, ce qui laisse environ 15 millions d’autres non comptabilisés. Si ceux qui n’ont pas d’emploi, ne sont ni en formation ou en stage sont comptés comme sans emploi, alors le taux de chômage des jeunes est plus du double du chiffre officiel.

Le gouvernement est bien conscient du problème qui s’intensifie, mais n’a proposé aucune solution.

Un article de Bloomberg caractérisant plus de 20 millions de jeunes éduqués désœuvrés comme une «source potentielle d’instabilité sociale», a noté: «Le gouvernement a suggéré des emplois de l’aide à domicile, tels que les soins aux personnes âgées et la garde d’enfants, ainsi que des emplois ruraux. [Le président chinois Xi Jinping] a exhorté à plusieurs reprises les jeunes à “ronger leur frein”, à endurer les difficultés et à développer leur endurance. Cela n’a eu comme effet que d’engendrer les moqueries de la part des jeunes.»

Le chômage des jeunes chinois a fait l’objet à la fois de commentaires et d’analyses dans la période récente.

Dans un commentaire publié dans le Financial Times plus tôt ce mois-ci, George Magnus, un chercheur bien connu sur la Chine au China Center de l’Université d’Oxford, a déclaré que le terme «s’allonger à plat», exprimant la désillusion, avait pris racine parmi la jeunesse chinoise et un nouveau terme «Bai lan» (tout peut bien s’effondrer), véhiculant le pessimisme, gagnait également en popularité.

Citant des recherches menées par Scott Rozelle, professeur à l’Université de Stanford, Magnus a souligné «un changement marquant dans la structure professionnelle des emplois». Il y a quinze ans, le rapport entre les emplois du secteur informel et celui du secteur formel était de 40 à 60, mais cela s’est maintenant inversé.

Comme exemple de la situation à laquelle sont confrontés les jeunes éduqués, un reportage de CNN a cité le cas de Nancy Chen qui est maintenant une «fille à plein temps» dans une famille située dans la province orientale du Jiangxi.

La jeune femme de 24 ans enseignait dans un collège de tutorat privé après avoir obtenu son diplôme universitaire, mais a perdu son emploi en 2021 lorsque les autorités ont interdit les services de tutorat à but lucratif. Elle n’avait pas obtenu d’emploi depuis lors en raison d’une «concurrence féroce», citant un cas dans sa province où 30.000 personnes avaient postulé pour trois emplois au sein de l’administration municipale.

L’historien économique Adam Tooze a publié des données révélatrices dans un article récent sur son site Chartbook, notant que 11,58 millions de diplômés universitaires entreraient sur le marché du travail cette année.

Les chiffres, a-t-il écrit, étaient «vraiment inquiétants pour ceux des universités de deuxième ou troisième catégorie, dont beaucoup sont des étudiants de première génération dont les familles ont tout investi dans leur réussite scolaire».

Le chômage a été un choc et est un phénomène relativement récent.

«Il y a dix ans, la majorité des jeunes chômeurs des villes n’avaient pas de diplôme universitaire. En revanche, en 2021, plus de 70 pour cent des citadins chômeurs chinois âgés de 16 à 24 ans étaient titulaires d’un diplôme d’un établissement d’enseignement supérieur, et plus de 42 pour cent avaient obtenu une licence ou une maîtrise.»

L’analyse de Tooze s’est projetée au-delà de la préoccupation de la plupart des reportages sur les diplômés universitaires, affirmant que cela obscurcissait une «tendance plus profonde et à bien des égards plus inquiétante à l’œuvre sur le marché du travail chinois».

«Deux tiers des jeunes qui entrent sur le marché du travail en Chine en ce moment avant l’âge de 24 ans ne sont pas diplômés de l’université, mais ont un diplôme d’études secondaires ou moins. Cela reflète le fait que 40 pour cent des jeunes Chinois ne parviennent pas à accéder à l’enseignement supérieur. En effet, une importante minorité termine à peine ses études lycéennes et constitue la majorité des personnes qui entrent «tôt» sur le marché du travail.»

Dans les zones rurales, les écoles ne parviennent même pas à enseigner les compétences de base en alphabétisation et ce manque d’éducation a gravement limité les opportunités pour des dizaines de millions de jeunes.

Ils ne peuvent plus trouver d’emploi dans les fermes et les usines parce que la part de l’emploi dans ces secteurs diminue à la fois en termes relatifs et absolus. «La main-d’œuvre industrielle chinoise vieillit car les jeunes travailleurs sont exclus et restent à l’écart», a-t-il écrit.

Les jeunes travailleurs au bas de la pyramide sociale sont concentrés dans les secteurs «flexibles» ou informels à forte intensité de travail manuel. Ce n’est pas dans la construction, autrefois considérée comme l’employeur «classique» de la main-d’œuvre migrante venant de la campagne vers la ville, puisque les deux tiers des emplois se trouvent dans le secteur de services à forte intensité de travail manuel.

Selon les données officielles, le nombre de soi-disant «employés flexibles» a atteint 200 millions, soit 27 pour cent de la population active. D’autres estimations évaluent le nombre à 250 millions.

«Plutôt que de diminuer à mesure que la Chine s’enrichit», a écrit Tooze , «la part de l’emploi dans le secteur informel augmente en fait».

Il a cité une analyse de Caixin qui a estimé cette année que 5,7 millions de personnes dans les secteurs de l’éducation, de l’immobilier et de la construction devraient être sans emploi, soit une augmentation de 73 pour cent par rapport à 2019. Sur ce nombre, 1,3 million seraient de jeunes travailleurs, soit plus du double qu’il y a quatre ans.

Il y a une ruée vers l’emploi dans l’économie du travail à la demande, en particulier dans le domaine de chauffeur de taxi, le nombre de nouvelles licences délivrées aux chauffeurs augmentant de 32,6 pour cent en 2022. De nouveaux chauffeurs ont rejoint le secteur cette année à un rythme cinq fois plus rapide que l’année dernière. Cela a conduit à une situation où certaines villes ont cessé de délivrer des permis.

Les inégalités sociales se creusent, et c’est un fait qui ne passe pas inaperçu.

Comme l’a dit Tooze: «Alors que la croissance économique et la croissance des salaires pour chaque partie de l’économie chinoise ralentissent, ceux qui sont au sommet de la hiérarchie des grandes entreprises gagnent des salaires compétitifs à l’échelle mondiale s’élevant à des centaines de milliers de dollars et leurs salaires continuent d’augmenter au-dessus du PIB. En revanche […] ceux du secteur informel voient leurs revenus traînant derrière une croissance du PIB en constante diminution».

Les données économiques ont de vastes implications sociales et politiques. Le régime au pouvoir du Parti communiste chinois a soutenu que le tournant vers le capitalisme, commencé sérieusement il y a trois décennies, créerait une économie dans laquelle l’éducation apporterait un niveau de vie plus élevé tandis que la migration de la campagne vers la ville conduirait à l’avancement social.

Pendant un certain temps, cela a effectivement été le cas, des centaines de millions de personnes étant sorties de la pauvreté absolue. Malgré les affirmations des bureaucrates, cependant, les lois de l’économie capitaliste ne cessent jamais de fonctionner, et ce scénario heureux est maintenant brisé par la réalité.

À l’heure actuelle, des termes tels que «s’allonger à plat» sur les réseaux sociaux indiquent un air de résignation et de pessimisme. Mais les signes de colère et d’hostilité se multiplient également, marqués par la dérision à l’égard des annonces officielles.

Une nouvelle ambiance se développe. Cela laisse présager des conflits sociaux et de classe majeurs où la lutte pour une véritable perspective socialiste internationaliste, développée contre le dogme capitaliste officiel du «socialisme à la chinoise», et la formation d’une direction révolutionnaire pour la mener à bien, sera l’enjeu primordial.

(Article paru en anglais le 31 juillet 2023)

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