Perspective

Comment les travailleurs de l’automobile peuvent obtenir gain de cause dans leur lutte contractuelle

Des ouvriers en grève applaudissent devant l’usine d’assemblage de General Motor à Bowling Green, au Kentucky, lundi 16 septembre 2019.

Un climat explosif de colère et de militantisme émerge parmi les travailleurs de l’automobile aux États-Unis, à cinq semaines seulement avant l’expiration, le 14 septembre, des conventions collectives entre 150.000 membres des Travailleurs unis de l’automobile (UAW) et General Motors, Ford et Stellantis.

Les travailleurs sont de plus en plus déterminés à lutter non seulement contre de nouvelles attaques, mais aussi à annuler les concessions accordées précédemment avec le soutien de la bureaucratie de l’UAW. Ces deux dernières années ont été marquées par une série pratiquement ininterrompue de votes «non» à une écrasante majorité face à des conventions collectives pro-patronales soutenus par l’UAW. La dernière en date est celle des travailleurs de l’usine de sièges Lear à Hammond, dans l’Indiana, qui ont voté dimanche à 95 pour cent contre un accord de capitulation approuvé par l’UAW. Lors de la réunion qui a précédé le vote, les travailleurs ont affronté avec colère les représentants de l’UAW et ont réclamé la grève.

Dans ces conditions, le président de l’UAW, Shawn Fain, a annoncé la semaine dernière les points que l’UAW proposait d’inclure dans les nouveaux contrats des trois constructeurs, notamment l’élimination des paliers, le rétablissement de l’ajustement au coût de la vie, les pensions à prestations définies, la fin de l’utilisation abusive des intérimaires, le rétablissement des prestations de soins de santé pour les retraités et l’augmentation des revenus des retraités. Selon les médias, l’UAW aurait également proposé une augmentation salariale de 46 pour cent et «chercherait» à obtenir une semaine de travail de 32 heures pour un salaire de 40 heures.

Bien qu’édulcorés sur des aspects importants, les points proposés par Fain sont largement plagiés d’une déclaration adoptée par le Réseau des comités de base des travailleurs de l’auto, intitulée «What autoworkers need to win the 2023 Big Three contract battle» (Ce dont les travailleurs de l’automobile ont besoin pour remporter la bataille des conventions collectives en 2023), et des revendications qu’elle présente, qui ont été largement diffusées par les travailleurs sur les médias sociaux et dans les usines depuis leur publication au début du mois de juillet.

Les revendications du Réseau des comités de base des travailleurs de l’auto dans sa déclaration du 9 juillet

Mais ce que Fain et l’appareil de l’UAW ont entièrement omis, c’est que la déclaration du comité de base explique comment les travailleurs doivent se battre pour ces revendications et les obtenir.

La bureaucratie de l’UAW, sentant sa faiblesse et son isolement par rapport à la base, a clairement estimé qu’elle n’avait pas d’autre choix que de répondre de manière défensive aux revendications des travailleurs de la base et de les présenter comme les siennes, afin d’éviter désespérément une rébellion incontrôlable et sauvegarder tout ce qu’elle peut de sa crédibilité. Mais acculé au pied du mur, l’appareil bureaucratique joue avec le feu, suscitant des attentes qu’elle trahira inévitablement.

Ce qu’on doit faire, c’est que les travailleurs passent à l’offensive et que cette rébellion de la base s’organise.

On ne peut pas faire confiance à la direction de Fain pour lutter pour quoi que ce soit. Elle a déjà démontré, en trahissant la grève des travailleurs des batteries Clarios, qu’elle se consacre à la défense des intérêts des sociétés. Ce serait une erreur fatale pour les travailleurs que d’adopter une approche «attentiste» de ce que fera la bureaucratie.

Une lutte énorme et sans relâche est nécessaire. Tout ce dont les travailleurs ont besoin fera l’objet d’une résistance acharnée de la part des constructeurs, comme le montre déjà la réponse de Stellantis cette semaine, qui exige de nouvelles concessions en bloc. Comme l’explique le Réseau des comités de base des travailleurs de l’auto, «les travailleurs de l’automobile gagneront ce combat, non pas en faisant appel aux dirigeants des constructeurs et aux politiciens des grandes entreprises, mais en menant une lutte de classe acharnée et sans compromis».

Afin d’asseoir cette lutte pour les revendications des travailleurs sur une base sérieuse, les mesures immédiates suivantes sont nécessaires:

  • Augmenter les indemnités de grève à 750 dollars par semaine. Le fonds de grève de 825 millions de dollars de l’UAW, alimenté par les cotisations des travailleurs, doit être déployé pour soutenir adéquatement les travailleurs en grève. Des ressources supplémentaires doivent être dégagées en réduisant immédiatement les salaires à six chiffres des centaines de bureaucrates de Solidarity House et en vendant les actifs de l’UAW qui n’ont aucune utilité pour les travailleurs de la base.
  • Des rapports détaillés et un contrôle de la base sur toutes les négociations. Les travailleurs ne peuvent pas simplement croire Fain et les négociateurs de l’UAW sur parole, étant donné la longue série de mensonges et de fausses promesses employée par l’appareil syndical en collaboration avec la direction. La base a le droit de connaître chaque mot et chaque document échangés entre la direction et les responsables syndicaux, dans les moindres détails.
  • Préparez-vous à une grève nationale totale dans toute l’industrie automobile le 15 septembre. Des analystes chevronnés de l’industrie automobile ont évoqué la possibilité que Fain n’appelle que quelques usines de moteurs isolées, ce qui pourrait perturber la production, mais n’obligerait pas l’UAW à verser des indemnités de grève à tous ses membres: un signe indubitable qu’une trahison se prépare. Pour que cette lutte soit victorieuse, tous les membres de l’UAW de l’industrie automobile – chez les trois grands et dans le secteur des pièces, où les travailleurs sont confrontés à certaines des conditions de travail les plus misérables – doivent être impliqués.

Les travailleurs peuvent s’attendre à ce que la bureaucratie de l’UAW s’oppose à ces mesures et à d’autres mesures nécessaires à chaque étape du processus. Par conséquent, tout dépend de la mobilisation et de l’initiative des travailleurs de la base, indépendamment de la bureaucratie de l’UAW.

Des comités de base doivent être créés dans chaque usine et sur chaque lieu de travail, dans chaque équipe et dans chaque département. Ces comités permettront aux travailleurs de partager des informations entre les usines et les entreprises, de coordonner des actions collectives et de libérer l’énorme pouvoir social de la classe ouvrière.

Enfin, parallèlement aux nouvelles structures organisationnelles, une nouvelle stratégie politique est nécessaire.

1. La lutte dans laquelle les travailleurs sont engagés exige qu’ils soient totalement indépendants des partis démocrate et républicain, qui sont les représentants politiques de Wall Street et des grandes entreprises.

Fain affirme faussement que les sénateurs et les représentants démocrates au Congrès «nous donnent leur appui», sachant pertinemment que ces mêmes politiciens ont voté pour interdire une grève des chemins de fer l’année dernière et imposer un contrat auquel les travailleurs s’étaient opposés.

Le président de l’UAW a également tenu à plusieurs reprises des réunions privées avec Biden et de hauts fonctionnaires de son administration, dans ce qui ne peut être compris que comme une conspiration contre les travailleurs, dont l’objectif principal est de contenir et de réprimer l’opposition alors que la Maison-Blanche intensifie la guerre avec la Russie et se prépare à la guerre contre la Chine.

2. Pour lutter contre les multinationales géantes telles que GM, Ford et Stellantis, les travailleurs doivent adopter une stratégie internationale.

Les travailleurs de l’ensemble de l’industrie automobile sont objectivement liés dans un vaste réseau mondial de production et de division du travail. Au Canada, 20.000 travailleurs des trois constructeurs voient leurs contrats expirer le 18 septembre et font face à la collusion entre la bureaucratie syndicale d’Unifor et la direction patronale.

La logique de la lutte dans laquelle les travailleurs sont engagés posera la nécessité pour tout débrayage de s’étendre à l’échelle internationale, en Amérique du Nord et au-delà, afin d’empêcher que la direction augmente la production dans leurs usines d’autres pays et brise la grève.

Les véritables alliés des travailleurs de l’automobile aux États-Unis ne sont pas Biden, Bernie Sanders ou d’autres politiciens démocrates et républicains, mais plutôt les innombrables travailleurs qui entrent en lutte aux États-Unis et dans le monde entier.

Aux États-Unis, 76.000 acteurs et scénaristes mènent une grève déterminée depuis des mois; en Allemagne, des dizaines de milliers de travailleurs de Volkswagen sont confrontés à la menace de licenciements massifs et de réductions de coûts soutenus par la direction et le syndicat IG Metall; et en Turquie, 150.000 travailleurs de l’automobile et de la métallurgie cherchent à renverser les concessions lors des négociations contractuelles de cet automne. Ces luttes et d’autres doivent être unifiées et devenir le point de départ d’une contre-offensive de la classe ouvrière pour la défense de ses intérêts.

Les travailleurs seront soumis à une propagande incessante de la part des entreprises et des médias, selon laquelle leurs revendications sont «déraisonnables» ou «irréalistes» et empêcheraient les entreprises d’être «compétitives».

Mais la dernière chose qui devrait préoccuper les travailleurs est la défense des profits des sociétés. L’énorme richesse qui a été accumulée par les actionnaires les plus riches des entreprises a été produite par les travailleurs et elle leur revient.

La classe dirigeante et tous ses adjoints – des médias à l’appareil de l’UAW – sont surtout terrifiés par le soutien croissant aux comités de base, des structures organisationnelles qui échappent au contrôle de la bureaucratie.

Malgré tous les efforts de l’appareil de l’UAW pour museler le vote et exclure la participation des travailleurs à ses élections nationales l’année dernière, près de 5.000 d’entre eux ont voté pour Will Lehman, un socialiste et travailleur de la base chez Mack Trucks. Lehman a obtenu un soutien important pour son programme d’abolition de la bureaucratie de l’UAW, de transfert du pouvoir aux travailleurs de la base et de construction d’un mouvement de masse des travailleurs à l’échelle mondiale dans le cadre de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC).

La lutte pour le pouvoir de la base devient de plus en plus pertinente et urgente. À cinq semaines de l’expiration des conventions collectives chez Ford, GM, Stellantis, il n’y a pas de temps à perdre. Chaque jour doit être mis à profit pour que les travailleurs se préparent et s’organisent, développent leur initiative indépendante, ne soient pas pris par surprise lorsque la bureaucratie de l’UAW trahira inévitablement la lutte, et mobilisent au contraire toute la force de la classe ouvrière pour obtenir ce dont les travailleurs ont besoin.

(Article paru en anglais le 9 août 2023)

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