Tandis que les travailleurs de l’auto se préparent à déclencher la grève

Le président de l’UAW n’offre aucune stratégie pour s’opposer à l’assaut massif sur les salaires et les emplois dans la transition vers les véhicules électriques

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La date d’expiration des conventions collectives approchant à grands pas, le 14 septembre, une grève totale contre General Motors, Ford et Stellantis bénéficie d’un soutien de plus en plus large.

«Nous sommes prêts à faire grève», a déclaré au WSWS une jeune travailleuse de deuxième niveau et mère célibataire de l’usine d’assemblage de camions Stellantis Warren, dans la banlieue de Detroit. «C’est triste de voir que j’aide à créer des véhicules pour Stellantis, alors que je ne gagne que 15,78 dollars, et que je n’ai même pas les moyens de faire réparer ma propre voiture pour me rendre au travail. Le bénéfice qu’ils tirent d’un pick-up Dodge Ram que j’aide à construire pourrait me permettre d’acheter un nouveau véhicule.»

«Nous vivons d’un chèque à l’autre. Je travaille à temps plein et je n’y arrive toujours pas», a déclaré une autre travailleuse de Warren Truck. «Les intérimaires doivent travailler trop longtemps avant de passer à temps plein. L’entreprise gagne des milliards de dollars et nous n’avons droit qu’à des miettes. Lorsqu’on lui a demandé si les travailleurs étaient prêts à se battre, elle a répondu: «Nous n’allons pas nous laisser faire et accepter tout ce qu’ils nous proposent.» Un autre travailleur a ajouté: «Nous construisons les véhicules» et si les travailleurs font la grève, «leurs milliards vont commencer à disparaitre».

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Pour tenter de contenir le militantisme des travailleurs, le président de l’UAW, Shawn Fain, a avancé une série de propositions populaires, dont une augmentation des salaires de 40 %, l’abolition des paliers salariaux et le rétablissement de l’indemnité de vie chère et d’autres concessions qui ont été faites par l’UAW. Mais Fain et la bureaucratie de l’UAW n’ont aucune intention, et encore moins de stratégie, pour obtenir les revendications des travailleurs.

Dans le même temps, l’UAW a délibérément minimisé la question la plus importante qui se profile à l’horizon de la bataille contractuelle: les projets des constructeurs automobiles d’utiliser la transition vers les véhicules électriques pour détruire les emplois de centaines de milliers de travailleurs de l’automobile.

Derrière le théâtre des «négociations», la bureaucratie de l’UAW a déjà accepté des suppressions d’emplois massives. Si Fain et d’autres responsables de l’UAW exigent quelque chose, c’est uniquement la préservation des propres intérêts de la bureaucratie qui aide les constructeurs automobiles à supprimer des emplois et à créer une main-d’œuvre beaucoup plus réduite, moins bien payée et très exploitée dans les nouvelles usines de batteries et de composants pour véhicules électriques.

Lors d’un événement Facebook Live jeudi, Fain a admis que les constructeurs automobiles étaient déterminés à obtenir des concessions encore plus importantes de la part des travailleurs pour financer leur transition vers les véhicules électriques. GM et Stellantis n’ont même pas répondu aux propositions du syndicat, a déclaré Fain, tandis que Ford les a rejetées d’emblée.

Les négociateurs syndicaux ont proposé que tous les travailleurs temporaires aient la possibilité de passer à des postes à temps plein après 90 jours, qu’ils ne soient pas payés moins de 85 % du taux le plus élevé et qu’ils bénéficient de prestations de soins de santé et de retraite à temps plein, ainsi que de primes de participation aux bénéfices.

En réponse, a-t-il déclaré: «Ford a proposé qu’il n’y ait pas de limite à l’utilisation des travailleurs temporaires. L’entreprise a proposé qu’ils reçoivent moins de 60 % du salaire le plus élevé» et qu’ils «bénéficient d’un système de soins de santé de second ordre et d’aucune retraite». De manière encore plus provocante, il rapporte que «selon la proposition de Ford, l’entreprise aurait le droit de passer à une main-d’œuvre entièrement temporaire au fil du temps, et nous n’aurions pas notre mot à dire à ce sujet».

En ce qui concerne les salaires, Ford propose des augmentations de 9 % sur la durée de l’accord de quatre ans et refuse de rétablir l’indemnité de vie chère. Au lieu de cela, il propose une prime unique. Il a également rejeté toute augmentation des pensions versées aux retraités, qui n’ont pas été augmentées depuis 17 ans.

Le président de l’UAW a feint l’indignation, jetant la proposition dans une poubelle, avant de déclarer: «Nous en avons assez de vivre dans un monde qui privilégie les profits au détriment des personnes... de voir les riches s’enrichir, tandis que le reste d’entre nous en avons tout juste assez pour vivre. Nous en avons assez de la cupidité des entreprises et, ensemble, nous allons tout faire pour changer les choses.»

Tout cela n’est que du vent. Fain – dont le salaire dépasse les 300.000 dollars – et les autres bureaucrates grassement payés qui «négocient» ce contrat n’en ont pas «tout juste assez pour vivre». L’armée de responsables syndicaux internationaux, régionaux et locaux vit très bien des cotisations des travailleurs et des cadeaux qu’elle reçoit des entreprises. Dans sa dernière déclaration au ministère américain du Travail, l’UAW a fait état de 1,1 milliard de dollars d’actifs et de plus de 20 millions de dollars de transferts directs de l’entreprise dans le cadre de programmes conjoints syndicat-patronat.

Malgré toutes ses déclarations, Fain n’a exposé aucune stratégie de lutte. Au contraire, il a réitéré ses déclarations antérieures: «notre objectif n’est pas de faire grève, mais de négocier un contrat équitable». Se déclarant convaincu que «nous pouvons y arriver» et parvenir à un accord, il a ajouté que les entreprises «feraient mieux de s’atteler à la tâche et d’être sérieuses», faute de quoi «nous leur montrerons ce qu’est être sérieux le 14 septembre».

Il a annoncé que l’UAW avait porté plainte pour pratiques déloyales de travail contre GM et Stellantis auprès du National Labor Relations Board parce qu’ils faisaient traîner les négociations. Si cette mesure éphémère a un sens, c’est uniquement celui de créer les conditions permettant à l’UAW de lancer une grève symbolique limitée à quelques jours, puis de l’annuler une fois que les entreprises auront accepté de «négocier de bonne foi». Cela permettrait aux travailleurs de se défouler tout en causant le moins de dommages possible aux entreprises.

Les constructeurs s’opposent catégoriquement aux revendications des travailleurs. Mais si l’entreprise revient avec des ajustements mineurs, par exemple une forte augmentation de salaire initiale, et d’autres gestes peu coûteux, la bureaucratie de l’UAW annoncera qu’elle a remporté une «victoire historique».

Fain a fait une brève allusion aux véhicules électriques, déclarant que Ford «prévoyait de déplacer une partie de notre travail sur le groupe motopropulseur vers des emplois dangereux, mal payés et non syndiqués, dans le secteur des batteries, en dehors de Ford. En fait, Ford investit actuellement des milliards de dollars dans des entreprises qui ne sont pas Ford, et dans une main-d’œuvre qui n’est pas l’UAW, et ils reçoivent des milliards de dollars de l’argent de nos contribuables pour financer et soutenir ce nivellement par le bas.»

Loin de proposer une lutte totale contre les fermetures d’usines et les licenciements, la bureaucratie de l’UAW fait pression sur l’administration Biden pour que les constructeurs automobiles autorisent l’UAW à «organiser» les travailleurs mal payés des batteries de véhicules électriques – en réalité, pour leur soutirer des cotisations tout en concluant des accords de trahison, comme elle le fait partout ailleurs. La Maison-Blanche, à son tour, compte sur l’UAW pour empêcher une grève qui perturberait ses mesures économiques et militaires de plus en plus agressives contre la Chine, y compris la sécurisation de l’approvisionnement en lithium et autres ressources nécessaires à l’automobile et à l’armée.

Jeudi, l’administration Biden a annoncé l’octroi de 15,5 milliards de dollars supplémentaires de subventions et de prêts du ministère de l’Énergie aux constructeurs automobiles pour la production de véhicules électriques (VE). La Maison-Blanche a présenté cette mesure comme une mesure de «création d’emplois», accordant des incitatifs aux projets «susceptibles de conserver les conventions collectives» et adoptant la rhétorique de l’UAW sur une «transition juste vers les VE» sans mentionner la probabilité de «fermetures d’usines douloureuses», comme elle l’a fait dans ses annonces précédentes.

Fain a renoncé à ses critiques antérieures sur les cadeaux aux riches et a déclaré que la mesure «fait écho à l’appel de l’UAW en faveur de normes de travail strictes liées à tous les financements publics accordés aux entreprises automobiles et manufacturières». Il a poursuivi: «Cette nouvelle politique indique clairement aux employeurs que la transition vers les véhicules électriques doit inclure des partenariats syndicaux solides avec des salaires élevés et des normes de sécurité pour lesquels des générations de membres de l’UAW se sont battus et qu’ils ont gagnés».

Il a affirmé que les subventions et les prêts donnent aux usines fermées de Belvidere, dans l’Illinois, et de Romeo, dans le Michigan, «une chance d’obtenir un soutien fédéral pour garantir la protection de ces emplois et de ces communautés. L’UAW se réjouit de continuer à travailler avec l’administration Biden afin d’assurer une transition juste pour les travailleurs de l’automobile dans ce pays.»

En réalité, cet argent ne protégera aucun emploi. Il est conçu pour inciter les entreprises à collaborer avec l’UAW et d’autres bureaucraties syndicales alors que l’industrie supprime des dizaines de milliers d’emplois et exige des concessions considérables pour rouvrir des usines précédemment fermées.

Mettre fin à l’hécatombe des emplois dans la transition vers les véhicules électriques

Dans sa déclaration publiée jeudi, «Halte à l’hécatombe des emplois dans la transition vers les véhicules électriques!», l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC) a déclaré: «La bureaucratie de l’UAW parle vaguement d’une “transition juste”, mais elle cache aux membres la réalité qui donne à réfléchir: cette transition industrielle, d’une ampleur qui n’arrive qu’une fois par siècle, menace de supprimer la moitié ou plus de la moitié des emplois dans le secteur automobile aux États-Unis au cours des cinq à dix prochaines années selon les rapports de l’industrie et les recherches menées par les experts.»

La déclaration appelle les travailleurs à former des comités de base, à éduquer leurs collègues sur ce que signifie la transition vers les VE et pourquoi elle doit être réalisée dans l’intérêt de la classe ouvrière, et non dans celui des PDG, des actionnaires et des bureaucrates fortunés de l’UAW.

Elle présente une série de revendications pour lesquelles les travailleurs doivent se battre, notamment :

  • La publication immédiate de la liste des fermetures d’usines prévues!

  • Pas une seule perte d’emploi ou fermeture d’usine lors de la transition vers les VE!

  • Si les VE nécessitent moins de temps de travail pour être produits, alors réduisez les heures et augmentez les salaires!

  • S’unir au-delà des frontières pour empêcher un nivellement par le bas!

  • Placer l’industrie automobile sous le régime de la propriété sociale, sous le contrôle démocratique des travailleurs!

Les partisans de l’IWA-RFC ont distribué la déclaration et se sont entretenus avec les travailleurs de Warren Truck au sujet de cette lutte. «Ce sera une bataille, tout comme pour les acteurs et les scénaristes qui sont confrontés à l’IA. Ces entreprises suppriment des emplois, elles ne pensent pas aux moyens de subsistance des autres», a déclaré un travailleur. Dénonçant les plans des entreprises visant à réduire les travailleurs de l’automobile au niveau de travailleurs occasionnels mal payés, il a déclaré: «Il n’y a pas de sécurité de l’emploi, vous payez pour vos propres soins de santé et cela coûte plus cher de le faire par soi-même. Ce n’est pas un bon emploi.»

Un autre travailleur de Warren Truck a déclaré: «Si vous avez la technologie, nous le ferons pour 32 heures payées 40, et nous le ferons probablement mieux que vos machines et plus rapidement».

Un ouvrier de Jeep à Toledo a déclaré: «Biden soutient les VE, et nous utilisons l’argent de nos impôts pour mettre des gens au chômage et payer pour notre propre disparition. Le changement climatique est réel, il est dû à l’homme, mais nous ne pouvons pas non plus nous précipiter pour créer de nouveaux types de déchets, comme enfouir tout un tas de batteries sous terre.»

«Ils parlent de créer des milliers d’emplois, mais ils ne paieront rien. Dans les usines de batteries, on travaille avec beaucoup de produits chimiques et de substances cancérigènes. C’est une industrie dangereuse et les travailleurs méritent plus que 15 dollars de l’heure.»

«Je suis tout à fait favorable à une technologie avec laquelle nous pouvons travailler. Mais pour ce qui est de les utiliser pour nous remplacer, nous en arriverons à un point où plus aucun humain ne travaillera et où les travailleurs ne pourront plus se payer quoi que ce soit. On dit que les VE vont permettre d’économiser tout cet argent en ouvrant de nouvelles usines de batteries qui paieront moins cher. Mais est-ce que cela va faire baisser le coût du véhicule? Ils continueront à pratiquer des prix dégoûtants, comme les VE que nous fabriquons, qui coûtent 70.000 dollars. Qui peut se permettre de payer une voiture 600 dollars par mois?»

À propos de la bataille pour les conventions collectives, il a ajouté: «Tout le monde attend certaines choses, et si elles ne se concrétisent pas, ils écouteront et soutiendront les comités de base.»

(Article paru en anglais le 2 septembre 2023)

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