Les travailleurs de l’automobile en Allemagne expriment leur soutien aux travailleurs des Trois Grands aux États-Unis: «Tous les travailleurs doivent se serrer les coudes»

Des ouvriers de l’automobile sur le piquet de grève de l’usine d’assemblage Ford Michigan à Wayne (Michigan), lundi 18 septembre 2023. Jusqu’à présent, la grève est limitée à environ 13.000 travailleurs dans trois usines — une pour GM, une pour Ford et une pour Stellantis. [AP Photo/Paul Sancya]

Le conflit du travail mené par les travailleurs américains des trois grands constructeurs — Ford, GM et Stellantis — est aussi reconnu et soutenu par les travailleurs de l’automobile en Allemagne. Bien que les médias allemands aient décidé de garder le silence sur le conflit autant que possible, les travailleurs de Ford, Mercedes, Volkswagen ou Stellantis/Opel s’intéressent vivement à la lutte de leurs collègues américains. D’autant plus qu’ils sont eux-mêmes confrontés aux mêmes problèmes ou à des problèmes similaires.

Ces derniers jours, des équipes du WSWS ont distribué des milliers de tracts aux portes des usines Ford à Cologne, VW à Zwickau, Mercedes-Benz à Ludwigsfelde près de Berlin et Opel/Stellantis à Rüsselsheim, avec une déclaration de Will Lehman, socialiste et ouvrier de l'automobile de Pennsylvanie.

Intitulée «Unissez la base pour une grève totale des travailleurs de l’automobile !», Lehman met en garde contre la capitulation de la direction du syndicat de l’automobile UAW dirigé par Shawn Fain: «Les travailleurs de l’automobile ont voté à 97 pour cent pour autoriser une grève le mois dernier», écrit Lehman, «mais Fain et la bureaucratie forcent près de 97 pour cent des membres à continuer de travailler»! Une telle stratégie, dit-il, ne peut que signifier que «les entreprises gagneront et que les travailleurs perdront, et que des centaines de milliers d’emplois seront supprimés dans la transition aux véhicules électriques (VE).

L’appel de Lehman à construire l'Alliance internationale ouvrière des comités de base (initiales anglaises : IWA-RFC) pour «s'unir avec nos frères et sœurs du Mexique, du Canada et d'autres pays, par le biais de l’IWA-RFC» trouve une base solide dans la solidarité des travailleurs de l'automobile en Allemagne. Dans chaque usine, il y a des travailleurs qui soutiennent leurs collègues en grève aux États-Unis et qui veulent participer activement à leur lutte.

Beaucoup s’accordent à dire que l’essentiel en cas de conflit du travail généralisé est d’empêcher l’activité pour briser la grève dans les usines européennes.

Bernhard, ouvrier de Ford à Cologne

Bernhard, un ouvrier de Ford à Cologne, est d’accord pour dire qu’aucun travail ne devrait être entrepris à Cologne pour compenser l’impact de la grève aux États-Unis. «Ce serait un exemple où moi aussi je soutiendrais ». À Rüsselsheim, un ouvrier d’Opel a lui aussi déclaré: «Nous n’admettrons pas qu’on brise la grève ici dans l’usine ». La solidarité avec les collègues de Stellantis en grève aux États-Unis était «une évidence». Beaucoup d’autres disent en passant qu’ils n’ont guère entendu parler de la grève jusqu’à présent, mais qu’ils souhaitent bonne chance à leurs collègues: «Qu’ils tiennent bon»!

Un ouvrier de l’assemblage chez Opel déclare: «Je leur souhaite bonne chance; c’est bien ce qu’ils font, très bien»! Mario, un jeune ouvrier d’Opel, est du même avis: «J’espère que nos collègues américains auront du succès dans leur conflit du travail! C’est tout aussi merdique ici. Ils ne doivent pas baisser les bras ».

Chez Mercedes-Benz à Ludwigsfelde, un travailleur a déclaré: «Leurs objectifs sont justifiés: ils devraient s’y tenir et continuer ». Un autre espère que les travailleurs américains s’accrocheront même lorsque les choses deviendront difficiles, lorsque le syndicat et le gouvernement voudront faire passer, «justement en ces temps difficiles», un résultat plus favorable aux trusts qu’aux travailleurs. «Il faut absolument qu’ils tiennent le coup».

Les ouvriers de l’automobile ont rapidement parlé des problèmes qui leur rendent la vie difficile dans leurs usines respectives ici en Allemagne. Ce qui les empêche de dormir, ce sont des problèmes comme l’inflation, le chômage partiel dans le cadre de la pandémie, la généralisation du travail intérimaire précaire et mal payé et, surtout, le passage à la production de véhicules électriques (appelée «e-mobilité» en Europe) dans des conditions capitalistes.

À Ludwigsfelde, les plus de 2.000 travailleurs de l’usine Mercedes-Benz doivent faire face à l'incertitude sur l’arrêt de la production de camions légers à la fin de la décennie. «Je connais beaucoup de craintes existentielles ici aussi dans notre usine», a déclaré une collègue de Daimler qui s’oppose à ce qu’on «soit en train d’abolir les acquis des négociations collectives aux États-Unis». Elle ajoute: «Je suis aux côtés de mes collègues des États-Unis ».

Volkswagen à Zwickau risque également de perdre au moins 2.200 emplois lorsque les contrats des travailleurs temporaires arriveront à échéance. Dans le cadre de la transition vers les VE, VW souhaite supprimer des milliers d’emplois sur plusieurs sites, en coopération avec le syndicat IG Metall. Stefan, l’un des travailleurs temporaires de Zwickau, déclare: «Je ne suis même pas membre de l’IG Metall; ça m’économise de l’argent. Je ne vois jamais personne de l’IG Metall dans l’usine. Ils veulent juste encaisser l’argent — et les riches deviennent de plus en plus riches». Stefan pense que la création d’un comité d’action indépendant de la base est une bonne idée.

Un travailleur plus âgé confirme ces déclarations: «Les représentants du comité d’entreprise n’ont pas besoin de travailler et ils sont mieux payés. C’est déjà le début de la corruption. Ils n’ont pratiquement plus aucun lien avec nous autres travailleurs ». Il calcule en gros le nombre de millions d’euros que tous les intérimaires ont payé en cotisations au fil des ans — «et maintenant l’IG Metall ne lève pas le petit doigt pour eux».

Changement d’équipe chez Opel à Rüsselsheim

Chez Opel à Rüsselsheim, qui appartient aujourd’hui à Stellantis, deux travailleurs racontent à l’équipe du WSWS: «Vous devriez venir à l’usine et voir les misérables conditions de travail. Tout ce qu’ils font encore c’est nous presser comme des citrons ».

Après avoir entendu parler du système «à deux paliers» en vigueur aux États-Unis, Pedro a déclaré que «les travailleurs ont les mêmes problèmes partout». Lui-même n’a été embauché définitivement qu’après deux ans de travail temporaire. Son collègue ajoute: «Ici, dans l’usine, nous n’avons que très peu de travailleurs permanents. Nous sommes devenus trop chers pour eux. Stellantis fait des milliards de bénéfices, mais ils ont plus de 40 pour cent d’intérimaires dans l’usine, et nous travaillons un samedi sur deux. Une jeune intérimaire rapporte qu’elle travaille à l’usine depuis cinq mois et dit: “De plus en plus, tout le travail sur la chaîne de montage est déchargé sur les intérimaires”».

À Rüsselsheim, après plusieurs périodes de chômage partiel, l’Astra est produite en deux équipes depuis quelque temps. «Les bénéfices sont en hausse», écrit le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Le PDG de Stellantis, Carlos Tavares, a perçu pas moins de 23,5 millions d’euros l’année dernière. Tous ces «profits à foison» se font au détriment des travailleurs: plus de 1.000 des quelque 2.500 salariés sont des intérimaires, et le comité d’entreprise a même accepté qu’ils puissent être employés dans l’usine jusqu’à 36 mois — au lieu de 18 mois auparavant — sans emploi permanent. Le 6 juillet, une action de protestation a eu lieu sur la dernière ligne d’assemblage de l’usine pour protester contre l’ampleur du travail intérimaires.

Chez Ford à Cologne, Bernard, un ouvrier, a déclaré qu’il craignait que «tout soit fermé. Tout sera délocalisé en Roumanie. Pour l’instant, ils font pression ici pour Craiova, où les pièces seront ensuite traitées». Même lorsque Ford a été fermé à Genk (Belgique) poursuit Bernard, les gens se sont demandé «si le syndicat avait vraiment fait tout ce qu'il fallait là-bas».

Des pièces de carrosserie destinées à l’usine Ford de Craiova, en Roumanie, sont produites dans l’atelier de presse de Cologne. La production de la Fiesta a été arrêtée cet été et le lancement prévu du modèle électrique Explorer, que Ford veut construire en coopération avec VW, a été reporté à juin 2024. Tout cela alimente les craintes d’une reprise du chômage partiel, de licenciements ou de la fermeture de départements entiers. Les usines Ford à Genk (2012) et de Blanquefort, en France (2019), ont déjà été fermées et le sort de Ford-Saarlouis est scellé si le conseil d’administration et IG Metall parviennent à leurs fins, mais le comité d’action Ford s’y oppose fermement.

«Maintenant ils tablent entièrement sur les voitures électriques. Personne ne sait vraiment pour l’instant comment ça va se passer», a poursuivi Bernard. «À la fin ça marche selon le principe : «‘le temps, c’est de l’argent’ et si d’octobre à juin il ne se passe rien et qu’on se tourne les pouces, je ne sais pas comment cela va continuer. Qui peut le savoir? Tout est possible».

Commentant le fait qu’aux États-Unis, 97 pour cent des membres du syndicat ont voté pour la grève, mais que le syndicat automobile UAW n’a appelé à la grève en tout que trois petites usines, Bernard dit: «Si on réfléchit au tout, au niveau du monde entier, et pas seulement aux États-Unis, alors oui, cela affecte également Ford en Europe. Ils font toujours de la réclame avec le slogan ‘Un seul Ford’ (One Ford), mais là je ne vois pas de ‘Un seul Ford’. Tous les travailleurs doivent se serrer les coudes ».

Sur la suggestion que les travailleurs s’unissent indépendamment du syndicat et au niveau international, Bernard dit: «Ça paraît tout à fait raisonnable: ça paraît très raisonnable: international». Et à ses collègues américains dans la lutte pour les contrats, il a lancé cet appel: «Continuez. Ne baissez pas la tête. Continuez à vous battre jusqu’à ce que votre voix soit entendue, jusqu’à ce que les autres se réveillent et s’y mettent aussi, vous aident et fassent preuve de solidarité. C’est alors qu’on pourra faire la différence dans le monde entier».

Au changement d'équipe chez Opel à Rüsselsheim

De nombreux travailleurs de l’automobile sont préoccupés par la situation tendue de guerre entre l'Ukraine et la Russie. À Rüsselsheim, les reporters du WSWS ont rencontré Mohsen, un jeune travailleur originaire d’Afghanistan, qui travaille comme intérimaire chez Opel. Il a évoqué l’économie de guerre, qui est la raison pour quoi les syndicats évitent tout conflit du travail en ce moment. La situation n’était apparemment pas autre en Allemagne qu’aux États-Unis. Que le gouvernement mette de l’huile sur le feu par des livraisons constantes d’armes et que le syndicat l’accepte n’était «pas acceptable». «Je suis totalement contre la guerre. Moi-même, j’ai fui la guerre, en Afghanistan», déclare-t-il.

Mohsen n’avait pas une très bonne opinion du syndicat. «Au début, je pensais adhérer à l’IG Metall», raconte-t-il, «mais en trois mois, pas un seul d’entre eux n’est venu nous voir, nous les intérimaires. Je ne pense pas qu’ils se soucient de nous ».

La lutte pour les salaires, les emplois et les moyens de subsistance à laquelle sont confrontés les travailleurs de l’automobile aux États-Unis, en Allemagne et dans les autres pays prouve qu'aujourd’hui, la question est de mettre en place des comités d’action indépendants dans chaque usine. C’est pourquoi le Comité international de la Quatrième Internationale a créé l’Alliance internationale ouvrière des comités de base (IWA-RFC). Cette alliance s’engage à unir les luttes au-delà des frontières nationales et à «lancer et à développer une contre-offensive mondiale de la classe ouvrière».

(Article paru d’abord en anglais le 25 septembre 2023)

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