Syriza élit à sa tête Stefanos Kasselakis, banquier chez Goldman Sachs

Ce week-end, Stefanos Kasselakis, ancien cadre du secteur maritime et trader chez Goldman Sachs, a été élu à la tête de Syriza (Coalition de la gauche radicale) en Grèce, en remplacement d’Aléxis Tsípras.

Kasselakis a obtenu près de 57 pour cent des voix des 133.600 membres du parti, avec un taux de participation de plus de 70 pour cent. Il n’avait aucun lien connu avec Syriza avant 2023 et vivait aux États-Unis jusqu’à il y a quelques mois, où, en plus de gérer des entreprises de transport maritime et de travailler pour Goldman Sachs, il s’est porté volontaire pour la campagne des primaires présidentielles de Joe Biden en 2008 et a travaillé au Centre d’études stratégiques et internationales (initiales anglaises CSIS).

Stefanos Kasselakis, nouvellement élu à la tête du principal parti d'opposition Syriza, s’adresse à ses partisans devant le siège du parti à Athènes, en Grèce, le 25 septembre 2023. [AP Photo/Yorgos Karahalis]

Dans une campagne onéreuse sans politique concrète, trois commentaires se détachent.

Premièrement, dans un article d’opinion publié en juillet, il a déclaré que sa participation soudaine à la politique grecque était «un bref intermède entre deux chapitres de ma carrière d’homme d’affaires».

Deuxièmement, il était mieux placé pour battre le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis en raison de ses «meilleures connaissances de l’anglais, de la finance et des affaires».

Troisièmement, Syriza devait «copier la formule américaine dès que possible» en construisant un parti de type Démocrate «à grande tente».

Parmi ceux qui ont félicité le nouveau leader on trouve le gouvernement grec de droite Nouvelle Démocratie (ND) ; son porte-parole Pavlos Marinakis a salué «une opposition sérieuse et crédible, avec Syriza qui emprunte une voie plus réaliste».

L’ancien député de la ND, Evangelos Antonaros, qui s’est présenté pour Syriza aux élections de mai dernier à la demande de Tsípras, a déclaré: «Nous soutenons Kasselakis parce qu’il veut rapprocher le parti du centre, le terrain que Syriza a perdu lors des dernières élections».

L’élection de Kasselakis est une nouvelle mise à nu accablante de ceux qui ont approuvé la posture de gauche de Syriza lorsqu’il s’est présenté pour son premier mandat aux élections de 2014-2015. Elle confirme la caractérisation par le World Socialist Web Site de Syriza comme un parti pseudo-de gauche représentant des couches de la classe moyenne aisée et servant les intérêts du capital financier et des puissances impérialistes.

Syriza a été élu en 2015 sur la base de son engagement à lutter contre les exigences d’austérité de la Troïka — Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international. Lors d’un référendum organisé par le parti plus tard dans l’année, 60 pour cent des électeurs ont rejeté la «restructuration» dévastatrice de l’économie et du secteur public grecs exigée par les banques et les gouvernements européens.

Syriza a jeté ses engagements aux orties et a continué pendant les quatre années suivantes à imposer en Grèce une austérité sans précédent, en coalition avec le parti droitier Grecs indépendants, tout en réprimant férocement l’opposition de la classe ouvrière. Dans le même temps, les dépenses militaires ont été augmentées en termes réels.

Les conséquences sociales ont été terribles, plongeant les travailleurs dans des difficultés extrêmes qui ont servi de modèle pour une vague de coupes des dépenses publiques et de compressions des salaires dans toute l’Europe. Lorsque Kasselakis déclare: «Je rends hommage à Aléxis Tsípras, je suis ici pour perpétuer son héritage», c’est là une menace dirigée contre la classe ouvrière.

En tant que membre du CSIS — l’un des principaux groupes de réflexion de l’impérialisme américain, dont les origines remontent à la guerre froide — il consolidera également l’engagement de Syriza envers l’OTAN et la guerre menée contre la Russie en Ukraine.

La Grèce est restée membre de l’OTAN tout au long du mandat de Syriza, facilitant ses opérations en Méditerranée et en mer Noire et jouant un rôle clé dans l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’alliance. En 2018, l’année précédant son départ du pouvoir, les dépenses militaires grecques s’élevaient à 2,4 pour cent du PIB, soit la deuxième place par habitant parmi les membres de l’OTAN, derrière les États-Unis. Alors qu’il était dans l’opposition l’année dernière, Syriza a voté pour accepter la demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’alliance.

Avec l’intensification de la guerre en Ukraine, Kasselakis a été, avec l’intervention active de Washington, parachuté dans la politique grecque pour y garantir que cette politique soit intensifiée et qu’un front pro-OTAN soit maintenu au sein des plus grands partis grecs, contre l’hostilité générale de la population à l’égard de l’alliance.

Il prend le contrôle d’une organisation totalement discréditée. Syriza a continuellement perdu du soutien depuis son arrivée au pouvoir. En 2019, il fut remplacé au gouvernement par Nouvelle Démocratie. Son passage dans l’opposition n’a pas permis d’inverser la tendance. Entre janvier 2015 et les dernières élections de juin 2023, la part des voix de Syriza a diminué de moitié pour atteindre moins de 18 pour cent.

Le chef du parti, Tsípras, a démissionné après la déroute de juin, déclenchant les élections pour un nouveau leader qui ont couronné Kasselakis. Le soutien populaire obtenu il y a huit ans s’étant évaporé, l’essence politique du parti remonte à la surface. D’un parti au service des banques, Syriza est devenu un parti directement dirigé par un banquier.

Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), qui se fonde sur une analyse marxiste des forces de classe, avait mis en garde avant l’élection de Syriza contre le rôle réactionnaire qu’il jouerait au pouvoir. Un article publié sur le WSWS le 24 janvier 2015, juste avant les élections qui ont porté le parti au pouvoir, expliquait:

«Après cinq années de mesures d’austérité brutales dictées par l’Union européenne (UE) et le Fonds monétaire International (FMI), le pays se trouve économiquement et socialement dévasté. Les partis traditionnels sont tellement haïs que Syriza, la «Coalition de la gauche radicale,» a de grandes chances de remporter les élections et d’arriver au pouvoir. Pour la population laborieuse cependant, un gouvernement Syriza ne représenterait pas une issue à la crise; il constituerait au contraire un immense danger».

«Malgré sa façade de gauche, Syriza est un parti bourgeois de droite s’appuyant sur les couches aisées de la classe moyenne. Sa politique est déterminée par la bureaucratie syndicale, les universitaires, les membres des professions libérales et le personnel parlementaire, qui tous cherchent à défendre leurs privilèges en préservant l’ordre social. Si son dirigeant, Alexis Tsipras, promet aux électeurs grecs un allègement (très faible) de la terrible politique d’austérité, il n’a jamais cessé de promettre aux représentants des banques et des gouvernements étrangers qu’ils n’avaient «rien à craindre» d’un gouvernement Syriza».

C’est ce milieu social là qui a soutenu Kasselakis et dont le principal représentant durant une décennie, Tsípras, s’en va pour profiter, du point de vue du capitalisme grec et européen, d’une retraite bien méritée. Il rejoindra son ancien ministre des finances Yanis Varoufakis, qui mène une vie très confortable, avec un revenu déclaré d’environ 200.000 euros par an, sur l’île idyllique d’Égine, tout en dirigeant officiellement le parti MeRA25 (un Syriza deuxième mouture).

L’analyse du CIQI a été publiée en opposition à une campagne menée par la pseudo-gauche internationale pour mobiliser du soutien pour Syriza et pour excuser ses trahisons. Une déclaration du 15 novembre 2015, résumant les événements en Grèce et condamnant ces organisations expliquait:

«Syriza a recouru aux services d’une myriade de tendances politiques pour répandre l’illusion qu’il allait résister au diktat du capital financier grec et international. Ces nombreux partis de la pseudo-gauche sont maintenant démasqués comme les instruments réactionnaires du capital financier».

L’élection de Kasselakis officialise cette relation et souligne la conclusion du CIQI avancée au début:

La tâche centrale est de réarmer politiquement la classe ouvrière et de construire une nouvelle direction, une direction révolutionnaire, sur la base d’une critique implacable des partis, des individus et des conceptions politiques responsables de la défaite [de la classe ouvrière grecque].

En Grèce, en Europe et partout dans le monde, la classe ouvrière ne peut se défendre qu’en construisant de nouveaux partis ouvriers qui soient entièrement indépendants de toutes les sections de la classe capitaliste, basés sur un programme internationaliste révolutionnaire, et orientés vers la conquête du pouvoir politique, l’abolition du capitalisme et l’instauration d’une société socialiste mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 28 septembre 2023)

Loading