«Nous devons tous faire grève maintenant»: les travailleurs de l'automobile exigent une grève totale pour briser la résistance des constructeurs à leurs revendications

Travailleurs en grève à l’usine d’assemblage Ford Michigan

Deux semaines et demie après l’expiration de leurs conventions collectives, les travailleurs de la base se rendent de plus en plus compte qu’ils doivent mener une lutte sans compromis non seulement contre les trusts mais aussi contre leurs laquais dans la bureaucratie syndicale de l’UAW.

Dans les usines et sur les piquets de grève à travers les États-Unis, les travailleurs discutent de l'impasse de la «politique de grève debout» du président de l'UAW, Shawn Fain – qui a maintenu quatre membres de l'UAW sur cinq à leurs postes de travail à fabriquer des profits pour les trusts – et de la nécessité d’une grève totale des 146 000 travailleurs de GM, Ford et Stellantis.

Des milliers de travailleurs supplémentaires sont impatients de rejoindre la grève, tant chez les Trois Grands constructeurs qu’ailleurs. Chez Mack Trucks, 3 000 membres de l'UAW faisaient pression à minuit à l'expiration de leur contrat pour se mettre en grève, mais tout au long de la journée les responsables syndicaux ont tenu les travailleurs dans l'ignorance de leurs discussions avec la direction.

« La plupart des ouvriers de l'usine regardaient Fain sur leurs portables vendredi dernier et attendaient qu'il nous appelle à faire grève », dit Hannah, une jeune intérimaire à temps partiel chez Stellantis dans le Michigan et membre du comité de la base de Warren Truck. « On pouvait voir la déception sur tous les visages quand il les a laissé tomber encore une fois. »

«Maintenant, ils ne planifient pas de travail pour les intérimaires. La semaine dernière, je n'ai travaillé que 12 heures et mon chèque était de 198 $ pour toute une semaine. Je dois mon loyer et j'ai déjà reçu des avis de coupure de la compagnie d'électricité. Ils nous mènent en bateau et prennent notre argent parce qu'ils pensent qu’on va mordre à une « prime à la signature » quand ils essaieront de nous vendre un contrat pourri. Mais on ne va pas accepter une espèce de contrat au rabais. On doit tous faire grève maintenant.

Rob, un gréviste du complexe Toledo Jeep, a pris la parole dimanche lors d'un forum en ligne parrainé par le Réseau des comités de base des travailleurs de l'automobile. «Dès le début de cette ‘grève debout’ Shawn Fain nous a enlevé notre plus grande force: notre nombre. Il parle constamment de démocratie mais il refuse à la grande majorité des 98 pour cent de travailleurs qui ont voté pour la grève, démocratiquement bien sûr, leur droit de faire grève. Cela fait que ceux qui travaillent encore sans contrat sont complètement vulnérables face à la volonté des entreprises contre lesquelles ils ont voté la grève.

« Nous ne savons toujours pas quelle est réellement la définition des «progrès» donnée par Shawn Fain. Entre la visite du président Biden, le fait de ne pas faire grève dans les usines les plus rentables, de ne pas faire grève dans d’autres usines à proximité du siège social des Trois Grands ou du siège de l'UAW et la ratification extrêmement corrompue d'Unifor avec Ford au Canada, je crois que nous aurons bientôt notre réponse.

« Pour ceux qu’on a laissés se débrouiller tous seuls dans les ateliers: vous devez utiliser votre pouvoir pour exiger une grève totale immédiate. Même les plus sourds vont nous entendre, alors soyez assourdissant dans vos exigences. La grève à la Fain a montré clairement que le moment est plus que jamais venu de former des comités de la base

Il a déclaré que les comités de la base fonctionneraient de manière démocratique, «donnant à tous les travailleurs voix au chapitre et une représentation égale» pour garantir que «les décisions prises par le comité reflètent les intérêts et les souhaits de la majorité, renforçant ainsi la participation démocratique des travailleurs sur le lieu de travail » et «défendant les droits et le bien-être des travailleurs de l’industrie automobile».

Les dernières «grèves debout» continuent d'éviter d’impacter les Trois Grands centres de profit, alors que les entreprises rejettent les revendications des travailleurs

Vendredi dernier, Fain a exclu Stellantis de toute nouvelle action de grève, affirmant que l'entreprise avait fait une «proposition sérieuse». Au lieu de quoi il a appelé 7 000 travailleurs supplémentaires à débrayer à l’usine d’assemblage Ford de Chicago et à l’usine d’assemblage GM Delta Township, près de Lansing (Michigan). Il a spécifiquement ordonné aux travailleurs de l'usine d'emboutissage régionale de Lansing, du complexe GM, de rester au travail. Bien que Fain n'ait donné aucune explication à ce sujet, c'est parce qu'une grève dans cette usine arrêterait l'expédition de pièces embouties en métal vers les usines d'assemblage de GM à Flint (Michigan), Fort Wayne (Indiana) et Oshawa (Ontario) qui produisent les pick-up Silverado et Sierra, les véhicules les plus vendus de l'entreprise.

En fait, l'UAW a délibérément évité de cibler les opérations les plus lucratives des constructeurs, notamment Dearborn Truck, Kansas City Assembly et Kentucky Truck de Ford et Warren Truck, Sterling Heights Assembly et Detroit Assembly Complex de Stellantis. Comme l'a écrit Reuters vendredi, «l'effet des débrayages sur les constructeurs automobiles a été relativement limité par rapport au choc financier qui résulterait de l'arrêt des chaînes de montage qui construisent les camions Ford série F, Chevrolet Silverado et Ram.» L’agence cite une source «au courant de la stratégie de l'UAW» selon laquelle les grèves «n’ont pas pour objectif d’infliger un maximum de douleur».

Contrairement aux affirmations de Fain que des «progrès substantiels» ont été accomplis à la table des négociations, les dirigeants des trusts automobiles n'ont pas bougé d’un pouce dans leur opposition aux revendications fondamentales des travailleurs, notamment des hausses de salaires permettant de battre l'inflation, l'abolition du système des paliers différents de salaires et d'avantages, et le rétablissement des pensions et prestations de santé pour les retraités que l'UAW a abandonné il y a 14 ans.

Vendredi, la PDG de GM, Mary Barra, qui a gagné 29 millions de dollars l'année dernière, a insisté pour dire que sa société avait un «accord historique» sur la table depuis des semaines, qui «récompense les membres de notre équipe mais ne met pas en danger notre entreprise et leurs emplois. Mettre en péril notre avenir est quelque chose que je ne ferai pas ».

Mary Barra [Photo: GM]

GM a déclaré à 164 membres de l'UAW de son Parma Metal Center dans l'Ohio et de son Marion Metal Center dans l'Indiana qu'ils « n'auront pas de travail à faire » à partir de lundi. « Les membres de l'équipe concernés ne devraient pas revenir tant que la grève n'aura pas été résolue », a déclaré GM dans un communiqué, ajoutant que les travailleurs ne recevraient pas d'allocations chômage supplémentaires. Cela fait suite au chômage technique de 2 000 travailleurs quand GM a fermé son usine d'assemblage de Fairfax (Kansas) parce qu'elle ne pouvait pas faire fabriquer d'emboutissages à l'usine de Wentzville, près de St. Louis, en grève.

Le PDG de Ford, Jim Farley (salaire 21 millions de dollars) a averti que les revendications des travailleurs obligeraient l'entreprise à délocaliser la production de véhicules comme l'Explorer hors États-Unis. Le directeur financier de Ford, John Lawler a lui, déclaré que les retraites qui garantissent des prestations mensuelles aux retraités jusqu’à la fin de leurs jours étaient «un projet du passé » que Ford ne rétablirait jamais.

L'UAW refuse les indemnités de grève aux travailleurs de Lear en chômage technique qui ont rejeté trois accords

La grève à l'usine d'assemblage de Ford Chicago entraîne le chômage technique d'un nombre non divulgué des 1 000 travailleurs produisant des sièges à l'usine voisine de Lear, à Hammond (Indiana), et probablement de centaines d'autres dans le parc de fournisseurs de Ford, situé à proximité.

Chez Lear, les travailleurs de la base ont rejeté trois accords soutenus par l'UAW qui auraient fixé le salaire de départ au niveau de pauvreté de 17 dollars de l'heure, limité les augmentations pour les salaires les plus élevés à un peu plus de 10 pour cent sur trois ans et augmenté considérablement les coûts des soins de santé. Bien que les travailleurs aient voté à 94 pour cent en faveur de la grève, l'UAW a prolongé à plusieurs reprises les contrats et les a maintenus au travail parce qu'une grève aurait conduit à la fermeture de l'usine d'assemblage Ford de Chicago.

Maintenant, comme l'a déclaré au WSWS un travailleur de l'usine, les travailleurs de Lear sont au chômage technique et forcés par l'UAW de survivre grâce aux allocations chômage de l'État. «L'équipe syndicale de négociation de l'UAW de Lear n'écoute pas les revendications de ses membres et pourtant elle est trop lâche pour faire grève», a déclaré ce travailleur. «Comme membres on se voit refuser notre indemnité de grève de 500 $ par semaine et on doit se contenter d'un chômage de 390 $ par semaine dans l'Indiana. Cela est dû à la grève chez Ford Motor Company, située à proximité, dans le sud de Chicago ».

Quant à Stellantis, il a mis au chômage technique 68 travailleurs dans son usine d'usinage Toledo à Perrysburg, dans l'Ohio, en raison de la grève dans l'usine Jeep voisine, et prévoit de mettre au chômage technique 300 salariés dans les usines de transmission et de fonderie de Kokomo (Indiana).

Un vibrant hommage du Wall Street Journal au PDG de Stellantis Carlos Tavares (salaire 24,8 millions de dollars en 2022) indique clairement que l'accord que la bureaucratie de l'UAW s'apprête à signer entraînera une attaque brutale des emplois et du niveau de vie. Le trust affiche déjà la marge bénéficiaire la plus élevée d’Amérique du Nord parmi les trois grands constructeurs, 16,4 pourcent en 2022, contre 10,1 pourcent pour GM et 8,4 pourcent pour Ford. Il pratique également le salaire de départ le plus bas, soit 15,77 dollars de l'heure.

« Aujourd'hui, le style soucieux des coûts de Tavares acquiert une nouvelle urgence au milieu de la transition de l'industrie vers les véhicules électriques», rapporte le Wall Street Journal, qui cite cette déclaration du PDG aux journalistes plus tôt cette année: «Si nous arrêtons de travailler sur les coûts, dans cette industrie on passe de héros à zéro ». En particulier, note le Journal, dans ce contrat, Tavares s'en prenait à «l'absentéisme imprévu» dans des usines comme Warren Truck, que l'entreprise blâme «pour les coûts de fabrication plus élevés».

En mars 2022, Tavares a visité l’usine de Warren Truck et a déclaré qu’il aurait dû «fermer l’usine il y a un an et demi». Il a demandé aux travailleurs de l'usine de réduire les coûts de moitié au cours des six prochains mois et a demandé à l'UAW son «avis» sur l'absentéisme et un plan de réduction des coûts. Peu de temps après, l'entreprise a supprimé la troisième équipe de l'usine sans la moindre opposition de la part de l'UAW.

En fait, la véritable cause de «l’absentéisme» présumé à l’usine est la propagation continue du COVID-19, qui a coûté la vie à de nombreux travailleurs de Warren Truck, ainsi que les horaires extrêmement longs, le manque de congés payés pour récupérer ou s'occuper des enfants, et des salaires de départ inférieurs à ceux payés par McDonald's.

Dans des déclarations récentes, Fain a notamment abandonné les revendications des travailleurs d’une semaine de 32 heures sans perte de salaire et du rétablissement des retraites et soins de santé pour les retraités. Il est clair que la bureaucratie de l’UAW s’apprête à signer un accord qui trahit les travailleurs, puis à déclarer, comme toutes les autres administrations de l’UAW durant les quatre dernières décennies, que c’est nécessaire pour «sauver les emplois». Cela fut clairement exprimé dans ces commentaires faits la semaine dernière au Detroit Free Press par Rich Boyer, vice-président de l'UAW et chef du département Stellantis du syndicat: «Le problème est la sécurité de l'emploi et l’attribution de modèles aux usines de ce pays. Vous pouvez m'accorder une augmentation de 50 %, mais si je n'ai aucune sécurité d'emploi, aucun endroit où aller pour ces gens, à quoi ça sert? Ça n’a aucune importance. »

« La classe ouvrière est toute dans le même bateau et nous devons nous unir »

Mais le sentiment d’opposition en faveur d’une grève totale pour défendre les emplois et pour annuler des décennies de reculs se développe chez les travailleurs.

Sur les piquets de grève à l'usine d'assemblage Ford du Michigan, les grévistes et leurs partisans expriment leur détermination à se battre. « Il ne faut pas que ça dure encore longtemps sans grève complète. Je suis venu ici chercher un emploi qui puisse subvenir aux besoins de toute une famille, et c'est ce que c’était avant. Je me suis marié et nous allons avoir un bébé en avril. Je suis ici depuis deux ans et je ne gagne que 20 $ de l'heure. Je ne sais pas si nous pouvons y arriver vu l’état de l’économie américaine en ce moment ».

« L’échelon supérieur reçoit tout l’argent, et tous les autres attendent les restes. La classe ouvrière fait fonctionner l’économie. Sans nous, l’économie s’effondre. Grâce aux stock-options, les PDG des Trois Grands ont gagné au total 72 millions de dollars l’année dernière. Mais ils sont ‘fauchés et ne peuvent pas nous donner de salaire décent’ qu’ils disent. Je suis d'accord pour une grève totale. »

Kim McLendon, travailleuse de la santé, sur le piquet de grève à l'usine Michigan Assembly Plant pour soutenir sa sœur en grève chez Ford

Kim McLendon, une travailleuse de la santé dont la sœur est en grève, a dénoncé Biden et Trump pour avoir affirmé qu'ils étaient du côté des travailleurs de l'automobile. «Ils défendent la politique des riches qui ont perdu toute communication avec la classe ouvrière. Ceux qui fabriquent les voitures n’ont même pas les moyens de les acheter.»

« L’argent qu’ils dépensent pour la guerre, c’est à nous qu’ils le prennent. Cet argent devrait être dépensé pour les écoles, les programmes médicaux, des retraites décentes et comme argent pour les familles. Ils dépensent des millions et des milliards de dollars pour tuer quelqu'un tandis que nous économisons quelques centimes pour mettre de l'essence dans la voiture et acheter de la nourriture. Peu importe que vous soyez blanc, noir, vert ou violet. La classe ouvrière est toute dans le même bateau et nous devons nous unir. Je soutiens une grève totale. Je pense que beaucoup de gens le font.

(Article original paru en anglais le 2 octobre 2023)

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