La Banque mondiale prévoit un ralentissement des économies d’Asie orientale

Le régime de taux d’intérêt élevés institué par les principales banques centrales du monde depuis un an et demi commence à produire ses effets sur l’économie mondiale. Dans sa dernière mise à jour économique, la Banque mondiale prévoit que la croissance des économies d’Asie de l’Est pourrait tomber en 2024 à son niveau le plus bas depuis cinq décennies.

Cette région a été l’un des piliers de la croissance mondiale au cours des dernières décennies. Toutefois, elle est désormais en passe de connaître son taux d’expansion le plus faible depuis les années 1960, si l’on exclut des événements tels que la crise financière mondiale et la pandémie.

Un passant devant un tableau d'affichage électronique dans le hall du bâtiment de la Bourse de Shanghai, en Chine, le vendredi 14 février 2020. [AP Photo]

La Chine est au cœur de ce ralentissement. La Banque mondiale a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour la Chine en 2024, les ramenant à 4,4 pour cent seulement, alors qu’elle prévoyait en avril un taux déjà faible de 4,8 pour cent. Les autorités chinoises ont fixé un objectif de croissance de 5 pour cent en 2023, le niveau le plus bas depuis trois décennies.

Pour la Chine, la banque a cité comme raisons de cette révision à la baisse des «facteurs structurels à long terme» — une référence à une baisse de la croissance démographique — ainsi que des niveaux d’endettement élevés et la faiblesse des secteurs de l’immobilier.

Le secteur de la propriété et de l’immobilier, l’un des principaux moteurs de la croissance chinoise des 15 dernières années, a été touché par un certain nombre de défauts de paiement de grandes sociétés, dont deux des plus importantes, Country Garden et Evergrande.

Lorsqu’il a levé ses mesures sanitaires anti-COVID à la fin de l’an dernier, le gouvernement chinois s’attendait à une relance de l’économie ainsi qu’à une vague initiale d’infections qui se résorberait ensuite. Le début de l’année a été marqué par une vague de décès, estimée à près de deux millions, suivie d’une nouvelle vague d’infections par le COVID au milieu de l’année.

L’économie chinoise a connu un regain d’activité lorsque les mesures sanitaires ont été levées, mais cette période est désormais révolue.

Selon Aaditya Mattoo, économiste en chef de la Banque mondiale pour l’Asie orientale et le Pacifique, les économistes s’attendaient à ce que la reprise de l’économie après la fin des contrôles COVID soit «plus soutenue et plus importante qu’elle ne l’a été».

La banque a déclaré que la croissance des ventes au détail était retombée au niveau d’avant la pandémie, que les prix de l’immobilier stagnaient, que l’endettement des ménages avait augmenté et que les investissements du secteur privé étaient en baisse.

Ce ralentissement s’étend à toute la région.

«Si les facteurs intérieurs sont susceptibles d’être l’influence dominante pour la croissance en Chine», a déclaré la Banque mondiale, «les facteurs extérieurs auront une influence plus forte sur la croissance dans une grande partie de la région».

Ceci est une référence au ralentissement de la demande des principales économies dû à l’impact du régime des taux d’intérêt élevés. Les exportations de biens auraient diminué de plus de 20 pour cent en Indonésie et en Malaisie, par rapport au deuxième trimestre 2022, et de 10 pour cent en Chine et au Vietnam pour la même période.

D’importants changements structurels sont également en cours. Cela signifie que les conditions qui ont conduit à l’essor des «tigres asiatiques» à partir du milieu des années 1980 touchent à leur fin.

Mattoo a souligné ce changement: «Dans une région qui a prospéré grâce au commerce et à l’investissement dans l’industrie manufacturière, la prochaine clé de la croissance viendra de la réforme du secteur des services afin d’exploiter la révolution numérique.

Les efforts déployés par les États-Unis pour exclure la Chine de la pointe du développement de la haute technologie par une série d’interdictions et de restrictions à l’exportation, de même que leurs efforts visant à relocaliser des opérations à travers la loi dite de réduction de l’inflation et de celle sur les puces et la science, frappent les pays d’Asie du Sud-Est.

«Toute cette région qui avait bénéficié de manière perverse des tensions commerciales entre États-Unis et Chine en termes de détournement [des échanges] en subit aujourd’hui les conséquences», a déclaré Mattoo.

Comme l’a rapporté le Financial Times: «Selon la Banque mondiale, les exportations d’électronique et de machines à partir de la Chine et des pays d’Asie du Sud-Est, comme l’Indonésie, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et la Thaïlande, ont décliné après l’entrée en vigueur de la politique protectionniste du président Joe Biden.

Cela s’explique par le fait que ces pays sont exclus des subventions prévues par la législation en question. Le FT cite le cas du Vietnam, où les exportations de véhicules électriques vers les États-Unis ont chuté de 19,1 pour cent entre juillet et août, après une augmentation de 13,6 pour cent l’année précédente, car jusqu’à présent, Hanoï a été exclu des avantages liés au crédit d’impôt.

Une autre manifestation du ralentissement est la chute brutale de la valeur boursière de Taïwan Semiconductor Manufacturing Co. (TSMC), l’une des plus importantes, sinon la plus importante, entreprise de fabrication de puces au monde.

Bloomberg a rapporté mardi que depuis juin, l’action de cette société avait «perdu plus de valeur que n’importe quelle autre en Asie», les investisseurs se préparant «à une faiblesse prolongée dans le secteur des puces». Ses actions ont chuté de 10 pour cent depuis leur sommet de la mi-juin, effaçant 72 milliards de dollars de la capitalisation boursière de TSMC.

Les actions de cette société avaient été dopées au cours du premier semestre de l’année par les perspectives de bénéfices liées à l’intelligence artificielle (IA). Mais depuis, les inquiétudes se sont accrues quant à l’état des activités liées aux smartphones et ordinateurs personnels, ainsi que sur le ralentissement des commandes de puces d’intelligence artificielle haut de gamme.

Les tendances citées dans le rapport de la Banque mondiale sur l’Asie orientale sont soulignées par les tendances plus générales de l’économie mondiale.

Selon le World Trade Monitor, les volumes du commerce mondial sont tombés en juillet à leur rythme annuel le plus rapide depuis trois ans — une indication du ralentissement général de l’économie mondiale dû à la hausse des taux d’intérêt.

Les volumes commerciaux ont baissé de 3,2 pour cent pour ce mois, après une réduction de 2,4 pour cent en juin.

La Chine, premier exportateur mondial, a enregistré une baisse de 1,5 pour cent, les exportations de la zone euro ont chuté de 2,5 pour cent et les États-Unis ont connu une réduction de 0,6 pour cent. On s’attend à ce que les volumes d’échanges diminuent encore dans les mois à venir.

«L’impact différé des taux d’intérêt élevés étant susceptible de peser lourdement sur la demande de certains biens, il pourrait s’écouler plusieurs mois avant que le commerce mondial n’atteigne son niveau le plus bas», a déclaré au FT Ariane Curtis, économiste mondiale chez Capital Economics.

En plus des effets d’un ralentissement général de l’économie mondiale, la montée du protectionnisme, en augmentation depuis 2018 environ, mais qui s’accélère avec la guerre que les États-Unis et l’OTAN mènent contre la Russie et la guerre économique des États-Unis contre la Chine, affecte également le commerce.

Selon le dernier rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), «la fragmentation géo-économique et le passage à des politiques commerciales plus repliées sur elles-mêmes réduiraient les gains du commerce mondial et frapperaient le niveau de vie, en particulier pour les pays et les ménages les plus pauvres».

(Article paru d’abord en anglais le 3 Octobre 2023)

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