Espagne : les sociaux-démocrates et la pseudo-gauche tentent de former un gouvernement pro-guerre et pro-austérité

Deux mois après les élections générales anticipées de juillet, Pedro Sánchez, Premier ministre par intérim du gouvernement PSOE-Podemos, a été désigné pour tenter de former un nouveau gouvernement de coalition avec le mouvement pseudo-de gauche Sumar. Sumar est une plate-forme électorale comprenant le parti pseudo-de gauche Podemos et la Gauche unie (IU), dirigée par les staliniens.

Il y a quelques jours, le leader du Parti populaire (PP) de droite, Alberto Nunez Feijoo, et le parti néo-fasciste Vox avaient échoué à former une coalition majoritaire. Feijoo avait obtenu 172 voix, soit quatre de moins que les 176 nécessaires pour obtenir la majorité au parlement, qui compte 350 sièges. Sánchez doit remporter un vote avant le 27 novembre. S’il échoue, de nouvelles élections seront automatiquement convoquées.

L’Espagne a tenu cinq élections nationales au cours des huit dernières années. Depuis la crise économique de 2008, l’effondrement du soutien électoral aux partis traditionnels de la bourgeoisie espagnole, le PSOE social-démocrate et le PP, a déstabilisé le régime capitaliste. Plus récemment, dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et de la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, des grèves de masse motivées par une colère croissante contre les inégalités sociales ont dressé la classe ouvrière contre les partis actuellement au pouvoir, le PSOE et Podemos.

Sánchez, dont le parti a remporté 121 sièges, peut compter sur 31 sièges de son allié Sumar, mais il lui manquerait 24 sièges pour obtenir la majorité. Sánchez compte sur les 7 voix de la Gauche républicaine catalane (ERC) et sur les 11 voix des partis nationalistes basques EH Bildu et PNV. Il a également besoin de 7 voix du parti pro-séparatiste Ensemble pour la Catalogne (Junts).

En échange de son soutien, Junts demande un nouveau référendum sur l'indépendance de la Catalogne et l’amnistie pour 3.000 à 4.000 militants et électeurs jugés lors du précédent référendum de 2017. Son chef, Carles Puigdemont, ex-premier ministre régional catalan et aujourd'hui membre du Parlement européen, risque toujours l’arrestation. En juillet, la Cour générale de justice de l’Union européenne a retiré à Puigdemont son immunité parlementaire. Il vit en exil en Belgique depuis 2017.

Sánchez a ouvert la porte à une amnistie, mais a refusé tout référendum, demandant aux Catalans de «tourner la page».

En 2017, Sánchez a soutenu le déploiement par le PP de 10 000 policiers paramilitaires pour réprimer le référendum catalan et renverser le gouvernement régional catalan de Puigdemont. La répression a fait plus de 1.000 blessés parmi des électeurs pacifiques.

Une éventuelle amnistie est soutenue par de puissantes factions de la classe dirigeante. La semaine dernière, El País, qui appartient au plus grand groupe de médias d'Espagne, Grupo Prisa, s’est soudainement prononcé en faveur d’une amnistie, alors qu’il l’avait exclue quelques semaines avant. Dans un article intitulé «Vingt-deux décisions du Tribunal constitutionnel permettent d’accorder une amnistie», le journaliste Xavier Vidal-Folch, qui a soutenu la campagne anti-catalane des dernières années, écrit: «Les décisions du Tribunal des garanties et plus de trente traités internationaux ont reconnu la validité d’une telle mesure de grâce».

Le pseudo-de gauche Sumar joue un rôle de premier plan dans les négociations PSOE-Junts. L’ex-président de Podemos, Jaume Asens, rédige depuis le mois d’août une loi d’amnistie. Le projet de loi, envoyé à Junts la semaine dernière, accorderait le pardon pour «toutes les actions ou omissions d’intention politique liées à l’objectif de parvenir à l’auto-détermination de la Catalogne, classées comme infractions pénales ou administratives et qui ont eu lieu entre le 1er janvier 2013 et le moment de l’entrée en vigueur de cette loi».

Il est important de noter que cette loi amnistierait également les policiers impliqués dans la répression.

Il n’est pas certain que le PSOE et Sumar soient en mesure d’obtenir le soutien de Junts et de l’ERC, car ces derniers sont en Catalogne des rivaux politiques acharnés. Tous deux ont cependant intérêt à ce qu’un gouvernement PSOE-Sumar soit élu, car il devrait continuer à injecter des milliards de fonds de sauvetage de l’UE dans la bourgeoisie catalane et à réduire les dépenses sociales.

Les alliés pseudo-de gauche de Sumar interviennent pour donner une feuille de vigne progressiste aux partis réactionnaires qui organisent le débat sur l’amnistie. La Gauche révolutionnaire, l’ancien affilié espagnol du Comité pour une Internationale Ouvrière, affirme:

«(L)es changements dans la politique du PSOE et son virage en faveur de l’amnistie ont été imposés par l'énorme pression de la rue. Les immenses manifestations des années 2011 à 2015 dans tout le pays et de 2016 à 2019 en Catalogne continuent de provoquer des effets politiques qui obligent Sánchez à offrir certaines concessions à la gauche s’il veut rester au pouvoir».

De même, le Courant révolutionnaire ouvrier (CRT), moréniste, vise à subordonner les travailleurs à Sumar, au PSOE et aux nationalistes catalans ; il appelle les travailleurs à exiger une amnistie «totale», et non une «amnistie limitée». Il prétend que cela déclencherait un vaste débat sur la démocratie espagnole. Son dirigeant, Santiago Lupe, propose d’appeler à «de grandes mobilisations qui répondent à cette vague de chauvinisme espagnol en exigeant une amnistie totale pour les sécessionnistes et le reste des combattants de Catalogne et du reste de l’État… afin d’ouvrir un processus constituant».

La WSWS s’est toujours opposée à l’incarcération des nationalistes catalans et des activistes qui demandaient leur libération. Mais le PSOE et Sumar ne sont pas des défenseurs de la démocratie qui répondront à la pression de la base en allant vers la gauche.

En effet, ils ont gouverné l’Espagne pendant quatre ans, imposant des attaques brutales à la classe ouvrière: des réductions de pensions consolidant l’âge de la retraite à 67 ans, des augmentations de salaires sous l’inflation pour de larges couches de travailleurs, et une réforme du droit du travail réduisant les protections légales des travailleurs sur le lieu de travail. Pour briser les grèves, il a imposé des lois draconiennes sur le service minimum et déployé des dizaines de milliers de policiers. S’ils avaient voulu une amnistie, ils auraient déjà pu l’adopter.

La question soulevée par les appels actuels en faveur d’une amnistie est la suivante: qu’est-ce qui a changé?

Tout comme la grâce accordée en 2021 à neuf nationalistes catalans condamnés à dix ans de prison pour leur rôle dans le référendum sur l’indépendance de la Catalogne il s’agit d’une décision pragmatique. Elle est dictée avant tout par la nécessité d’installer un gouvernement pour continuer à mener la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, à injecter des milliards d’euros dans les trusts et les banques espagnols grâce aux fonds de sauvetage de l’UE, et à tenter d’étouffer l’opposition croissante de la classe ouvrière à la baisse des salaires et à l’inflation.

La semaine dernière, Sánchez a accueilli le sommet des responsables européens à Grenade pour discuter la stratégie de guerre contre la Russie. Celui-ci s’est déroulé dans un contexte de divisions et crises croissantes à Washington sur la conduite de la guerre ukrainienne, alors que le gouvernement américain s’efforce d’en assurer le financement et que les responsables européens manifestent leur ferme soutien à la poursuite de l’escalade. Sánchez a clairement soutenu l’escalade en promettant l’envoi de nouveaux systèmes de défense aérienne et la formation de milliers de soldats ukrainiens de plus pour qu’ils servent de chair à canon à l’OTAN.

Si Sánchez forme un nouveau gouvernement, celui-ci s’engagera à intensifier la guerre impérialiste de l’OTAN à l’extérieur et la guerre contre la classe ouvrière à l’intérieur. Le PSOE et Sumar ont déjà promis des réductions de 24 milliards d’euros pour l’an prochain, après avoir voté les plus gros budgets militaires de l’histoire de l’Espagne. Cela annonce une confrontation explosive entre le gouvernement PSOE-Sumar et la classe ouvrière.

S’il est élu, le gouvernement PSOE-Sumar sera le plus faible depuis la fin de la dictature fasciste franquiste en 1978 et dirigera l’un des parlements les plus fragmentés de l’Espagne. Il devra négocier avec quatre partis extérieurs au gouvernement pour faire passer des lois. Sumar devra également négocier avec les 13 partis de sa plate-forme, y compris Podemos.

Le nouveau gouvernement sera confronté à l’opposition farouche du PP et de Vox qui dénoncent toute négociation avec les sécessionnistes comme équivalant à une trahison. Il y a deux semaines, ils ont organisé une manifestation de 40.000 personnes à Madrid contre toute concession aux nationalistes catalans. Des militaires de haut rang, actifs et retraités, ont signé un manifeste contre l’amnistie.

La tâche urgente de la classe ouvrière et de la jeunesse est de construire une direction politique et des organisations de lutte capables de s’opposer aux politiques réactionnaires du PSOE, de Sumar et de leur périphérie pseudo-de gauche, ainsi qu’aux complots des milieux dirigeants ouvertement fascistes. Cela signifie qu’il faut fonder un Parti de l’égalité socialiste en Espagne en tant que section du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru d’abord en anglais le 9 octobre 2023)

Loading