Des responsables européens ont tenu deux jours de sommet jeudi et vendredi à Grenade, en Espagne, pour discuter de stratégie alors que la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine menace d’éclater à travers l’Europe. Après un sommet jeudi de la Communauté politique européenne (CPE), un rassemblement d’États européens et de pays limitrophes de la Russie lancé par le président français Emmanuel Macron l’année dernière, l’UE s’est réunie pour un autre sommet.
Les sommets, convoqués sur les questions stratégiques posées par la transition vers les énergies renouvelables et la guerre en Ukraine, se sont concentrés sur la guerre avec la Russie. Les représentants de l’UE ont invité à Grenade le président ukrainien Volodymyr Zelensky, chef du régime ukrainien fantoche de l’OTAN. Dans un contexte d’intensification de la crise et des divisions sur la conduite de la guerre en Ukraine à Washington, alors que le gouvernement Biden s’efforce d’en assurer le financement, les représentants de l’UE ont manifesté leur soutien ferme à la poursuite de l’escalade.
Zelensky a exposé de la manière la plus directe l’argument orwellien en faveur de la guerre avancé par les pyromanes de l’UE: l’affirmation selon laquelle seule une guerre totale avec la Russie peut préserver la paix.
Combattre la Russie en Ukraine, affirme Zelensky, c’est s’assurer qu’un «drone, un char ou toute autre arme russe ne frappera personne d’autre en Europe». Nous ne devons pas permettre à Poutine de déstabiliser d’autres parties du monde et nos partenaires afin de ruiner la puissance de l’Europe… La présence de la Russie, de son armée ou de ses mandataires sur le territoire de n’importe quel autre pays est une menace pour chacun d’entre nous. Nous devons travailler ensemble pour repousser la Russie hors du territoire des autres pays».
En fait, alors que les pays de l’OTAN injectent des centaines de milliards d’euros en Ukraine pour combattre la Russie, la guerre menace d’exploser rapidement en Europe et dans le monde. Après que le ministre britannique de la Défense, Grant Shapps, a proposé de déployer des troupes britanniques en Ukraine, et que les responsables russes ont déclaré que cela ferait des troupes britanniques des cibles des forces russes, il est évident que le monde n’est qu’à quelques décisions d’une conflagration totale.
Pourtant, les fonctionnaires de l’UE ont continué à prôner l’escalade. Ursula von der Leyen, chef de la Commission européenne, a déclaré que l’UE préparait un nouveau programme d’aide de 70 milliards d'euros, en plus des 85 milliards d’euros déjà dépensés pour la guerre. Macron a rencontré Zelensky et a souligné l’engagement de l’UE dans la guerre contre la Russie: «Il y a un engagement très profond, très fort, parce que nous savons tous que nous parlons de l’Europe et de la possibilité même d'une paix durable sur notre continent.»
Les responsables européens ont également fait part de leur inquiétude et de leur mécontentement face à la crise qui sévit à Washington et au retard pris par les États-Unis dans leur escalade en Ukraine. «La situation avec les États-Unis est dangereuse, c’est une période difficile», a déclaré Zelensky. Il a toutefois indiqué qu’il s’attendait à ce que l’escalade de l’OTAN se poursuive à terme: «Je pense que les États-Unis et l’Europe seront aux côtés de l’Ukraine et que nous sortirons ensemble de cette crise.»
«L’Ukraine a besoin du soutien de l’Union européenne – ce qui est certain, ils l’auront et nous l’augmenterons – mais aussi du soutien des États-Unis», a déclaré le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell. «L’Europe ne peut certainement pas remplacer les États-Unis».
Washington et les grandes puissances européennes cherchent désespérément à intensifier la guerre. Lors d’une visite d’urgence du président allemand Frank-Walter Steinmeier à la Maison-Blanche vendredi, le chef d’État allemand et le président américain Joe Biden se sont mutuellement engagés à maintenir, voire à accroître le soutien militaire à Kiev. «Notre alliance est au cœur de notre engagement continu à soutenir les Ukrainiens», a déclaré le cabinet du président fédéral.
Lors de la préparation de la réunion, qui s’est tenue à l’abri des regards du public, la Maison-Blanche a déclaré que le point essentiel était «l’étroite coordination entre alliés de l’OTAN sur un certain nombre de questions importantes». L’Allemagne et les États-Unis continueront à «se tenir aux côtés du courageux peuple ukrainien qui se défend contre l’assaut brutal de la Russie».
Une sérieuse mise en garde s’impose. Face à de multiples crises sur leur territoire et à l’étranger, les puissances impérialistes se déchaînent et préparent une guerre totale.
L’un des aspects essentiels du sommet de Grenade a été l’absorption des pays proches de la Russie, en vue d’encercler et, à terme, de démanteler la Fédération de Russie elle-même.
Dans son discours d’ouverture du sommet européen de vendredi, le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré que 20 ans après avoir pris cet engagement, l’UE devait enfin être «en mesure d’accueillir les États des Balkans occidentaux au sein de l’Union européenne». La même chose est prévue, a-t-il ajouté, avec «la Moldavie et l’Ukraine et, à long terme, également avec la Géorgie».
Les commentaires de Scholz ont été repris par la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, à Tirana, la capitale de l’Albanie, vendredi. «L’attaque de la Russie contre l’Ukraine fait de l’élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux une nécessité géopolitique», a-t-elle déclaré devant ses homologues de Serbie, du Kosovo, de Macédoine du Nord, du Monténégro, de Bosnie-Herzégovine et d’Albanie.
Après avoir évoqué l’élargissement de l’UE, Scholz a plaidé en faveur de l’abolition du principe de l’unanimité au sein de l’UE. Selon lui, «il ne serait alors plus possible de maintenir l’unanimité en matière de politique étrangère ou de politique fiscale… Nous devons alors également pouvoir prendre des décisions à la majorité qualifiée afin de garantir la souveraineté et la capacité d’action de l’Union européenne».
L’imposition de la règle de la majorité permettrait clairement à Berlin, Paris et Bruxelles de poursuivre encore plus résolument la guerre, le réarmement et les attaques sociales massives nécessaires pour les financer.
À Grenade, Scholz a annoncé la livraison d’un nouveau système de missiles Patriot à Kiev et a promis une nouvelle aide militaire pour l’hiver. Il n’a pas exclu la livraison de missiles de croisière Taurus qui pourraient frapper loin dans le territoire de la Russie.
Un peu plus tôt, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, avait annoncé une nouvelle enveloppe militaire de 400 millions d’euros pour l’Ukraine: «Nous fournissons des munitions supplémentaires: des munitions explosives, des munitions de mortier, des roquettes antimines. Car les munitions sont ce dont l’Ukraine a le plus besoin dans sa lutte défensive contre la guerre d’agression brutale». Il a ajouté: «Nous apporterons notre aide sous la forme de véhicules blindés et de systèmes de déminage».
Selon l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale, l’Allemagne a jusqu’à présent fourni à Kiev des armes pour une valeur de 17 milliards d’euros, ce qui en fait de loin le leader au sein de l’UE.
L’Allemagne déploie également des troupes de l’OTAN en Europe de l’Est. Lors d’un voyage dans les États baltes la semaine dernière, Pistorius s’est vanté du rôle central que joue l’Allemagne pour «dissuader» la Russie. «L’Allemagne prend ses responsabilités. Et l’Allemagne joue un rôle de premier plan», a déclaré le social-démocrate lors d’une conférence sur la sécurité dans la capitale estonienne, Tallinn. D’ici à la fin de 2023, a-t-il ajouté, Berlin installera en Lituanie une brigade de 4.000 soldats prêts au combat.
Le fait que l’impérialisme allemand, qui a déjà tenté de soumettre la Russie à deux reprises au cours du XXe siècle, soit le fer de lance de l’offensive de l’OTAN, montre le véritable caractère de la politique de guerre de l’UE. Il ne s’agit pas de «valeurs européennes» telles que la «liberté» et la «démocratie», mais d’intérêts géopolitiques et économiques. Les documents stratégiques du gouvernement allemand déclarent ouvertement que la guerre en Ukraine est une «lutte pour les matières premières» telles que «le fer, le titane et le lithium, dont certaines sont contrôlées par la Russie».
Les sommets de Grenade ont révélé la nature réactionnaire de la classe dirigeante européenne. À la crise du capitalisme mondial et au mouvement grandissant de la classe ouvrière en Europe et dans le monde, toutes ses factions répondent par un virage de plus en plus ouvert vers la guerre et le fascisme.
Une autre question centrale du sommet était le durcissement de la politique d’accueil des réfugiés. Avec le «décret d’urgence sur la crise» rédigé par le gouvernement espagnol du PSOE social-démocrate et du parti de pseudo-gauche Podemos, l’UE met de fait en œuvre le programme de l’extrême droite. Ses mesures prévoient la détention des réfugiés dans des installations ressemblant à des camps de concentration après qu’ils ont franchi la frontière. Dans ces camps, des fonctionnaires décideront dans les trois mois si une personne a une chance de se voir accorder l’asile. Si ce n’est pas le cas, la personne sera immédiatement expulsée.
Les attaques contre les réfugiés visent l’ensemble de la classe ouvrière. Plus la classe dirigeante pousse au militarisme et à l’austérité sociale, plus elle cherche à réprimer l’opposition sociale et politique à l’intérieur du pays. Pour repousser cette offensive réactionnaire, les travailleurs ont besoin de leurs propres organisations de lutte indépendantes et d’une direction et d’une perspective socialistes.
«Les travailleurs doivent opposer la perspective des États socialistes unis d’Europe à l’UE des banques et des sociétés, à la mort de masse et à la guerre», écrit le Parti de l’égalité socialiste (SGP) d’Allemagne dans sa déclaration pour les élections européennes de l’année prochaine, auxquelles il participe en étroite collaboration avec ses partis frères de Grande-Bretagne, de France et de Turquie, ainsi qu’avec des groupes sympathisants d'Ukraine et de Russie.
«Il est impossible de mettre fin à la guerre, de sauver des vies et de défendre les salaires sans briser le pouvoir des banques et des sociétés et les placer sous contrôle démocratique. Au lieu de se tirer dessus, les travailleurs russes et ukrainiens, ainsi que les travailleurs de toute l’Europe, doivent combattre les fauteurs de guerre dans leur propre pays avec cette perspective».
(Article paru en anglais le 7 octobre 2023)