Projets de guerre mondiale discutés au sommet des Amériques à Washington

Les jeudi et vendredi 2 et 3 novembre derniers, l’administration Biden accueillait le premier sommet du Partenariat des Amériques pour la prospérité économique (PAPE), une plateforme visant à promouvoir l’intégration des chaînes d’approvisionnement des Amériques en vue d’une confrontation économique et militaire avec la Chine.

Bien que le sujet n’ait été mentionné qu’au passage, en toile de fond, l’assaut génocidaire d’Israël contre Gaza définit finalement la principale signification politique du sommet. Celui-ci s’est déroulé alors que le gouvernement américain est en train de perdre le contrôle du discours entourant la guerre et que son rôle de puissance principale permettant politiquement, matériellement et stratégiquement le génocide contre les Palestiniens et la provocation d’une guerre régionale devient évident pour les masses du monde entier.

Rencontre de Gabriel Boric et de Joe Biden à la Maison-Blanche, le 2 novembre [Photo: @GabrielBoric]

En un tel moment crucial, la décision des présidents de pseudo-gauche Gabriel Boric (Chili) et Gustavo Petro (Colombie) de se rendre à la Maison-Blanche pour le sommet et de rencontrer le président Joe Biden est politiquement criminelle. Leur présence a offert une couverture politique à Washington, qui participe à des crimes rappelant ceux des nazis : la pulvérisation de milliers d’enfants et de civils palestiniens et le déplacement de millions de personnes.

Mardi, Boric et Petro ont certes rappelé leurs ambassadeurs d’Israël pour protester contre l’assaut, et Petro a spécifiquement déclaré que «le gouvernement américain a une grande responsabilité politique» dans ce qui se passe. Mais leurs réunions, leurs séances de photos, leurs sourires et leurs conversations avec Biden, qui a les mains plongées jusqu’aux coudes dans le sang des Palestiniens, sont la démonstration la plus claire que l’éruption impérialiste entrave la capacité des élites dirigeantes latino-américaines de faire semblant de jouer quelque rôle indépendant, progressiste ou démocratique.

«J’ai dit à M. Biden que le massacre ne pouvait pas continuer, a déclaré Petro à la presse. M. Biden n’a pas répondu, mais il a au moins 'fait connaître sa position'», a-t-il ajouté avec cynisme.

Petro a également salué le sommet organisé par les États-Unis comme une «initiative historique qui permettra de continuer de travailler sur le développement économique durable dans le respect des principes de justice sociale et climatique».

À l’heure où le surnom de «Genocide Joe» est tendance sur les réseaux sociaux, Gabriel Boric a déclaré à Biden, lors de leur rencontre jeudi, qu’il «espérait un jour aller aussi loin que vous» dans sa carrière politique.

Boric a ensuite déclaré aux journalistes que leur rencontre avait été «fructueuse et franche». Il a ensuite condamné à trois reprises les attaques du Hamas du 7 octobre, tout en affirmant que les attaques d’Israël sont «inacceptables», «disproportionnées» et constituent une «violation du droit international humanitaire», concluant : «Nous n’acceptons pas d’être contraints de choisir un camp».

Vendredi, Boric a ajouté : «Je pars avec la tranquillité d’esprit que le président Biden, je le sais, partage mes préoccupations» au sujet de l’assaut israélien sur Gaza.

Pour sa part, le président mexicain de pseudo-gauche Andrés Manuel López Obrador a envoyé sa ministre des affaires étrangères Alicia Barcena à la tête de la délégation mexicaine. Son gouvernement a refusé de condamner Israël jusqu’à mercredi, lorsque le représentant mexicain à l’ONU a déclaré que l’assaut contre Gaza «viole le droit international» et «pourrait constituer des crimes de guerre».

Boric, Petro et López Obrador parlent des deux côtés de la bouche en même temps et sont principalement préoccupés par la couverture de leur propre subordination à l’impérialisme et à son programme belliqueux et dictatorial, ce qui était l’essence même des discussions lors du sommet du PAPE.

Comme le décrivait sous le couvert de l’anonymat un fonctionnaire américain à l’agence Reuters au début du sommet : «Nous parlons de construire des chaînes d’approvisionnement régionales compétitives capables de rivaliser sur le marché, c’est-à-dire rivaliser avec la Chine».

Un autre fonctionnaire a déclaré que la Banque interaméricaine de développement (BID), dirigée par les États-Unis, proposera une nouvelle plateforme de financement pour les pays, dans le but de développer l’utilisation d’une main-d’œuvre bon marché et de ressources naturelles essentielles dans la région.

Les auteurs d’un projet de loi bipartisan intitulé «The Americas Act», Bill Cassidy (Républicain de la Louisiane) et Michael Bennet (Démocrate du Colorado), se sont exprimés lors de la session de la BID jeudi. Leur proposition prévoit d’«intégrer» d’autres pays d’Amérique latine à l’Accord CanadaÉtats-UnisMexique (ACEUM), s’ils répondent aux critères américains.

Ces promesses de commerce et de financement visent essentiellement à faire pression sur les élites régionales pour qu’elles se désolidarisent de la Chine et suppriment les migrations de leurs populations, mais il n’y a là guère de différence avec les initiatives prises par l’administration Obama qui n’ont eu aucun effet en termes d’investissements.

Le mois dernier, le Wilson Center, basé à Washington, lançait comme mise en garde que le déplacement de l’économie américaine par la Chine «sapait le leadership des États-Unis dans la région». Entre 2001 et 2020, il a constaté que la part de la population latino-américaine vivant dans des pays plus dépendants économiquement de la Chine que des États-Unis est passée de 3 % à 60 %. «Les États-Unis sont confrontés à d’importantes difficultés pour mobiliser les capitaux du secteur privé à des fins de politique étrangère», écrit le groupe de réflexion. Pareillement, Cynthia Arnson, également du Wilson Center, déclarait récemment : «Nous devons proposer une alternative. Dollar pour dollar, les États-Unis ne seront jamais en mesure d’égaler les profondes poches des banques d’investissement chinoises».

Lors du sommet, Alicia Bárcena a déclaré que le Mexique était «le pays de la délocalisation proche», c’est-à-dire permettant de déplacer la production de semi-conducteurs et d’autres produits stratégiques explicitement loin de l’Asie et plus près du marché américain. Bien qu’elle ait ensuite appelé à «incorporer le reste de la région dans cette stratégie», son ton trahissait clairement la concurrence régnant entre les élites dirigeantes de la région pour les investissements, sapant du coup toute possibilité d’«intégration» réelle.

Tandis que les discussions du sommet sont concentrées sur les investissements économiques, l’impérialisme américain s’appuie de plus en plus sur la puissance militaire, les conspirations antidémocratiques, les menaces et l’adoption de sanctions dévastatrices pour assurer son contrôle sur la région.

L’administration Biden poursuit l’envoi de troupes pour soutenir le régime péruvien de Dina Boluarte, qui a déjà perpétré plusieurs massacres de manifestants opposés au coup d’État soutenu par les États-Unis qui l’a installée en décembre dernier. Washington a également mené récemment des opérations militaires en Équateur, où le président sortant, Guillermo Lasso, a également eu recours à la violence meurtrière contre des manifestations, ayant récemment procédé à la dissolution du Parlement et supervisé les premières élections du pays dans le cadre d’un état d’exception militaire. Tous deux étaient présents au sommet.

Jeudi, Biden a également rencontré personnellement le président dominicain Luis Abinader, multimillionnaire réactionnaire ayant fermé la frontière avec Haïti le mois dernier et lancé des appels aux côtés de Washington pour accélérer le déploiement d’une force militaire multinationale en Haïti, une opération approuvée le mois dernier par le Conseil de sécurité de l’ONU.

Le soutien sans réserve d’Abinader à la campagne génocidaire menée par Israël à Gaza et les éloges à l’endroit du «leadership» de Biden dans la résolution de la «situation historique» en Haïti sont de sérieux avertissements aux travailleurs quant aux niveaux de brutalité que l’impérialisme et ses élites subordonnées sont prêts à utiliser pour réprimer la lutte des classes qui éclate dans toute la région.

Le sommet a également vu la participation des chefs d’État de droite de l’Uruguay, du Costa Rica et de la Barbade.

Le discours des hauts fonctionnaires de Washington décrit l’influence économique de la Chine comme une «agression» contre les pays de la région et les États-Unis mêmes, affirmant que Beijing corrompt les fonctionnaires, déstabilise les sociétés et provoque des migrations massives.

Il est douteux que quiconque puisse croire à de telles absurdités sans ignorer un siècle d’impérialisme où les États-Unis ont envahi les pays au sud de leur frontière, soutenu maints coups d’État, mis en place des dictateurs et imposer les intérêts de Wall Street – sans parler des décennies d’endettement, d’austérité et de privatisations connues sous le nom de «Consensus de Washington». La rhétorique actuelle entourant la politique américaine à l’égard de l’Amérique latine fusionne concurrence économique et préparatifs de guerre actifs.

Alors que les trois dernières décennies de guerres sans fin sont en train de se métamorphoser en un conflit mondial entre puissances nucléaires et en campagnes génocidaires comme à Gaza, il devient évident que le capitalisme est incompatible avec toute idée de paix, de démocratie et d’indépendance.

Le projet infâme de transformer l’Amérique latine en une plate-forme permettant à Wall Street et au Pentagone de poursuivre leurs efforts de domination mondiale est rapidement miné par ses propres contradictions. Et il ouvre la voie en premier lieu à une opposition de masse contre les élites subordonnées à Washington et toutes les institutions capitalistes.

Objectivement, la classe ouvrière est la seule force sociale capable de mener la lutte contre l’impérialisme et la guerre. Cependant, alors que la lutte des classes et le mouvement de masse contre la guerre s’intensifient dans le monde entier, la conscience sociale et politique des travailleurs sur ce qui est en jeu reste en retard par rapport à l’évolution actuelle de la situation objective et les tâches qu’elle pose.

La construction d’une direction politique trotskiste au sein de la classe ouvrière de chaque pays – en tant que sections du Comité international de la Quatrième Internationale – n’a jamais été aussi urgente pour préparer la mobilisation politique indépendante et révolutionnaire de la classe ouvrière contre le capitalisme qui engendre guerre, inégalités, dictature et fascisme.

(Article paru en anglais le 3 novembre 2023)

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