Après la ratification à Stellantis : leçons à tirer de la lutte contractuelle de 2023 contre les Trois grands de l’automobile au Canada

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Unifor a annoncé le 6 novembre que les travailleurs de l’automobile de Stellantis Canada avaient voté à seulement 60 % en faveur d’une entente de principe de trois ans lors d’un scrutin en ligne. La ratification de l’entente pour les quelques 8.200 travailleurs des installations de Stellantis en Ontario et en Alberta met un terme à la lutte contractuelle de 2023 contre les Trois grands de l’automobile au Canada, Unifor ayant précédemment fait adopter des ententes de capitulation similaires chez Ford et GM.

Piquet de travailleurs en grève devant l’usine d’assemblage de Stellantis à Windsor [Photo: Unifor Local 444/Facebook ]

La ronde de négociations dans son ensemble a prouvé une fois de plus l’hostilité amère de la bureaucratie syndicale nourrie à l’égard des intérêts des travailleurs de la base. Conspirant contre les membres, la présidente d’Unifor, Lana Payne, et les hauts responsables syndicaux ont travaillé en coulisses pour négocier des conventions favorables à l’entreprise qui garantissent que les Trois grands de l’automobile continueront d’engranger des bénéfices pendant la transition vers la production de véhicules électriques (VE), tandis que les travailleurs continueront d’endurer la précarité d’emploi, des salaires à plusieurs niveaux et des conditions de travail exténuantes.

La leçon essentielle à tirer de cette expérience, qui suit le même schéma que celle des quatre dernières décennies, est que seule une rébellion contre la bureaucratie syndicale visant à placer le pouvoir entre les mains des travailleurs de la base permettra aux ouvriers de l’automobile de lutter véritablement pour leurs revendications. Cette lutte passe par la création de comités de base dans chaque usine et l’unification des travailleurs canadiens de l’automobile avec leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis et au Mexique dans une lutte commune contre les géants de l’automobile, avides de profits et mobiles à l’échelle internationale.

Bien que les négociations pour le renouvellement des conventions collectives soient officiellement terminées pour cette année, les travailleurs de l’ensemble de l’industrie automobile feront face à des luttes majeures dans les mois et les années à venir, alors que l’Amérique du Nord et le monde sont secoués par la crise économique et la guerre. En outre, les patrons de l’automobile considèrent ces nouvelles conventions comme un élément essentiel dans leurs plans de restructuration de l’industrie à l’échelle mondiale afin d’accroître l’exploitation des travailleurs et leurs profits grâce à la transition vers la production de véhicules électriques. Ce processus est habilement facilité par la bureaucratie d’Unifor, qui étouffe l’opposition des travailleurs tout en faisant pression pour que les gouvernements fédéral et provinciaux accordent d’énormes subventions aux constructeurs automobiles, déjà très rentables.

Quelques heures seulement après l’annonce de la ratification chez Stellantis, 900 travailleurs du secteur automobile de Magna Integram Windsor Seating à Lakeshore, en Ontario, débrayaient à leur tour pour des questions de salaires, d’avantages sociaux et de pensions. L’usine fabrique des sièges pour les véhicules assemblés à l’usine de montage de Windsor de Stellantis. La transition vers les véhicules électriques va entraîner une hémorragie d’emplois et des bouleversements importants pour ceux qui resteront dans le secteur des pièces automobiles.

Le modèle capitulard d’Unifor et les méthodes bureaucratiques antidémocratiques pour vaincre l’opposition des travailleurs de la base

À quelques différences locales mineures près, l’entente conclue chez Stellantis suit le modèle auparavant établi chez Ford. Elle prévoit des augmentations salariales totales de 15 % sur trois ans, ainsi qu’un ajustement limité au coût de la vie qui n’entrera en vigueur qu’en décembre 2024. Cela signifie que les travailleurs continueront à faire du sur-place pendant toute la durée de la convention, dans un contexte de crise persistante du coût de la vie où l’on voit une augmentation massive des prix de la nourriture, du logement et des services publics depuis 2020.

La nouvelle convention maintient la progression des salaires et des pensions par paliers. Elle prévoit également le versement d’indemnités de chômage supplémentaires à hauteur de 70 % du salaire pour les employés à temps plein comptant une année complète d’expérience advenant des licenciements dans le cadre de la transition vers la production de véhicules électriques.

La question de l’adéquation des indemnités de chômage est particulièrement cruciale pour les travailleurs de l’usine d’assemblage de Stellantis de Brampton. On s’attend en effet à ce qu’ils soient mis à pied pendant la plus grande partie de la convention – la fermeture de l’usine pour son réoutillage commençant en janvier, la première équipe devant reprendre le travail pas avant la fin de 2025, et la troisième que dans la seconde moitié de 2026. Il convient de noter que, comme toujours, toutes ces projections dépendent des «considérations commerciales» de Stellantis. Rappelons que la promesse du retour d’une troisième équipe à l’usine d’assemblage de Windsor, pourtant contenue dans la dernière convention négociée par Unifor, n’a jamais été tenue. La perte de cette troisième équipe en 2020 a éliminé 1.500 emplois.

Les travailleurs qui ont déjà éprouvé de nombreux licenciements feront face à une incertitude supplémentaire dans les mois à venir, alors que l’entreprise établit des lignes distinctes pour la production de véhicules électriques, hybrides et à moteur à combustion interne. Le retour d’une troisième équipe à Windsor pendant la durée de la convention n’est donc que «prévu» et nullement garanti. L’entente fait également peu de cas des retraités actuels – qui n’ont pas le droit de voter sur les conventions – un point de désaccord pour de nombreux travailleurs qui ont voté «non».

Enfin, il n’y a aucune garantie ferme quant au nombre d’emplois qui subsisteront dans les opérations canadiennes des Trois grands après la transition aux véhicules électriques. Les analystes de l’industrie prévoient que les véhicules électriques nécessiteront 40 % de main-d’œuvre en moins. Si la production reste sous le contrôle de la direction et continue d’être organisée pour enrichir les investisseurs et non pour servir les travailleurs, cela se traduira par des centaines de milliers de suppressions d’emplois au Canada et aux États-Unis.

L’appareil syndical d’Unifor, dirigé par la présidente Lana Payne, a mené une campagne soutenue pour assurer une capitulation en faveur des entreprises chez les Trois grands, haranguant les travailleurs en affirmant que les ententes proposées étaient «historiques», «battaient des records» et «changeaient la vie». Lorsque cette campagne a échoué, les bureaucrates syndicaux ont fait miroiter des primes à la signature et se sont tournés vers des méthodes antidémocratiques.

Le «modèle» d’Unifor a été adopté par Ford avec le soutien de seulement 54 % des votants, et a été rejeté par les ouvriers qualifiés et les ouvriers de production de l’usine d’Oakville, la plus grande usine de l’entreprise au Canada. Lorsqu’il est devenu évident que le vote serait serré, les responsables d’Unifor ont encouragé les travailleurs temporaires à temps partiel à s’inscrire pour voter en dépit que la date limite à l’interne pour cela était échue. À l’issue du vote, Unifor a eu recours à des manœuvres bureaucratiques pour passer outre au rejet des travailleurs qualifiés, en dépit d’une pratique de longue date leur donnant droit de veto.

Chez GM, la bureaucratie s’est appuyée sur le grand nombre de travailleurs temporaires à temps plein, fortement exploités, en leur promettant qu’ils seraient transférés à des postes à temps plein, pour obtenir 80,5 % de «oui». Après une ratification de justesse chez Ford, Unifor a déclenché une grève bidon de 12 heures chez GM dans le but de tromper les travailleurs, prétendant que le syndicat «luttait» contre l’intransigeance de l’entreprise et dans les faits imposer son modèle inadéquat.

Le même stratagème a été utilisé chez Stellantis avec une grève encore plus courte, de sept heures seulement – l’équivalent d’une piqure de moustique au milieu de la nuit sans aucun effet sur la production. Renversant l’objectif de la grève, ces «débrayages» ont été déclenchés par Unifor non pas pour lutter contre les entreprises, mais bien pour faire pression sur les travailleurs et les déstabiliser.

Par ailleurs, le président de la section locale 444 de Windsor, Dave Cassidy, qui s’était d’abord posé en critique du modèle dans le but d’endiguer une opposition croissante des membres du syndicat, a fait volte-face en déclarant que ce modèle était le meilleur que le syndicat pouvait obtenir et que les travailleurs de Stellantis ne pouvaient rien faire pour s’y opposer. Malgré cette trahison et l’opposition manifeste d’Unifor à toute lutte, 40 % des travailleurs ont voté «non».

Tout au long des négociations contractuelles qui ont débuté en août, l’équipe de négociation d’Unifor a tenu les travailleurs dans l’ignorance, ne leur fournissant des «mises à jour» sporadiques qui n’apportaient aucun détail concret sur ce qui était proposé tant par les constructeurs automobiles que leur syndicat.

Conformément à leur stratégie nationaliste-corporatiste, les responsables d’Unifor ont fait de l’excès de zèle pour maintenir les travailleurs canadiens à l’écart de leurs collègues des usines des Trois grands aux États-Unis, qui voyaient leurs conventions collectives venir à échéance presque simultanément pour la première fois depuis des décennies. Ainsi on a eu droit aux déclarations répétées de Payne selon lesquelles le syndicat «traçait sa propre voie». Afin d’éviter toute grève internationale des travailleurs américains et canadiens, Unifor a négocié des conventions de trois ans, découplant ainsi l’échéance des conventions au Canada et aux États-Unis pour les années à venir.

La voie de l’avant pour les travailleurs de l’automobile

Bien que certains travailleurs canadiens de l’automobile aient vu une alternative à Unifor dans la posture militante du président de l’UAW, Shawn Fain et la Stand-Up Strike (la soi-disant grève «debout») menée par l’UAW dans les usines des Trois grands, l’appareil de l’UAW a fait en sorte que la grève n’affecte jamais véritablement les bénéfices des entreprises en s’assurant que jamais plus de 25 % des membres de l’UAW ne se retrouvent sur les lignes de piquetage. Tout au long de la grève, Fain a été en consultation avec le président américain Joe Biden et l’administration démocrate de droite. Après avoir privé les cheminots de leur droit de grève et joué un rôle central dans l’imposition d’une entente aux dockers de la côte ouest présidant à une réduction de leurs salaires réels, Joe Biden s’est efforcé de soutenir Fain, allant même jusqu’à apparaitre brièvement sur un piquet de grève de l’UAW, tandis que tout ce beau monde collaborait pour étouffer la lutte des classes et garantir la «position concurrentielle mondiale» – c’est-à-dire la rentabilité – des Trois grands.

Avec l’annonce par l’UAW de la conclusion d’ententes de principe et la fin antidémocratique de la grève, l’opposition grandit contre les conventions proposées, les travailleurs américains voyant maintenant clairement qu’il s’agit d’accords de capitulation. Les ententes prévoient en effet de maigres augmentations de salaire et le maintien du statut temporaire pour les travailleurs de ce type pour des conventions de près de 5 ans.

Tout comme l’UAW collabore avec l’administration Biden, Unifor soutient le gouvernement libéral Trudeau et coordonne ses activités avec ce dernier. Des deux côtés de la frontière, les gouvernements comptent sur l’aide des syndicats pour mener une guerre sur deux fronts – contre la classe ouvrière dans leur pays, et à l’étranger, où ils cherchent à procéder à une redivision impérialiste du monde – que ce soit contre la Russie en Ukraine ou en soutenant le génocide perpétré par Israël à Gaza.

La dernière ronde de négociations dans l’industrie automobile a démontré une fois de plus que les travailleurs rencontraient en Unifor une organisation fonctionnant comme un partenaire des entreprises et travaillant avec le gouvernement pour étouffer la résistance de la classe ouvrière. Face à l’opposition croissante des travailleurs et à leur détermination pour récupérer des pertes encourues lors de décennies de concessions, la bureaucratie d’Unifor a recours à des méthodes de plus en plus antidémocratiques pour étouffer toute dissidence et manipuler les résultats des votes.

L’échec d’une série d’ententes de principe négociées par Unifor, notamment dans les épiceries Metro, à Windsor Salt et à la Voie maritime du Saint-Laurent, a été suivi d’efforts redoublés de la part de Payne et compagnie pour faire adopter essentiellement les mêmes termes. L’éviction, l’année dernière, de l’ancien président Jerry Dias, accusé d’avoir touché des pots-de-vin pour avoir favorisé tests de dépistage de la COVID, souligne le caractère corrompu de la bureaucratie.

Cette corruption découle du corporatisme poursuivi par Unifor et son prédécesseur, les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), au cours des 40 dernières années. La scission réactionnaire et nationaliste entre les TCA et l’UAW réalisée en 1985 a été menée avec l’idée qu’un dollar canadien plus bas et des soins de santé financés par l’État permettraient aux TCA d’offrir aux Trois grands de l’automobile des coûts de main-d’œuvre moins élevés, attirant ainsi davantage d’investissements et d’emplois au nord de la frontière. Cette scission a permis de diviser les travailleurs de l’automobile selon des lignes nationales, créant les conditions parfaites pour que les patrons de l’automobile puissent entrainer les salaires, les emplois et les conditions de travail dans une course vers le bas d’un côté à l’autre de la frontière avec la collaboration enthousiaste des bureaucrates de l’UAW et des TCA/Unifor. Cette étroite collaboration a conduit à la création de nombreux comités, projets et autres initiatives conjoints patronal-syndical, tandis que les syndicats des deux côtés de la frontière s’intégraient de plus en plus ouvertement à l’État. Unifor est aujourd’hui l’un des principaux piliers du soutien au gouvernement libéral Trudeau qui poursuit une politique de guerre et d’austérité.

Pour les travailleurs piégés dans cette organisation, la question n’est pas de se contenter de faire simplement pression sur l’appareil corrompu et corporatiste d’Unifor ou de chercher à le réformer. Les dernières négociations ont clairement démontré que la colère contre la bureaucratie et la détermination militante de se battre, bien que justifiées et nécessaires, ne suffisent pas.

Les travailleurs doivent consciemment organiser une rébellion contre la direction d’Unifor et répudier la perspective pro-capitaliste, nationaliste et corporatiste de leur syndicat. Pour cela, ils doivent créer des comités de base, s’unir avec les travailleurs des autres usines et employeurs du secteur de l’automobile et des pièces détachées, et se mobiliser pour une grève internationale commune contre les constructeurs automobiles organisés à l’échelle mondiale.

Le réseau croissant de comités de base aux États-Unis sert de modèle aux travailleurs canadiens de l’automobile, qui doivent s’en inspirer pour développer leur propre lutte. Will Lehman, travailleur socialiste employé chez Mack Trucks, s’est présenté l’an passé à la présidence de l’UAW avec un programme pour abolir la bureaucratie syndicale et remettre le pouvoir entre les mains des travailleurs de la base. C’est ce programme que les travailleurs doivent reprendre à leur compte au Canada pour lutter afin de s’unir concrètement avec leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Mexique et ailleurs dans le monde.

(Article paru en anglais le 12 novembre 2023)

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