La crise du financement en éducation dévaste la profession enseignante au Royaume-Uni

Dans un contexte de crise permanente du recrutement et de la rétention des enseignants, liée à des décennies de sous-financement, la déclaration d’automne du chancelier Jeremy Hunt ne fait rien pour relever les défis auxquels sont confrontées les écoles.

Pas un centime de plus ne sera accordé à l’éducation, malgré le manque de personnel, les classes surchargées, la surcharge de travail, la diminution du soutien aux SEND (besoins éducatifs spéciaux et handicaps) et les écoles menacées d’effondrement structurel. Dans ces conditions impossibles, les enseignants sont censés enseigner à des élèves issus de familles de plus en plus démunies, tout en étant surveillés par l’Ofsted (Office for Standards in Education, Children’s Services and Skills) – l’organisme gouvernemental d’inspection des écoles – le système qui a poussé au suicide la directrice d’école Ruth Perry.

Le chancelier de l’Échiquier, Jeremy Hunt, quittant le 11 Downing Street pour aller prononcer sa déclaration d’automne au Parlement [Photo by Rory Arnold/No 10 Downing Street / CC BY-NC-ND 2.0]

Selon l’indice 2023 de l’organisation caritative Education Support, le bien-être des enseignants a atteint son niveau le plus bas en cinq ans, le stress, l’insomnie et l’épuisement continuant d’augmenter et le travail dans les écoles étant décrit comme une «exigence insoutenable». Plus du tiers (36 %) de la profession souffre d’épuisement professionnel, soit 9 % de plus que l’année précédente, et la moitié des enseignants éprouve de l’insomnie ou des difficultés à dormir.

Le score global de bien-être des enseignants est de 43,44, bien en deçà de la moyenne nationale de 51,40 pour l’ensemble des professions. L’organisation caritative précise que les travailleurs dont les scores se situent entre 41 et 45 doivent être considérés comme «présentant un risque élevé de détresse psychologique et un risque accru de dépression».

Les postes vacants d’enseignants en Angleterre et au Pays de Galles atteignent aujourd’hui un niveau record, étant passés de 1.600 en novembre 2021 à 2.300 en novembre 2022. Selon la National Foundation for Educational Research, cette augmentation est de 93 % par rapport à l’année précédant la pandémie. Les écoles colmatent les brèches en recourant à de coûteux remplaçants ou, luttant pour équilibrer les comptes, en répartissant les cours entre collègues, ce qui alourdit la charge de travail.

Un nombre considérable d’enseignants quittent la profession : ils seront environ 44.000 à avoir quitté leur emploi en Angleterre en 2022, soit environ 7.800 de plus que l’année précédente. Près d’un tiers des enseignants en début de carrière ayant obtenu leur diplôme au cours de la dernière décennie en Angleterre ont depuis quitté la profession, soit plus de 81.000.

Au total, 5.610 enseignants en Angleterre et au Pays de Galles ont choisi de prendre une retraite anticipée au cours de l’année se terminant en septembre 2023, contre 3.932 au cours des 12 mois précédents, soit une augmentation de 42 %, selon les données divulguées par le ministère de l’éducation en réponse à une demande d’accès à l’information.

La firme de conseillers financiers Quilter, qui a soumis la demande, déclare que le passage du régime de retraite des enseignants du salaire final au régime de moyenne de carrière qui est moins généreux, associé à une augmentation des taux de cotisation et à l’augmentation de l’âge de la retraite du régime «peuvent tous contribuer à l’augmentation significative des départs à la retraite des enseignants».

En 2012-2013, les syndicats du secteur public, y compris les syndicats de l’éducation, ont trahi la lutte de longue haleine pour défendre les pensions.

Les mêmes problèmes se posent dans le recrutement pour la formation de nouveaux enseignants. Les chiffres publiés par le ministère de l’éducation en décembre dernier révèlent que 59 % seulement de l’objectif fixé pour le recrutement de stagiaires en enseignement secondaire ont été atteints en 2022-2023, contre 79 % en 2021-2022.

Lors des audiences du Parliament’s Education Select Committee (commission parlementaire de l’éducation), Philip Nye, scientifique des données de l’Institute for Government, a déclaré «je dirais qu’il est juste de dire que le recrutement en ITT [formation de base en enseignement] atteint maintenant un niveau de crise».

Les principales conclusions du rapport de recherche «Teacher recruitment, training and retention» (Recrutement, formation et rétention des enseignants) soumis à la commission et publié le 20 juin sont les suivantes:

  • Il y a eu une baisse des salaires des enseignants de 13 % en moyenne entre 2010 et 2023. L’engagement du gouvernement d’augmenter le salaire de départ à 30.000 livres sterling en 2024, laissera toujours les salaires 2 % plus bas qu’en 2010.

  • L’écart de rémunération entre les enseignants des écoles et ceux des établissements d’enseignement supérieur (Post-16) s’est creusé, passant de 14 % en 2010 à 21 % aujourd’hui. La rétention des enseignants en enseignement post-obligatoire est donc encore pire, avec environ 25 % des enseignants des collèges quittant la profession après un an, alors que le chiffre comparatif dans les écoles est de 15 %. Au bout de trois ans, près de la moitié des enseignants au niveau collégial ont démissionné, contre un quart des enseignants dans les écoles.

  • Le financement en éducation a été réduit dans son ensemble : les dépenses scolaires par élève en Angleterre ont diminué de 9 % de 2009-2010 à 2019-2020, tandis que les dépenses dédiées à l’enseignement des 16 à 18 ans ont chuté de 12 %.

Sur le site web de sa campagne contre les coupes budgétaires dans les écoles, le syndicat des enseignants NEU déclare: «Les nouvelles projections pour le financement des écoles montrent qu’en supposant que le personnel reçoive des augmentations de salaire l’année prochaine, simplement en ligne avec 2023-2024, 92 % des écoles ordinaires devront alors faire face à des réductions en termes réels à partir d’avril».

Malgré toutes leurs critiques, les syndicats d’enseignants ne lèvent pas le petit doigt pour lutter contre ces réductions dans le financement, ou encore contre la stagnation des salaires et la détérioration des conditions de travail, tout cela en dépit de la détermination de leurs membres à se battre.

Ainsi, en début d’année, le NEU – qui est le plus grand syndicat d’enseignants au Royaume-Uni – a liquidé la lutte salariale des enseignants, qui durait depuis des mois, en recommandant à ses membres d’accepter un accord au rabais prévoyant 6,5 % d’augmentation, un chiffre inférieur au taux d’inflation, alors qu’il disposait d’un mandat de 95 % pour une grève de masse et que les membres du NASUWT avaient voté pour la première fois en faveur de celle-ci. La direction du syndicat NASUWT a recommandé l’acceptation de l’accord le même jour, sabotant du coup ce qui aurait pu être une offensive de masse combinée réunissant 750.000 syndiqués.

Le NEU a été récompensé par le gouvernement en étant invité à rejoindre un «groupe de travail sur la charge de travail».

Le fait que l’entente ait été acceptée par les membres constitue davantage un vote de défiance à l’égard de la bureaucratie syndicale que l’acceptation d’une entente qui n’est même pas entièrement financée – exacerbant du coup la crise de financement vécue dans les écoles.

La réponse du NEU à la déclaration d’automne de Hunt se limite à de nouveaux appels futiles au gouvernement pour qu’il investisse en éducation. Ces appels sont tout à fait inutiles, car ils sont adressés à un gouvernement qui se traîne les pieds, même en ce qui concerne les mesures correctives à prendre dans les nombreuses écoles dont la structure est sur le point de s’effondrer en raison de la présence de béton autoclavé.

La revue Schools Week révèle que trois écoles de Stockport, pourtant jugées sûres lors d’inspections initiales, ont dû fermer ce mois-ci à la suite d’enquêtes plus approfondies sur le béton autoclavé.

Quelles que soient leurs plaintes symboliques, les syndicats d’enseignants laissent leurs membres enseigner dans des bâtiments peu sûrs et présentant un danger potentiel pour leur vie, reprenant ainsi le rôle qu’ils ont joué tout au long de la pandémie. Ce sont les syndicats d’enseignants qui ont permis au gouvernement – dirigé par Boris Johnson et son chancelier de l’époque, «Doctor Death» Sunak – de rouvrir les écoles avant que le virus de la COVID ne soit supprimé et sans qu’un programme de vaccination de masse n’ait été mis en place, subordonnant ainsi les besoins en santé à la campagne pour la «réouverture de l’économie».

Pratiquement tous les élèves ont été infectés à ce jour, et beaucoup d’entre eux l’ont été plusieurs fois. Les enseignants, comme les professionnels de la santé, représentent une part disproportionnée des quelque 2 millions de Britanniques souffrant du COVID long, ce qui a sans doute une incidence sur le recrutement et la rétention du corps des enseignants.

Alors que le gouvernement dit ne pas avoir d’argent pour l’éducation ou la protection de la vie des gens, il consacre des milliards pour assurer les profits des entreprises et engendrer la violence militaire. Dans sa déclaration, Hunt a accordé 11 milliards de livres sterling par an en allègements fiscaux pour les grandes entreprises et confirmé l’engagement de son gouvernement à consacrer 2 % du PIB aux forces armées, soit plus de 45 milliards de livres sterling par an.

La lutte pour une redistribution radicale des richesses de la société afin de répondre aux besoins du système éducatif au XXIe siècle passe par la destruction de l’emprise des syndicats corporatistes. L’exemple nous est donné par le Comité de sécurité de la base des enseignants, créé afin de s’opposer à la mise en danger inconsidérée des enseignants par les syndicats et le gouvernement au cours des premières années de la pandémie. Contactez le Comité dès aujourd’hui et abonnez-vous à notre lettre d’information.

(Article paru en anglais le 4 décembre 2023)

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