Lors d'un incident inquiétant, une trentaine de nazis du Réseau national-socialiste (NSN) ont défilé dimanche dans la ville moyenne de Ballarat, au nord-ouest de Melbourne, dans l’État de Victoria. Ils ont scandé des slogans fascistes, notamment «L’Australie à l’homme blanc», et généralement ont créé une atmosphère d’intimidation.

Des images publiées sur les réseaux sociaux montrent des résidents locaux choqués par une telle démonstration. Certains ont crié contre le NSN et ont cherché à combattre son racisme grotesque.
Le but apparent du rassemblement était de commémorer l'anniversaire de la barricade Eureka de 1854 à Ballarat. Depuis des années, l’extrême droite tente de s’approprier l’héritage de ce soulèvement, le présentant comme la naissance du nationalisme australien.
En fait, la barricade était une rébellion de mineurs pauvres contre les entreprises et les autorités de l’État qui les exploitaient. Elle n’avait rien à voir avec un État-nation australien, créé seulement en 1901, et était dirigé par un groupe diversifié de travailleurs, dont un Afro-Américain et plusieurs travailleurs juifs.
Ce serait une erreur d’exagérer l’influence du NSN. Il ne fait aucun doute que les trente personnes rassemblées, vêtues de noir et le visage couvert, constituaient la majeure partie, voire la totalité, de ses membres. L'organisation, dans la mesure où elle est connue, est abhorrée.
Mais ce serait également une erreur de considérer le NSN comme un simple ensemble d’individus malades et aberrants.
En premier lieu, c’est une organisation dangereuse. Leurs dirigeants vénèrent non seulement Hitler, mais aussi Brenton Tarrant, le terroriste australien qui a massacré en 2019 51 personnes dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. La marche tenue à Ballarat s’inscrivait dans le cadre d’une présence publique plus affirmée, au cours de laquelle des membres du NSN se sont déchaînés dans le centre-ville de Melbourne en octobre, pourchassant les Juifs et, à une autre occasion, attaquant et menaçant des militants antifascistes.
Plus fondamentalement, les représentations du NSN dans les grands médias, le présentant comme une inquiétante bizarrerie sans lien avec la culture politique plus large, sont fausses. Le groupe et son évolution ont fonctionné comme une sorte de baromètre du tournant toujours plus à droite de l’establishment politique officiel même.
Le noyau du groupe a démarré ses activités, sous différentes enseignes, au milieu des années 2010. Ses membres se présentaient comme des «patriotes australiens», luttant contre une prétendue menace islamique. Ces efforts ont été directement inspirés par la diffamation incessante des musulmans, associée à la fausse «guerre contre le terrorisme».
Ils se disaient également dévoués à la tradition des soldats australiens de l'ANZAC. Cela au moment même où l'establishment politique organisait une célébration massive du centenaire de la Première Guerre mondiale pour justifier l'actuelle éruption de militarisme, associée avant tout aux préparatifs américains d'une guerre catastrophique contre la Chine.
Un peu plus tard, les prédécesseurs du NSN se sont dit engagés dans la lutte contre les gangs africains. Il s’agissait là d’une reprise directe, par les fascistes, d’une campagne raciste fomentée par une partie des grands médias et de l’establishment politique. Des individus de ce milieu ont été favorablement présentés à la télévision de chaînes privées, discutant de «patrouilles communautaires», c'est-à-dire de milices violentes ciblant la jeunesse ouvrière africaine.
La décision des dirigeants du NSN de laisser tomber le masque et de se présenter comme des nazis partisans d’Hitler était également liée à des développements plus larges. Elle a coïncidé avec la montée en puissance de personnalités fascistes au sein de l’establishment politique-même, comme en témoigne la présidence de Donald Trump.
Ces dernières années, le NSN a été actif dans les mouvements anti-confinement et anti-vaccin. Cette racaille peu nombreuse, composée de forces d'extrême droite et des couches les plus désorientées de la classe moyenne, a été activement cultivée et promue par les pouvoirs en place qui cherchaient à renoncer aux mesures de protection liées au COVID, en vue de garantir une reprise normale de l’activité économique permettant le flux continu des profits vers les trusts. On a appliqué entièrement la politique des fascistes, les gouvernements travaillistes des différents États supervisant une nouvelle vague massive de maladies, sans aucune mesure d’atténuation.
Même compte tenu de cette convergence répétée entre ce qu’avançait le NSN et ce que prônait l'establishment politique l'aspect le plus remarquable du rassemblement de dimanche à Ballarat était qu'avec quelques changements cosmétiques, il aurait pu être convoqué par le gouvernement travailliste fédéral ou par l'opposition, la Coalition libérale-nationale.
«L’Australie à l’homme blanc», le slogan nazi, est essentiellement la ligne qui a dominé au Parlement fédéral ces dernières semaines.
Le 8 novembre, la Haute Cour a statué que la politique bipartite consistant à détenir indéfiniment les demandeurs d'asile violait la Constitution australienne de 1901 et était illégale. Cela a nécessité la libération de près de 150 réfugiés ainsi détenus.
Depuis, médias et partis officiels ont fustigé sans relâche le groupe de réfugiés, les présentant comme une menace imminente pour «l’Australie» et «le peuple australien». Une poignée de demandeurs d’asile, déjà reconnus coupables de crimes sérieux et ayant purgé leur peine, ont fait l’objet d’une couverture médiatique des plus sordides. En cela, il n’y a rien avec lequel le NSN serait en désaccord.
Cette semaine, les travaillistes et la Coalition ont uni leurs forces pour imposer au Parlement un régime de «détention préventive», visant à abroger effectivement la décision de la Haute Cour et permettre une nouvelle détention des réfugiés. Les travaillistes ont déclaré que, malgré la fin de l'année, le Parlement continuerait de siéger jusqu'à ce que les lois soient adoptées, ce qui constitue une attaque contre la notion même de démocratie parlementaire.
Parallèlement à cette législation, les réfugiés ont été soumis à ce qui ressemble de plus en plus à une rafle impliquant les autorités policières de l'État et la police fédérale australienne. Cinq d’entre eux ont été arrêtés et les allégations portées contre eux aboyées dans les médias comme si elles étaient déjà avérées.
Dans un cas, un homme qui ne parle pas anglais et souffre de schizophrénie, du sida, est diabétique et a d’autres problèmes de santé chroniques, a été arrêté pour avoir prétendument enfreint un couvre-feu et «volé des bagages» dans un aéroport. Il semble tout à fait possible qu’il ait ramassé le mauvais sac ou qu’il ait eu un problème de santé mentale.
Un autre homme, qui a vécu et été témoin de choses terribles en tant qu'enfant soldat pendant la guerre civile soudanaise, a été de nouveau arrêté en vertu d'un mandat d'arrêt mineur antérieur à sa détention par les services d'immigration en 2014. Les médias officiels ont attaqué cet homme avec virulence, le qualifiant de «danger» en se basant sur un casier judiciaire dont les prétendus faits saillants incluent des infractions pour conduite en état d'ivresse.
« L’Australie à l’homme blanc» en effet. En plus d'adopter des mesures profondément anti-démocratiques qui serviront de précédent pour des attaques contre toute la classe ouvrière, la campagne vise clairement à attiser le racisme dans un contexte de crise sociale et de cherté de la vie massive, et d'opposition généralisée au partis officiels.
Cela va de pair avec le soutien total apporté par le gouvernement travailliste et l’ensemble de l’establishment au génocide lancé par Israël contre les Palestiniens à Gaza. L'identité politique du NSN repose sur son soutien à l'Holocauste, le pire crime du XXe siècle. Les grands partis et la presse soutiennent en temps réel un Holocauste du XXIe siècle.
Il faut encore souligner deux points.
Premièrement, les nazis littéraux du NSN ont reçu une infime partie du vitriol officiel dirigé contre les manifestations de masse pacifiques contre le génocide de Gaza. Ces manifestants-là ont été dénigrés en permanence, conformément à l'amalgame fallacieux entre l'État israélien et l'ensemble du peuple juif, ce qui est en soi une position antisémite. Le mensonge selon lequel les défenseurs de la Palestine sont antisémites, en raison de leur opposition aux crimes de guerre, ne sert qu’à relativiser et à minimiser la menace posée par le véritable antisémitisme, et à inviter au cynisme à l’égard de toute la question du racisme anti-juif.
Deuxièmement, le danger présenté par le NSN et les groupes fascistes ne sera pas surmonté par des lois gouvernementales ou toute autre action de l’appareil d’État et de l’establishment politique, qui ont favorisé l’environnement propice à l’émergence de telles tendances.
De telles mesures, comme la récente législation interdisant le salut nazi, cachent la responsabilité de l’élite dirigeante dans le développement de tendances fascistes et serviront de précédent pour les attaques contre les socialistes et d’autres opposants de gauche.
Il est à remarquer que jusqu’à présent on ait pris des gants avec les nazis. Leur manifestation a été escortée par la police bien qu’elle n’ait pas été programmée, contrairement aux attaques policières agressives ces dernières semaines contre les manifestations en faveur des Palestiniens et celles sur le climat.
La véritable tâche est de construire un mouvement socialiste de la classe ouvrière dirigé contre un ordre capitaliste en décomposition qui engendre le génocide, la misère sociale et le fléau du fascisme.
(Article paru en anglais le 9 décembre 2023)
