«C’est un gouvernement capitaliste qui veut juste démanteler le système pour ensuite le privatiser.»

Plus d’un demi-million de travailleurs du secteur public au Québec en grève depuis six jours consécutifs

Êtes-vous un travailleur du secteur public du Québec déterminé à gagner votre lutte pour des augmentations salariales supérieures à l’inflation, pour mettre fin aux charges de travail exténuantes et pour augmenter les ressources consacrées à la santé et à l’éducation ? Pour vous joindre à la lutte pour bâtir des comités de base et empêcher que les bureaucraties syndicales sabotent votre lutte, écrivez-nous à cbsectpub@gmail.com.

Un demi-million de travailleurs hospitaliers, d’infirmières et d’autres professionnels de la santé, d’enseignants et de membres du personnel de soutien et du personnel des cégeps étaient en grève mercredi pour la sixième journée consécutive, poursuivant ainsi ce qui constitue l’une des plus grandes vagues de grèves de l’histoire du Québec et, en fait, de l’ensemble du Canada.

Les travailleurs, qui ont été la cible de décennies d’austérité et qui ont supporté le poids de la pandémie de COVID-19, sont déterminés à obtenir des augmentations de salaires supérieures à l’inflation, à mettre fin aux conditions de travail pénibles et à garantir des réinvestissements majeurs dans les services publics.

Manifestation des enseignants grévistes à Montréal mardi

Le gouvernement québécois de droite et favorable aux grandes entreprises, la CAQ (Coalition Avenir Québec), rejette tout cela du revers de la main. Alors que le niveau de vie des travailleurs a été ravagé par des années de programmes gouvernementaux de restriction salariale et par la flambée de l’inflation après 2020, le gouvernement de la CAQ offre à la grande majorité des travailleurs des augmentations de salaire de seulement 12,7 %, étalées sur cinq ans. Cela équivaut à une énorme réduction des salaires en termes réels.

Même cette offre est conditionnée à l’acceptation par les travailleurs du secteur public québécois de concessions radicales sur les règles de travail, l’ancienneté, le paiement des heures supplémentaires et les droits de gestion, afin d’assurer ce que le Premier ministre du Québec, François Legault, a appelé par euphémisme une «flexibilité» accrue.

Mercredi, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a souligné que ces concessions sont essentielles à la mise en œuvre de la réorganisation régressive du système de santé du gouvernement. Le projet de loi 15, que la CAQ a transformé en loi en invoquant le bâillon à la fin de la semaine dernière, prévoit la création d’une nouvelle agence gouvernementale, Santé Québec, qui sera dirigée, selon Dubé, par des «top guns» issus du monde des affaires. Elle sera chargée de gérer l’ensemble du réseau de santé de la province sur la base de principes d’affaires et de promouvoir la privatisation.

Selon Dubé, «les conventions collectives, je l’ai toujours dit, c’est un élément qui va en parallèle avec le projet de loi 15. Plus rapidement on va régler la grève, plus rapidement, on va avoir les conditions de flexibilité.»

Le rythme des négociations s’est accéléré ces derniers jours, le gouvernement et les syndicats affirmant leur volonté de parvenir à un accord avant la fin de l’année.

Les dirigeants du Front commun, qui représente 425.000 travailleurs en grève depuis sept jours (du 8 au 14 décembre), sont au milieu de trois jours de négociations à la «table centrale» avec la présidente du Conseil du Trésor, Sonia LeBel. Ils continuent de brandir la menace d’une «grève illimitée» en janvier, mais ce n’est que pour donner une couverture politique à leurs tentatives de conclure un accord de capitulation et de mettre fin au mouvement de grève.

Les dirigeants du Front commun ont annoncé toute une série de concessions au gouvernement depuis le début des sept jours. Ils ont notamment déclaré qu’ils étaient prêts à conclure un accord de cinq ans, ont réduit leur revendication salariale de 21 % sur trois ans à 25 % (ou moins) sur cinq ans, et ont annoncé qu’ils étaient prêts à négocier sur les exigences de «flexibilité» du gouvernement.

Le premier vice-président de la CSN, François Enault, a déclaré à La Presse lundi : «Il y a des choses qui se sont tassées dernièrement, des éléments qu’on a enlevés d’un côté comme de l’autre».

Mercredi, Legault a affirmé qu’une entente avec la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et potentiellement avec l’unité des enseignants de la CSQ, affiliée au Front commun, était imminente. Cette affirmation a été démentie avec colère par la FAE, qui représente 65.000 enseignants en grève illimitée depuis le 23 novembre.

«Contrairement à ce que dit François Legault, les nouvelles à la table ne sont pas encourageantes», a déclaré le syndicat sur Instagram. «Le gouvernement souffle le chaud et le froid. Il nous promet de l’ouverture pour ensuite refermer la porte aussitôt. La stratégie du gouvernement est clairement de diviser le mouvement et d’épuiser les profs.»

«Ne montez pas dans les montagnes russes de François Legault», poursuit le communiqué de la FAE. «Restez debout, droits, fiers et solidaires.»

Les dirigeants de la FIQ, qui représente 80.000 infirmières et aides-soignantes, ont également réagi avec colère aux propos de Legault, qui les a attaqués pour ne pas avoir fait preuve de la même «souplesse» que les dirigeants des syndicats d’enseignants. Pour sa part, LeBel a déclaré que la position de la FIQ était «irréaliste».

Mercredi, les membres de la FIQ en étaient au troisième jour d’une grève de quatre jours, bien que la plupart des infirmières et des aides-infirmières, comme beaucoup d’autres travailleurs de la santé, n’aient pas le droit de faire grève ou ne puissent le faire que pendant une partie de la journée en vertu de la loi anti-grève de la province sur les «services essentiels».

Les bureaucraties syndicales sont déterminées à empêcher une grève illimitée de tous les travailleurs du secteur public, car elle pourrait servir de catalyseur à un mouvement plus large de la classe ouvrière au Québec et dans tout le Canada contre l’austérité capitaliste. Leur objectif est de maintenir les grévistes du secteur public subordonnés à l’establishment politique, comme on peut le voir quand ils font parader des députés du Parti québécois et du Parti libéral du Québec à l’Assemblée nationale devant les piquets de grève.

Les travailleurs qui ont parlé au World Socialist Web Site sur les piquets de grève et lors des manifestations de ces derniers jours ont souligné qu’ils n’attendaient pas grand-chose des négociations et des appareils syndicaux pro-capitalistes. Mégane, travailleuse sociale au CHUM, le plus grand hôpital de Montréal, a déclaré au WSWS : «C’est sûr qu’on est payé moins que ce que l’on devrait être payé. Au travail, c’est toujours des dossiers de plus en plus lourds et on manque de moyens. Les cas sont de plus en plus complexes. En gériatrie, la pandémie a eu un gros impact. Les diagnostics ont été retardés.»

Une collègue a ajouté : «Avec la pandémie, beaucoup de gens ont pris leur retraite, donc moins de gens sur le terrain, de plus gros case loads.»

Se référant au rôle critique joué par les services publics, ils ont poursuivi : «L’éducation, les services sociaux, la santé : c’est ça la société. Les banques alimentaires sont pleines. Il y a beaucoup d’itinérance et ces gens-là ne reçoivent rien.»

Louise, qui travaille dans l’administration, a commenté : «Nos tâches augmentent toujours. Les gens sont de plus en plus malades, les dossiers sont complexes. Le salaire ne suit pas l’inflation. On a un retard de l’an passé à cause de l’inflation élevée et là ce qu’ils veulent nous offrir ça ne suit pas non plus.»

«L’inflation est un problème mondial. Avant, on n’allait pas dans les banques alimentaires, c’était associé à l’aide sociale. Mais maintenant, on travaille, mais on n’arrive pas.»

Interrogé sur son expérience, un travailleur immigré, Jean-François, a répondu : «Les loyers sont chers ; l’épicerie est chère.»

Gabriel, technicien biomédical, a commenté la menace que Legault utilise une loi spéciale pour criminaliser la grève et imposer des reculs. «Le spectre est toujours là [...] Les syndicats vont dire que c’est anti-constitutionnel, mais cela n’a pas empêché les gouvernements de le faire quand même.»

David, professeur de musique à l’école primaire, qui se décrit comme un «socialiste», a déclaré : «C’est un gouvernement capitaliste qui veut juste démanteler le système pour ensuite le privatiser. C’est aussi ce qu’ils font en santé – ils coupent, ils coupent, ils coupent, puis ils disent : “Regardez, le système ne fonctionne pas”. Ils ne sont pas différents des républicains américains.»

«Ils ne veulent pas donner un enseignement de qualité à l’école publique, parce que s’ils donnent un trop bon enseignement, ils n’auront plus personne à exploiter après.»

David a également abordé la question de la détérioration des conditions de travail provoquée par des décennies d’austérité mises en œuvre par les gouvernements successifs. «Je suis professeur de musique à l’école primaire. Avant, j’avais un local, une salle de classe, mais là je n’ai plus de local. Je ne blâme aucun individu pour ça. Ce n’est pas la faute de la directrice, c’est le système qui est comme ça.»

«Ils veulent réduire les échelons salariaux», a continué David, «mais dans le fond, il ne devrait pas y avoir d’échelons salariaux. Ça ne fait pas de sens que la personne dans la classe d’à côté, qui a moins d’expérience, fasse la moitié de mon salaire.»

«Les profs ne sont pas satisfaits des assurances [collectives]. Nous avons des assurances privées qui ne nous remboursent pas beaucoup, qui ne couvrent pas plusieurs choses. Le problème à la base c’est l’obligation d’avoir une assurance privée. C’est quoi ça ? Une partie de mon chèque de paie va à une compagnie privée. Ça devrait être l’assurance-maladie, le gouvernement qui paie.»

David a ensuite évoqué la frustration croissante des enseignants de base à l’égard de la direction du syndicat. «Des profs disent dans mon école : “ils négocient, mais on ne sait pas quelles avancées ont été faites. C’est à huis clos, puis on ne peut pas savoir, mais on veut savoir”. «En fait, conclut David, ils devraient consulter tous les membres.»

Dimanche dernier, des enseignants, des aides-enseignants et des travailleurs de la santé ont adopté une résolution demandant la création de comités de base dans chaque lieu de travail afin de s’emparer de la direction de la lutte contractuelle et d’unifier les travailleurs du secteur public du Québec avec leurs collègues de tout le Canada. La résolution déclarait : «Ces comités nous permettront de 1) rallier l'opposition à la tentative des syndicats de mettre fin à notre lutte et d’imposer des conventions collectives remplies de reculs ; 2) organiser une grève générale unifiée dans le secteur public en faisant fi de ce que nous dictent les dirigeants syndicaux ; 3) rallier l’appui au Québec et dans tout le Canada en faisant de notre grève le fer de lance d'une contre-offensive de la classe ouvrière pour défendre les droits des travailleurs et les services publics et s'opposer aux lois anti-grèves et au détournement massif des ressources sociales pour la guerre ; et 4) se préparer à défier toute loi anti-grève.»

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