Argentine : le gouvernement d’extrême droite déclare la guerre à la classe ouvrière

Le président argentin d’extrême droite, Javier Milei, a signé mercredi un décret dit de nécessité et d’urgence (DNU) qui vise à réduire la taille du gouvernement, à supprimer les réglementations et à priver la classe ouvrière des prestations sociales, de salaire, de retraites et d’aide sociale qui existantes. Le soir même, dans un discours télévisé national, Milei a présenté le DNU et décrit 30 de ses 366 mesures.

Les travailleurs de Santa Fe, en Argentine, manifestent contre les menaces de Milei visant l'éducation publique [Photo by TitiNicola/Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0]

Les décrets de nécessité et d’urgence, une méthode constitutionnelle permettant de contourner le pouvoir législatif national en Argentine, ne sont autorisés que dans les cas où le Congrès ne peut pas agir ou n’a pas le temps de le faire.

Dans le cas présent, il s’agit d’une manœuvre antidémocratique et dictatoriale de la part du nouveau gouvernement droitier, au pouvoir depuis deux semaines. Le Congrès et les tribunaux peuvent invalider le DNU. Bien que, techniquement, les dispositions de ce décret n’entrent en vigueur que neuf jours après sa signature, Milei a insisté jeudi pour dire qu’elles étaient déjà en vigueur.

La DNU bénéficie du soutien de Wall Street, du Fonds monétaire international et des élites argentines.

Les 19 et 20 décembre ont marqué le 22e anniversaire des manifestations de masse qui ont secoué le pays en 2001, au cours d’une période de dépression économique et de chômage de masse, et où il y eut quarante tués aux mains de la police.

Pour marquer cet anniversaire, des milliers de travailleurs et de jeunes ont défilé à Buenos Aires et dans d’autres villes d’Argentine, protestant contre les mesures prises par Milei et contre la crise actuelle, qui combine inflation et sous-emploi massif — des conditions qui ont plongé près de la moitié de la population dans la pauvreté.

Avant que les rassemblements ne commencent, tôt dans la matinée de mercredi, le ministère de la Sécurité nationale avait activé une force gigantesque de police fédérale et de gendarmerie, ainsi que de police navale et aéroportuaire. Leur mission consistait à bloquer 20 points d’accès au centre-ville de Buenos Aires, ainsi que des parties de la ville même, prétendument pour garantir la liberté de circulation des voitures, camions et autobus dans la zone entourant le palais du gouvernement et le bâtiment du parlement argentin.

«S’ils quittent le trottoir, la répression commencera», a déclaré Patricia Bullrich, la ministre droitière de la Sécurité nommée par Milei. Les manifestants ont également été menacés de perdre leurs allocations et leurs droits s’ils étaient surpris à enfreindre ces règles antidémocratiques, qui prévoyaient encore l’interdiction de porter des masques, d’être avec des enfants et d’avoir des bâtons.

Ironiquement, c’est la police qui a entravé la circulation, bloquant les ponts et les routes et perturbant les transports en commun reliant les quartiers populaires aux centres-villes, en particulier dans l’agglomération de Buenos Aires, capitale et plus grande zone urbaine du pays. Les manifestations ont également été surveillées par des drones. L’accès à Avellaneda et à d’autres banlieues ouvrières a été restreint par des «groupes de combat» et des «escadrons de détention».

Le pont Pueyrredon, où en 2002 deux jeunes militants, Darío Santillán et Maximiliano Kosteki, ont été brutalement assassinés par la police au cours d’une manifestation, a été occupé par les forces de police militarisées. Les terminaux de transport en commun et les gares ferroviaires ont été patrouillés par des policiers accompagnés de chiens. La police est également montée à bord des bus de la ville et a pris des photos de leurs occupants. Depuis hier, 8.000 usagers des bus bénéficiant de prestations sociales ont été identifiés et risquent de perdre leurs allocations.

L’ensemble de l’opération a pris l’allure d’un exercice militaire, d’une préparation à de futurs actes de terreur organisée et de répression contre de la classe ouvrière.

Dans son discours de 15 minutes, Milei a imputé la crise actuelle au «nombre énorme de réglementations» qui bloqueraient le progrès économique. Ses nouvelles mesures visent à subordonner totalement l’État et la société argentine au «marché», c’est-à-dire aux ploutocraties de l’agriculture et de l’énergie, ainsi qu’aux fonds vautours profitant de la crise de la dette argentine. Les entreprises publiques doivent être privatisées. Le contrôle des prix et des loyers doit être démantelé, de même que les mesures permettant au gouvernement d’«interférer avec les décisions des entreprises argentines», comme la réglementation contre la pénurie de biens essentiels et la garantie que les supermarchés vendront un pourcentage minimum de produits fabriqués par des petites entreprises.

Le DNU prévoit également la suppression des réglementations sur les salaires et les heures de travail, ainsi que la fin des contrôles à l’exportation. Actuellement, les travailleurs non contractuels qui sont licenciés ont droit à un mois de salaire pour chaque année passée au travail; cette disposition est supprimée, ce qui permet aux employeurs de licencier facilement les travailleurs à leur guise. Le droit de grève sera sévèrement limité pour les «travailleurs essentiels», tout comme le droit de se réunir et d’organiser occupations d’usine ou grèves du zèle. Les contrôles des loyers d’habitation seront supprimés, donnant aux propriétaires le pouvoir sur la durée des locations, les indices de prix, la dénomination des devises (dollars américains, euros, etc.), les cautions et les frais d’entretien.

Au total, il s’agit d’une attaque directe contre la classe ouvrière. Il y a une semaine, une analyse des nouvelles propositions par le Centre argentin d’économie politique (CEPA) suggérait que la classe ouvrière paierait 43 pour cent du coût des politiques d’austérité de Milei. Une telle attaque ne peut être menée pacifiquement et est déjà comparée aux politiques dictatoriales du général Jorge Videla en Argentine et de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne.

Reprenant un langage similaire à celui de Donald Trump, qui promet de «rendre à l’Amérique sa grandeur», Milei a promis de ramener l’Argentine à son riche passé de la fin du 19e siècle, lorsque le revenu par habitant du pays était équivalent à celui des États-Unis. La nostalgie de Milei n’a rien à voir avec l’histoire réelle d’inégalité et d’oppression flagrante des travailleurs argentins ruraux et immigrés, des mineurs, dockers, charpentiers et cheminots qui ont lutté contre les conditions imposées par l’impérialisme britannique et les oligarchies rurales autochtones.

Après le discours de Milei, des centaines de manifestants se sont rassemblés en face d’un bâtiment du parlement lourdement barricadé, cherchant à faire pression sur les parlementaires par des chants s’opposant aux mesures du DNU et exigeant l’éviction de Milei.

Milei a réagi avec cynisme aux manifestations de mercredi soir, suggérant que ceux qui s’opposaient à son plan souffraient du syndrome de Stockholm (des otages qui s’identifient à leurs ravisseurs) ou étaient des «personnes qui aiment le communisme et en ont la nostalgie».

Les bureaucraties syndicales argentines socialement corrompues, qui ont trahi les luttes massives des travailleurs en 2001-2002, ont annoncé qu’elles feraient appel du DNU devant les tribunaux. Le Front de gauche (FIT) et d’autres partis et alliances de la pseudo-gauche et des nationalistes de gauche appellent ces mêmes syndicats à lancer une grève générale nationale, une autre recette pour une trahison.

Une banderole commune des marches et rassemblements ayant eu lieu dans toute l’Argentine le 20 décembre exprimait la solidarité avec les travailleurs palestiniens et le rejet du génocide commis à Gaza, une manifestation de la nature internationale des luttes en cette période.

La classe ouvrière argentine n’a pas d’autre choix que d’emprunter la voie de la lutte révolutionnaire. Les travailleurs doivent aller au-delà des appels vides à la bureaucratie syndicale et des grèves de protestation. La situation exige la formation de comités de travailleurs de la base indépendants pour unir les luttes des travailleurs argentins et de leurs homologues internationaux et pour préparer la lutte pour le pouvoir et l’instauration d’une société socialiste.

Cela exige une rupture complète et totale d’avec le péronisme, ses satellites de la pseudo-gauche et leur politique nationaliste petite-bourgeoise. La tâche essentielle à laquelle sont confrontés les travailleurs, en Argentine comme dans le monde, est la mise en place d’une direction révolutionnaire. Cela signifie la construction de Partis de l’égalité socialiste, de sections du Comité international de la Quatrième Internationale, pour établir l’indépendance politique de la classe ouvrière, armer ses luttes avec un programme socialiste et internationaliste, et mettre fin au capitalisme, source d’oppression, de fascisme et de guerre.

(Article paru d’abord en anglais le 23 décembre 2023)

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