Plus de dix jours après les ententes conclues par la plupart des syndicats du secteur public avec le gouvernement anti-ouvrier du Premier ministre québécois François Legault, la colère grandit parmi les 420.000 membres du Front commun intersyndical qui n’ont eu droit jusqu’ici qu’à quelques bribes.
Les dirigeants du Front commun font tout pour étouffer cette colère. Ils ont annoncé dimanche que les assemblées générales seront étalées sur cinq semaines, soit du 15 janvier au 19 février. Leur objectif est de dissiper l’opposition qui grandit face à des ententes tenues secrètes, car incompatibles avec les principales revendications des travailleurs.
En assemblée, les syndicats vont dévoiler uniquement les «faits saillants» sur les ententes, en présentant les concessions comme des «avancées», tout en cachant les reculs qu’ils ont acceptés. Ils vont organiser les votes soit le jour même de l’assemblée ou peu de temps après, ne laissant pas le temps nécessaire aux travailleurs pour analyser le contenu, discuter entre eux et questionner les chefs syndicaux.
Lors du point de presse de dimanche, les dirigeants du Front commun (FTQ, CSN, CSQ, APTS) ont donné quelques détails sur les hausses salariales de 17,4% sur 5 ans qu’ils avaient laissées fuiter quelques jours auparavant. Mais ils sont restés silencieux sur la question centrale: les concessions majeures qu’ils ont acceptées dans les conditions de travail, au nom de la «souplesse» exigée par Legault et sa Coalition Avenir Québec.
Marc Ranger, ancien président du Syndicat canadien de la fonction publique, a affirmé en entrevue à Radio-Canada: «La flexibilité, c’est drôle, on n’en a pas beaucoup entendu parler dans ce point de presse-là, mais c'est ça qui va faire le plus réagir en assemblée ». Ranger sait de quoi il parle, ayant lui-même facilité l’imposition d’importants reculs aux travailleurs municipaux lorsqu’il était à la tête du SCFP.
Les conditions de travail insupportables sont l’un des principaux facteurs ayant poussé les 600.000 travailleurs du secteur public à voter à 95% en faveur d’une grève générale illimitée. Mais tout indique que l’entente conclue par les syndicats va empirer ces conditions, poussant encore plus de travailleurs à quitter le réseau public. Et ce, dans un contexte où les taux d’occupation aux urgences atteignent des sommets, résultat des décennies de coupes budgétaires des gouvernements péquistes et libéraux précédents, et de la politique des «profits avant la vie» du gouvernement Legault pendant la pandémie.
Même les propositions salariales représentent un net recul par rapport à la demande syndicale de départ (et nettement insuffisante) de 21% sur 3 ans. En plus d’avoir offert à Legault un contrat de 5 ans, la hausse suggérée est en fait inférieure aux prévisions d’inflation de plus de 18% du gouvernement. Elle ne constitue aucunement le «rattrapage» promis par les syndicats après décennies d’appauvrissement pour les travailleurs. Les syndicats se vantent d’avoir obtenu «la plus grande augmentation de salaire annuelle depuis des dizaines d’années», mais ne mentionnent pas que les travailleurs ont subi une baisse continuelle de leurs salaires réels sur des décennies et que les dernières années ont vu une montée record de l’inflation et des taux d’intérêt.
Pour ce qui est de la soi-disant protection du pouvoir d’achat et l’indexation à l’indice des prix à la consommation (IPC) tant promise par le Front commun, c’est encore de la poudre aux yeux. Il n’y aurait aucune indexation pour les deux premières années du contrat, et celle-ci serait plafonnée à 1% pour les 3 dernières années. Ainsi, si l’inflation monte à un peu plus de 3,5%, dépendamment de l’année, les travailleurs subiront un appauvrissement immédiat.
Les autres mesures limitées – et généralement floues – qui ont été annoncées ne représentent en rien des «gains» réels. Il y aurait, par exemple, des primes d’attraction pour certains corps d’emploi, comme les ouvriers spécialisés et les psychologues, mais conditionnelles à certains critères. Sans réellement améliorer les services, cette mesure est plutôt le strict minimum pour tenter de freiner l’exode de ces travailleurs vers le secteur privé qui offre des salaires et conditions plus concurrentiels.
Pour ce qui est de la bonification des «contributions de l’employeur pour l’assurance maladie», elle ne vaut rien considérant que, selon les syndicats eux-mêmes, les primes d’assurance devraient augmenter massivement dans les prochaines années. Enfin, au niveau des retraites, le syndicat se joint au gouvernement pour garder les travailleurs à l’emploi plus longtemps pour contrer la pénurie de main-d’œuvre en leur permettant de cotiser au RREGOP jusqu’à l’âge de 71 ans.
Le caractère réactionnaire des ententes est confirmé de la bouche du patronat lui-même, qui se réjouit de leur contenu. «Les ententes de principe auxquelles nous sommes parvenus sont responsables, équilibrées et en adéquation avec la volonté des Québécois», a déclaré la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel.
Le gouvernement est impatient de mettre un terme au conflit de travail pour pouvoir aller de l’avant avec son programme de coupes sociales et le saccage des services publics. Legault a fait adopter, en pleine négociation, le projet de loi 15, une restructuration majeure du réseau de la santé dirigée par des «top gun» du milieu des affaires. L’adoption du PL15, qui vise à privatiser encore plus les soins et attaquer les droits des travailleurs, a été rendue possible grâce à la complicité des syndicats, qui ont délibérément séparé cet enjeu des négociations collectives et qui s’apprêtent à ligoter les travailleurs avec une convention de 5 ans sans droit de grève.
Les syndicats savent très bien que les ententes sont mauvaises et qu’elles rencontreront une vive opposition parmi les travailleurs. C’est ce qu’a reconnu Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ): «Est-ce que tout est parfait ? La réponse est non». Gingras a dit qu’il appuyait l’offre, mais n’a pas osé dire qu’il la recommanderait ouvertement. Pour sa part, la présidente de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Magali Picard, a affirmé qu’elle la recommanderait.
Il y a une division du travail parmi les chefs syndicaux pour faire passer les ententes. Certains vont les vanter haut et fort, alors que d’autres, comme Gingras, vont garder une certaine distance par rapport aux ententes pour ne pas perdre la face en cas de rejet par les membres, tout en se laissant une marge pour manœuvrer pour la suite. Dans tous les cas, ils misent sur la division des travailleurs, la duperie et les demi-vérités, l’essoufflement du mouvement et les menaces de loi spéciale pour forcer les travailleurs à accepter les reculs.
À la question d’un journaliste à savoir si les syndicats allaient lancer une grève générale illimitée si les travailleurs rejetaient les offres, les chefs syndicaux ont dit que «c’est peu probable».
Pendant que les chefs syndicaux parlent de la lutte comme une chose du passé afin de démobiliser les membres, une importante opposition gagne du terrain parmi les travailleurs.
Dimanche dernier, le Comité de base de coordination des travailleurs du secteur public, soutenu par le WSWS, a tenu une réunion avec succès pour mobiliser les travailleurs opposés aux ententes de trahison. Une importante résolution, qui avance une tout autre perspective, basée sur la mobilisation politique de toute la classe ouvrière, a été adoptée à forte majorité. Elle se lit en partie comme suit:
* Cette réunion exige la divulgation immédiate et complète des ententes pour donner aux membres de la base assez de temps pour analyser, échanger et questionner.
* Cette réunion s’engage à tout faire pour mobiliser l’appui populaire massif dont jouissent les travailleurs du secteur public, en passant par-dessus la tête des syndicats qui sont en connivence avec le gouvernement.
* La menace d’une loi spéciale souligne la nécessité de mener notre lutte sur une base radicalement différente en tant que lutte politique des travailleurs.
* Il faut l’élargir et l’étendre au reste de la classe ouvrière – pas juste dans la province, mais dans tout le Canada – afin d’en faire un défi explicite au programme d’austérité et de guerre de la classe dirigeante.
* Pour ce faire, il faut intensifier le travail de ce comité de coordination afin de construire un réseau de comités de base, indépendants des appareils syndicaux. Sa tâche sera de préparer une contre-offensive ouvrière pour la défense des conditions de travail et des services publics de tous.