«Il est important de soutenir les grévistes et non l’appareil syndical!»

Les conducteurs de train allemands demandent l’extension de leur grève

Le 26 janvier, des reporters du World Socialist Web Site – WSWS ont parlé avec des conducteurs de train en grève sur les lignes longue distance de la société allemande des chemins de fer Deutsche Bahn (DB) et sur le réseau régional S-Bahn de Berlin. Alors que le syndicat GDL des conducteurs de train a déjà fait marche arrière sur ses revendications antérieures et veut empêcher une mobilisation plus large, les travailleurs de la base appellent justement à une telle extension de la lutte politique.

La grève des conducteurs de train a lieu au milieu des ‘grèves d’avertissement’ dans les transports, du soulèvement international des agriculteurs et des manifestations de masse contre le fascisme et la guerre. Les attaques contre lesquelles elle est dirigée — baisse des salaires réels, destruction d’emplois, conditions de travail intolérables et coupes sociales — touchent tous les travailleurs. Le WSWS appelle donc tous les travailleurs à soutenir la grève des chemins de fer et à mettre en place des comités d’action pour l’étendre à leur lieu de travail.

Plusieurs conducteurs de train ont décrit leurs conditions de travail aux journalistes du WSWS, et certains ont explicitement appelé à une large mobilisation contre la politique droitière du gouvernement de coalition.

Pierre (à gauche) avec ses collègues

«Il faut réduire les heures de travail», a déclaré Pierre, qui a terminé son apprentissage à la DB il y a trois ans. «J’ai normalement une semaine de cinq ou six jours, avec des équipes de 10 heures, voire 12 heures si je suis dans l’équipe de jour. Parfois, on termine son travail d’un côté de la ville et on doit se débrouiller pour aller à l’autre bout de la ville au milieu de la nuit. Tout cela prend du temps en plus et représente une énorme pression ».

« Il faut adapter son rythme de sommeil aux horaires des équipes», poursuit-il. «Dans les moments où tout le monde est au repos, il faut soit dormir, soit travailler. Les horaires de travail sont aussi pénibles dans le transport de passagers que dans celui des marchandises. Nous aurions certainement besoin de 20 pour cent de personnel en plus pour pouvoir planifier les horaires comme il se doit et permettre aux collègues qui en ont besoin d’avoir des congés».

Pierre explique que la situation de la DB est liée au projet du gouvernement, il y a 25 ans, de l'introduire en bourse. Il ajoute: « C'était une décision politique. Nous en voyons aujourd'hui les conséquences pour le personnel, les passagers et l'infrastructure; c'est un échec retentissant pour nous. L'infrastructure appartient à l'État et doit être gérée par lui. » Il ajoute que la direction n’a aucune compréhension pour les salariés. « Il devrait y avoir au conseil d'administration des gens qui ont eux-mêmes travaillé dans ce système pendant des années et qui comprennent ce que fait la main-d'œuvre à l'extérieur et ce dont elle a besoin – les agents de bord, les conducteurs de train, le personnel de restauration à bord, les personnes travaillant à l’atelier. Mais l’équipe actuelle de direction n'est pas du tout accessible pour nous, ceux d’en bas ».

Pierre est dégoûté par la couverture médiatique partiale: « Quand on fait grève, les médias disent qu’on prend les gens en otage ». Il poursuit: « On dépend de la solidarité de la société. Tous les travailleurs et les 'classes moyennes' devraient se serrer les coudes. Malheureusement, les grèves générales politiques ne sont pas autorisées en Allemagne. Sinon, on pourrait organiser des manifestations avec la BVG [transports berlinois], les routiers et les agriculteurs. Le pays serait alors paralysé pendant quelques jours, et ce serait le bon signal à envoyer. Si ce n’était pas interdit, d'autres secteurs s'y joindraient. Les gens n'ont plus les moyens de vivre comme il y a quelques années à cause de l'inflation et des impôts élevés.

Jeunes cheminots en grève, Berlin Ostbahnhof, 26 janvier 2024

Michael déclare: «Selon mon contrat, j’ai une semaine de 39 heures, mais il m’arrive de travailler 60 à 65 heures par semaine. Le seul jour de libre qu’on a, on rattrape le sommeil, on fait la lessive et la nouvelle semaine commence. Les politiciens parlent de transformation des transports, mais il y a une pénurie de jeunes, et nous roulons sur des rails de l’époque impériale. Si ces “fondamentaux” ne sont pas corrects, vous pouvez oublier la révolution des transports. On ne construit pas une maison sur des sables mouvants. Réalistes seraient des transports transformés en 2100. Ce que la DB pourrait nous donner comme augmentation de salaire sera englouti par l’inflation».

Michael souligne des contradictions politiques flagrantes: «Le gouvernement fédéral est propriétaire de la DB. Mais il n’est manifestement pas voulu, d’un point de vue politique, que le transport passe de la voiture au rail. Il n’y a pas de ligne ferroviaire de construite et les conditions de travail sont encore pires qu’avant. Pannes de refroidissement, germes dans les réservoirs d’eau, plus de techniciens à bord. Autrefois, on faisait le trajet Hambourg-Berlin en 90 minutes avec une locomotive à vapeur. Aujourd’hui, on a besoin de plus de deux heures pour la même distance. L’ICE-4, le “fleuron des chemins de fer allemands”, a été mis sur les rails il y a seulement sept ans, et aujourd’hui les premiers sont déjà hors d’état».

Une accompagnatrice de train ajoute qu’elle est témoin de la misère: «Si les passagers n’éteignent pas correctement leurs cigarettes, des incendies peuvent se déclarer. Parfois, il y a des coups de couteau. Avant, nous étions quatre, mais aujourd’hui, il arrive qu’un chef de train et un accompagnateur doivent s’occuper de 14 wagons. Ce n’est pas possible, il n’y a pas de sécurité. Je ne suis pas descendu à 39 heures par semaine pendant trois mois; 55 ou 52 heures par semaine, c’est tout à fait normal. Il ne s’agit pas seulement de gagner plus d’argent, il s’agit de nos conditions de travail. Beaucoup ont une famille et des enfants, mais on n’est pas à la maison deux ou trois nuits par semaine.

Michael ajoute: «Nous conduisons moins en hiver, mais à la fin de l’année, on se retrouve rapidement avec 300 heures supplémentaires. Nous n’avons pas l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée que DB annonce. Je n’ai pas eu de vie privée ces sept dernières années».

Uwe (au centre à gauche) avec des collègues devant le siège de la grève

Uwe est conducteur de train pour la S-Bahn de Berlin, il a deux enfants et est membre du GDL. Il soutient la proposition du WSWS de mobiliser la classe ouvrière en faveur des conducteurs de train et de briser les divisions entretenues par les syndicats.

Uwe déclare: «C’est important de soutenir les grévistes et non l’appareil syndical. Ici, les gens participent à la grève pour différentes raisons. Il ne s’agit pas nécessairement de la prétendue «semaine de 35 heures» de la GDL [qui est payée avec 12 jours de vacances], mais des conditions de travail, de la séquence des équipes et de leur contenu. Ces éléments sont plus urgents que certaines des demandes que la GDL met à l’ordre du jour.

«Une pause de 48 heures après cinq équipes [comme le demande la GDL] n’est pas la même chose qu’un week-end de congé du vendredi soir au lundi matin. Mais même cela serait très important pour nous, conducteurs de train. Chaque période de repos est extrêmement importante. Aujourd’hui, même les superviseurs dans les gares ont été supprimés, et à présent c’est le conducteur qui s’occupe de la préparation des trains et des rapports sur les dégâts. De nombreux temps d’arrêt et de repos ont été supprimés, si bien qu’on n’a même plus le temps de fumer une cigarette. De nombreux reconvertis — nous avons d’anciens ingénieurs, pilotes, coiffeurs — ne supportent pas la pression du travail et fuient à nouveau de la profession. Les «anciens» peuvent supporter la pression parce qu’elle a augmenté progressivement. Mais cela attaque leur santé ».

«Ces questions devraient vraiment être la responsabilité du syndicat. C’est pourquoi je fais la différence entre les grévistes et l’appareil. Aujourd’hui, un collègue m’a montré une photo sur laquelle [le dirigeant de la GDL] Klaus Weselsky discute amicalement avec le porte-parole de la politique des transports de l’AfD [le parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne]. Rien d’étonnant, on pourrait même dire que la GDL est l’AfD parmi les syndicats. parle de solidarité, mais ne se montre pas solidaire des membres de l’EVG [principal syndicat des chemins de fer]. Elle parle de solidarité, mais n’est pas solidaire du personnel infirmier en grève. Elle parle de solidarité, mais finalement, elle entend par là juste avec elle-même et avec le dbb [syndicat de la fonction publique], qui fournit les fonds de grève. Il n’y a pas non plus de discussion sur les décisions et la stratégie de la grève dans les comités de grève.

«La GDL se montre populiste et parle contre la direction de la DB, mais ne remet pas en cause le système ni les causes qu’il y a derrière. Weselsky ne qualifie pas d’échec la privatisation des chemins de fer. Avec “Fairtrain”, la GDL a créé la société de continuation que la DB peut utiliser pour abandonner le fret et le privatiser. Une telle mesure doit quand même être discutée démocratiquement au préalable».

Uwe a déjà formé un réseau de collègues cheminots pour briser la division des travailleurs en fonction de leur affiliation syndicale.

Il ajoute: «Pourquoi n’y a-t-il pas de grèves de solidarité de la GDL avec d’autres sociétés de transport privatisées? De nombreux membres de l’EVG sont solidaires avec nous, mais pas l’exécutif de l’EVG. En tant que travailleur, je ne comprends pas cette division. Nous devons la critiquer et créer des perspectives sur la manière dont elle peut fonctionner. Nous devons reléguer l’adhésion à un syndicat au second plan: nous sommes avant tout des salariés. Nous devons améliorer notre situation en tant que travailleurs en général. Cela s’applique également aux personnes qui travaillent dans les bureaux de la DB.

Uwe a également souligné la nécessité pour les travailleurs de s’engager politiquement et de lutter contre la politique de guerre du gouvernement:

«L’année dernière, notre groupe local a adopté une résolution selon laquelle tous les cheminots ont le droit contractuel de refuser de manipuler des cargaisons de matériel militaire et de munitions. Les travailleurs ne veulent pas soutenir des guerres menées pour des intérêts capitalistes. Il y aura aussi des luttes dirigées contre les intérêts capitalistes, mais les guerres actuelles sont des guerres du capitalisme. Pourquoi cette question n’est-elle pas abordée ici»?

«C’est pourquoi je suis solidaire des grévistes et non de l’appareil. Je ne veux pas d’un syndicat de “partenariat social” parce qu’il ne peut pas y avoir de partenariat. Les intérêts des travailleurs ne sont tout simplement pas les mêmes. S’il y a un partenariat avec l’entreprise, il n’y a pas de représentation des travailleurs et de leurs droits — cela s’exclut mutuellement».

«Chacun a des raisons de participer à la grève, mais l’identification à l’organisation disparaît de plus en plus. C’est également le cas dans d’autres secteurs. On doit créer des perspectives sur la manière dont nous, les travailleurs, pouvons nous rassembler, présenter nos revendications et faire grève ».

Les bureaucraties syndicales tentent d’empêcher une discussion plus large sur les perspectives de la lutte et n’hésitent pas à recourir à la censure. Jeudi 25 janvier à Nuremberg, par exemple, la GDL a tenté d’interdire ou de confisquer des tracts du World Socialist Web Site avec cet appel: «Soutenez la grève des conducteurs de train».

La prochaine réunion en ligne du Comité d’action pour les chemins de fer aura lieu le mardi 30 janvier à 19h00. Participez et invitez vos amis et collègues! Prenez contact avec nous pour commencer à constituer un comité d’action. Envoyez un message WhatsApp à +491633378340.

(Article paru d’abord en anglais le 29 janvier 2024)

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