Le président mexicain dénonce l'ingérence électorale après que des responsables américains ont affirmé qu'il avait reçu de l'argent du cartel de la drogue

Trois articles distincts publiés simultanément mardi affirment que la campagne de 2006 du président mexicain Andres Manuel López Obrador, connu sous le nom d'AMLO, a reçu des millions de dollars du cartel de Sinaloa.

Le président Joe Biden avec le président mexicain Andrés Manuel López Obrador le 9 janvier 2023, au balcon du Palais national de Mexico [Photo: White House/Adam Schultz]

López Obrador, qui a perdu les élections de 2006 et de 2012 probablement en raison de fraudes avant d'être élu en 2018, a nié ces allégations mercredi. Identifiant ces informations comme un effort coordonné visant à le «calomnier» et à s'ingérer dans les élections législatives du 2 juin, il a déclaré: «Je n’attaque pas les journalistes; je n’attaque pas les médias. Je dénonce le gouvernement des États-Unis qui autorise ces pratiques immorales. »

Les articles des journalistes d'investigation Tim Golden pour ProPublica, Anabel Hernández pour le site allemand DW et Steven Dudley pour InsightCrime ne diffèrent que par les détails.

Comme sources, Golden et Dudley citent l'Agence américaine de lutte contre la drogue (DEA) et des responsables du gouvernement mexicain, tandis que Hernández dit qu'elle a parlé à «un membre de l'équipe d'AMLO et un membre du cartel de Sinaloa». Hernández, en particulier, a une longue histoire de révélations sur cette question, fondées sur des sources internes confirmées par la suite, notamment pour ce qui est du cas de l'ancien chef de la sécurité Genaro García Luna, reconnu coupable à New York en février dernier d'avoir empoché des millions de dollars provenant du cartel de Sinaloa.

Les accusations et les preuves citées, bien que non présentées, sont crédibles étant donné les nombreuses fois où López Obrador et des membres de son parti ont ouvertement indiqué leurs liens avec le cartel de Sinaloa. Par exemple, en novembre dernier, AMLO s'est inexplicablement rendu dans la petite ville de Badiraguato, lieu de naissance des barons de la drogue «Chapo» Guzmán et Caro Quintero, ainsi que du cartel de Sinaloa, pour la sixième fois. Il s'était embrassé en public et avait reconnu être en communication avec la mère de Guzmán, récemment décédée.

Mais compte tenu de leur timing et de leurs sources, ces reportages font sans aucun doute partie d’un effort de l’État américain visant à pousser davantage la politique mexicaine vers la droite. Ils jouent contre la candidate à la présidence choisie par AMLO, Claudia Sheinbaum, et font pression sur le gouvernement mexicain dans son ensemble pour qu'il suive encore plus docilement la ligne de l'impérialisme américain.

Golden, dont l'article peut être lu comme un témoignage de responsables de la DEA, dénonce directement les restrictions imposées par AMLO aux opérations des forces de l'ordre américaines au Mexique et critique également la prétendue indulgence de Biden envers AMLO.

Les articles ont également été publiés un jour après que López Obrador ait dénoncé comme «démagogique» et inacceptable la menace de Joe Biden de «fermer» la frontière américano-mexicaine en échange du soutien par les républicains au Congrès du financement pour la guerre contre la Russie en Ukraine et pour le génocide israélien à Gaza. Donald Trump, pour sa part, a demandé des «plans de bataille» pour envahir le Mexique et combattre les cartels s’il est réélu président.

Les reportages sont basés sur une enquête menée en 2010 et 2011 par le tribunal américain du district sud de New York et la DEA.

Roberto López Nájera, l'avocat du trafiquant d'origine américaine Edgar Valdéz Villarreal, alias «La Barbie», devint un agent de la DEA en 2008, prétendument pour se venger de la disparition de son frère. Deux ans plus tard, Nájera a déclaré à des agents qu'il avait participé à une réunion en janvier 2006 avec deux hommes d'affaires à Durango, dans le nord du Mexique, qui avaient demandé de l'argent pour la campagne présidentielle d'AMLO, alors candidat du Parti pour la révolution démocratique (PRD). Les hommes d'affaires ont déclaré qu’AMLO était au courant de la réunion et l'avait approuvée.

Nájera fut ensuite présenté à Mauricio Soto Caballero, un autre homme d'affaires qui travaillait avec Nicolás Mollinedo, chauffeur d'AMLO et chef de la logistique de la campagne. En trois livraisons, «La Barbie», qui opérait à l'époque pour le cartel de Sinaloa, donna 2 millions de dollars à la campagne, en plus de gros dons pour les rassemblements à Durango, vraisemblablement par l'intermédiaire de Soto Caballero et Mollinedo.

Alors que Golden indique qu'il n'est pas clair si AMLO était au courant des dons, Hernández affirme que le jour du dernier rassemblement électoral en 2006, «selon le gouvernement américain», AMLO avait parlé au téléphone à «La Barbie» et l'avait remercié pour l’argent.

Soto sera plus tard trompé par la DEA pour qu'il devienne un informateur et a probablement enregistré Mollinedo avouant les dons. La DEA allait plus tard utiliser Soto dans une opération d'infiltration plus vaste pour prouver la complicité de la campagne d'AMLO, mais le ministère de la Justice a mis fin à l'enquête en affirmant qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour la justifier. À l’époque, l’administration Obama était confrontée aux conséquences de l’opération d’infiltration «Fast and Furious» menée par la DEA, qui avait remis un énorme arsenal d’armes aux cartels.

En mai 2012, après son extradition vers les États-Unis, le lieutenant de «La Barbie» a confirmé aux agents les dons à la campagne d'AMLO.

Mollinedo nie les dons et a quitté l'équipe d'AMLO après la campagne présidentielle de 2012. Soto Caballero a été soumis à une période de probation et libéré par le tribunal de district américain du sud de New York. Il a ensuite travaillé pour la campagne d'AMLO en 2012 et est actuellement membre du Congrès représentant le parti Morena d'AMLO.

Anabel Hernández souligne que l'affaire aurait pu être rouverte en 2020, lorsque l'ancien secrétaire mexicain à la Défense, le général Salvador Cienfuegos, a été arrêté aux États-Unis et inculpé de trafic de drogue et de blanchiment d'argent sur la base de nombreuses preuves portant sur son aide à une faction du cartel Beltrán Leyva. Cependant, López Obrador a convaincu le président de l'époque, Donald Trump, de rendre Cienfuegos et de clore le procès, bloquant ainsi la possibilité d'une enquête sur la campagne de 2016.

Les liens entre les cartels et l’administration AMLO démontrent que le renforcement militaire en cours ne vise pas à lutter contre les trafiquants de drogue, mais à renforcer l’appareil répressif de l’État contre la classe ouvrière.

Après que les promesses de renvoyer les troupes dans leurs casernes aient aidé AMLO à être élu en 2018, son gouvernement a inscrit dans la Constitution leur déploiement pour des interventions à l’intérieur, affirmant qu’il était nécessaire de «lutter contre la violence». Cependant, durant ses quatre premières années et demie au pouvoir, il y a eu plus de 160 000 homicides, soit plus que dans n'importe quelle période de six ans depuis le début des données en 1994, principalement liés à des conflits entre bandes criminelles.

Plus généralement, tous les gouvernements mexicains depuis les années 1990 ont été accusés d'être de mèche avec les cartels, qui fonctionnent comme des conglomérats commerciaux multinationaux dirigés par des milliardaires. Ces relations ne sont devenues qu’un instrument parmi d’autres du pouvoir bourgeois. Les cartels et les gangs importants se sont adaptés aux moyens traditionnels consistant à acheter des politiciens et à contrôler la politique par le biais du financement de campagnes électorales, de pots-de-vin et d’opportunités commerciales. De plus, la classe dirigeante dans son ensemble règne finalement par la violence et exploite les accablantes conditions de pauvreté, d’emplois non-déclarés et de chômage qui sont essentiels pour maintenir une main-d’œuvre bon marché et des taux de bénéfices élevés. 

Même affirmer que les cartels recourent à l’assassinat comme moyen de coercition plus souvent que d’autres segments de la classe dirigeante peut être remis en question. Depuis plus d’un siècle, l’impérialisme américain emploie – par l’intermédiaire de substituts formés et financés par les États-Unis ou directement par le Pentagone – les méthodes de contrôle semi-colonial les plus brutales, comme les invasions, les coups d’État sanglants, les massacres et la torture à travers les Amériques.

Aujourd’hui, par son soutien unanime au génocide américano-sioniste à Gaza, l’ensemble de la classe dirigeante américaine a adopté un degré de barbarie qui éclipse celui de n’importe quel cartel.

Malgré les morts en masse dues aux bandes criminelles du Mexique, c’est la politique d'AMLO, d’intégration de l'économie et de la société mexicaines aux plans de guerre mondiale des États-Unis et de l'OTAN contre la Russie et la Chine, des puissances nucléaires, qui représente la plus grande menace pour la sécurité des travailleurs au Mexique.

De surcroît, en raison de la politique criminelle consistant à faire passer les profits avant les vies et à rouvrir les usines des principaux fournisseurs des trusts américains, AMLO a supervisé une surmortalité de plus de 600 000 personnes au cours des deux premières années de la pandémie de COVID-19.

La sécurité des travailleurs et de leurs familles ne repose pas sur le renforcement de l’armée ni sur celui des liens avec l’impérialisme américain. Au contraire, elle ne peut être réalisée que par une lutte politique internationale contre tous les partis bourgeois et contre l’impérialisme, visant à démanteler tout entier l’appareil politique d’exploitation et de répression de la classe capitaliste.

(Article paru en anglais le 2 février 2024)

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