Zelensky confirme qu’il prépare une purge dans l'armée ukrainienne

Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy, au centre, lors de sa visite dans la région de Zaporizhzhia, en Ukraine, où de violents combats ont lieu avec les troupes russes, le dimanche 4 février 2024. [AP Photo/Office of the President of Ukraine]

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a confirmé dimanche dans une interview à la chaîne de télévision italienne RAI qu’il prévoyait une purge générale des hauts responsables de l’armée ukrainienne. Il a donné cette interview quelques jours seulement après une réunion au cours de laquelle le général Valery Zaluzhny aurait refusé de quitter son poste de commandant en chef de l’armée ukrainienne et d’accepter un poste moins important.

Des informations sur le limogeage de Zaluzhny sont apparues pour la première fois au début de la semaine dernière, puis ont été rapidement démenties par les représentants du gouvernement Zelensky à la suite d’un tollé sur les médias sociaux ukrainiens de droite, qui considèrent Zaluzhny comme le «sauveur» de la nation. Interrogé par la RAI sur les informations persistantes sur un licenciement imminent de Zaluzhny, Zelensky a répondu qu’un «nouveau départ était nécessaire» et que le peuple ukrainien souhaitait «une remise à plat».

Zelensky a ensuite étayé les informations selon lesquelles le licenciement de Zaluzhny ferait partie d’une purge plus large menée par lui tant au niveau des hauts responsables militaires qu’au sein du gouvernement ukrainien.

«J’ai quelque chose de sérieux en tête, qui ne concerne pas une seule personne, mais la direction du pays», a déclaré Zelensky. Cette «remise à plat» comporterait «le remplacement d’une série de dirigeants de l’État, et pas seulement dans un seul secteur comme l’armée».

Dans l’interview, Zelensky a également admis tardivement que la guerre était désormais dans une «impasse» ; cela, alors qu’il avait critiqué Zaluzhny pour avoir qualifié la guerre de la sorte dans le journal The Economist début novembre. «En ce qui concerne la guerre sur le terrain, il y a une impasse, c’est un fait», a-t-il déclaré. Et comme c’est l’habitude de la classe dirigeante ukrainienne, il a ensuite imputé les revers de la guerre à l’insuffisance du soutien militaire occidental: «Il y a eu des retards dans l’équipement, et les retards sont synonymes d’erreurs».

L’interview à la RAI avait été précédée d’un article du Washington Post vendredi, indiquant que Zelensky avait informé le gouvernement Biden de son intention de licencier Zaluzhny avant la réunion de lundi. Des responsables anonymes «familiers de la discussion» ont affirmé que le gouvernement Biden n’avait « ni soutenu ni objecté à cette décision aux enjeux considérables». Mais vu les plus de 75 milliards de dollars d’aide militaire américaine envoyés à l’Ukraine depuis le début de la guerre en février 2022, un tel désintérêt feint ne peut être pris pour argent comptant. La semaine dernière, un reportage de la BBC Ukraine a affirmé que des responsables occidentaux étaient intervenus directement pour empêcher le licenciement de Zaluzhny.

Comme l’a lui-même rapporté le Washington Post en octobre 2023, Zaluzhny entretient des liens très étroits avec le général à la retraite Mark Milley, l’ex-chef d’état-major interarmées du gouvernement Trump puis du gouvernement Biden (en fonction de 2019 à septembre 2023) qui s’entretenait avec Zaluzhny pendant des heures lors d’appels réguliers après le déclenchement de la guerre. Zaluzhny est également connu pour entretenir des relations étroites avec l’extrême droite du pays et est un admirateur avoué du leader fasciste ukrainien de l’ère nazie Stepan Bandera.

Peu après sa tentative d’éviction par Zelensky, Zaluzhny a publié un article d’opinion sur CNN dans lequel il écrit que l’Ukraine doit «faire face à une réduction du soutien militaire de la part de ses principaux alliés». Il y préconise une nouvelle «vision stratégique» de la guerre, qui devait inclure des «moyens de haute technologie» pour l’armée et des moyens de «réduire les capacités économiques de l’ennemi, de l’isoler ou de l’épuiser».

La lutte et la purge au sein du haut commandement militaire s’étendent déjà au-delà de Zaluzhny.

Lundi dernier, le média ukrainien Ukrainska Pravda rapportait qu’en plus de renvoyer Zaluzhny, Zelensky prévoyait également de limoger le chef d’état-major, le général Sergey Shaptala. Au milieu de ces annonces, Zaluzhny a publié sur Facebook une photo de lui et de Shaptala lui souhaitant un joyeux anniversaire. «Nous avons encore un chemin très difficile à parcourir, mais nous pouvons être sûrs que nous n’aurons jamais honte», a écrit Zaluzhny de manière énigmatique. Le même jour, Yuliia Laputina, ministre ukrainienne des Anciens Combattants, a présenté sa démission à Zelensky.

Les raisons exactes du conflit acerbe opposant Zaluzhny et Zelensky ne sont pas claires et les informations sur leurs divergences sont contradictoires. Vendredi, le journaliste d’investigation chevronné Seymour Hersh a rapporté que Zelensky avait l’intention de licencier Zaluzhny en raison de sa participation à des discussions secrètes avec des responsables américains et occidentaux sur la négociation d’un cessez-le-feu avec la Russie. Hersh a cité ainsi un responsable: «Bien sûr, Zelensky savait que Zaluzhny traitait avec l’Occident. Mais Zelensky sera un mort-vivant face à l’armée, qui est en faveur du général. Il va avoir une mutinerie sur les bras».

En revanche, le Washington Post rapporte que c’est Zaluzhny qui a fait pression sur Zelensky pour qu’il enrôle un demi-million d’hommes supplémentaires dans l’armée. En fait, c’est ce que Zelensky a affirmé lorsqu’il a annoncé le nouveau cycle de mobilisation, mais Zaluzhny a publiquement démenti cette affirmation. Selon le Post, «lors d’une réunion tendue lundi, Zaluzhny a fait valoir que de nouvelles recrues étaient nécessaires pour gagner du terrain sur le champ de bataille face à la puissance de feu et aux effectifs supérieurs de la Russie, ont déclaré des personnes au fait de la conversation. L’Ukraine doit également se préparer à des pertes de personnel, qui devraient être comparables à celles de l’année dernière, a-t-il déclaré».

Le conflit entre les hauts responsables de l’armée et le gouvernement Zelensky a lieu dans un contexte de grave crise militaire, politique et économique. Au cours des deux dernières années de guerre, l’Ukraine a perdu au moins 400.000 hommes sur le champ de bataille, soit l’équivalent d’environ 1 pour cent de sa population d’avant-guerre. Beaucoup d’autres ont été blessés, et nombre d’entre eux sont restés infirmes. Quant aux gains territoriaux, en particulier ceux de la contre-offensive de 2023 soutenue par l’OTAN, qui a coûté des milliards de dollars et au moins 125.000 vies, ils ont été minimes. Outre les pertes considérables en vies humaines, les travailleurs ukrainiens sont frappés par l’inflation. Depuis octobre, les familles et amis des soldats organisent des manifestations pour exiger leur retour du front, signe initial mais significatif d’un sentiment anti-guerre croissant dans la population.

À présent, le gouvernement ukrainien recrute un demi-million d’hommes supplémentaires dans l'armée, tandis que celle-ci et le renseignement militaire ont lancé des frappes dans les profondeurs du territoire russe. Pendant ce temps, rien n’indique que la situation sur le champ de bataille évolue en faveur de l’Ukraine et de son armée équipée par l'OTAN.

Dimanche, des journalistes ukrainiens ont rapporté que les forces russes continuaient à prendre le dessus dans la ville d’Avdiivka, d’importance stratégique. Le contrôle de cette ville par Kiev donne à l’armée ukrainienne la possibilité de bombarder la ville très peuplée de Donetsk et de tenter de «reprendre» ce centre contrôlé par les séparatistes appuyés par la Russie depuis le coup d’État de 2014 soutenu par l’OTAN et dirigé contre le président élu Viktor Yanukovych.

Toutefois, selon le journaliste de guerre ukrainien Yuroy Butusov, qui entretient des liens avec des groupes armés d’extrême droite, les forces ukrainiennes continuent de manquer de munitions dans la bataille pour la ville. «Avdiivka a besoin de nouvelles réserves et de la rotation des unités de l’héroïque 110e brigade, qui maintient le contrôle malgré l’épuisement absolu après presque deux ans de combats continus dans la ville», a-t-il écrit sur Telegram dimanche. «Nous avons également besoin de munitions, car les réserves sont extrêmement faibles et l’ennemi a une grande supériorité en matière de munitions».

Le jour même où ces informations arrivaient depuis Avdiivka, Zelensky visitait la 65e brigade mécanisée ukrainienne près de la ville de Robotyne (Oblast de Zaporizhzhia), sur la ligne de front, dans le cadre d’une tournée très publique visant à obtenir du soutien parmi les soldats ukrainiens.

Robotyne est l’une des rares villes de quelque importance prises par l’Ukraine en août dernier lors d’une contre-offensive de printemps et d’été ratée qui a coûté la vie à quelque 125.000 personnes en quelques mois. À cette occasion, Zelensky a remis à des troupes des croix du mérite militaire, une distinction présidentielle récompensant les soldats pour leur bravoure personnelle et leur courage au cours de missions de combat.

Indiquant qu’il a l’intention de faire que les soldats ukrainiens continuent à se battre dans la guerre par procuration de l’OTAN, Zelensky a tenté de motiver ses forces en prononçant un discours inspirant. «Je suis très honoré d’être ici aujourd’hui, de vous soutenir et de vous remettre des récompenses. Une mission tellement difficile et décisive repose sur vos épaules: repousser l’ennemi et gagner cette guerre. Je vous souhaite cette victoire. Je souhaite faire tout ce qui est en mon pouvoir pour accélérer cette victoire», a déclaré Zelensky.

(Article paru en anglais le 7 février 2024)

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