Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, a déclaré le mois dernier à la Commission parlementaire spéciale des Affaires étrangères que la réintégration des Chagossiens dans leur pays d’origine, notamment sur l’île de Diego Garcia, n’était «pas possible».
En novembre 2022, l’ex-ministre des Affaires étrangères James Cleverly avait déclaré que la Grande-Bretagne négociait avec l’île Maurice sur l’avenir des îles Chagos, dont «la réinstallation des anciens habitants de l’archipel des Chagos», tout en conservant le contrôle de Diego Garcia. La déclaration de Cameron a provoqué choc et colère chez les Chagossiens qui avaient salué l'annonce de Cleverly comme attendue depuis longtemps.
Cameron a déclaré à la Commission: «Nous sommes confrontés à un monde très incertain et dangereux et il nous faut maintenir notre sécurité et renforcer nos alliances pour nous protéger, et nous devrions penser à Diego Garcia dans ce contexte. Il s'agit d'un atout national important que nous partageons avec les Américains. Dans toutes les négociations que nous menons avec les Mauriciens, la question primordiale doit être la sécurité, la sûreté et la convivialité de cette base [militaire]. Nous devons examiner tous les risques qu’il pourrait y avoir en cas de changement de circonstances et c’est ainsi que nous devons procéder. »
Son objectif est de garantir que la base militaire américaine de Diego Garcia, la plus grande île des quelque 60 îles Chagos situées à mi-chemin entre la Tanzanie et l'Indonésie dans l'océan Indien, puisse continuer à fonctionner sans entrave. Il semble également que Londres ait abandonné son projet de restituer les îles Chagos à l’île Maurice, invoquant des «inquiétudes» sur ses relations avec la Chine.
La déclaration de Cameron intervient alors que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont lancé des attaques contre les Houthis soutenus par l'Iran au Yémen. Les États-Unis ont également mené des frappes en Syrie et n’ont pas exclu de frapper des cibles en Iran. Cette guerre menée par les États-Unis et en pleine expansion au Moyen-Orient fait partie intégrante d’un conflit mondial émergent qui comporte la guerre de Washington avec la Russie en Ukraine et les préparatifs militaires avancés visant la Chine. C’est pour cette raison que l’ex-Premier ministre (2010-2016) a été ramené au gouvernement, anobli et nommé ministre des Affaires étrangères.
Diego Garcia abrite l'une des plus grandes bases aériennes des États-Unis, avec 4 000 soldats américains et britanniques. Elle sert de rampe de lancement à leurs opérations criminelles au Moyen-Orient. Elle a joué un rôle crucial dans la guerre du Golfe, la guerre en Afghanistan et la guerre en Irak. Washington la considère comme essentielle pour maintenir un équilibre militaire délicat dans la région inde-pacifique face à la montée en puissance de la Chine et à l’escalade des différends en mer de Chine méridionale, ainsi que pour maintenir l’approvisionnement en pétrole du golfe Persique. La Grande-Bretagne a autorisé la CIA à utiliser Diego Garcia comme «site noir», où elle a détenu et torturé les gens et ravitaillé en carburant les vols de séquestrations extraordinaires. Elle a récemment prolongé le bail des îles jusqu'en 2036.
Par conséquent, la décision évoquée par le Royaume-Uni de restituer les îles Chagos a toujours dépendu de Washington. Sans le feu vert du gouvernement Biden, Londres, même si elle le souhaitait, n’oserait pas les restituer. Ainsi, le gouvernement britannique ne restituerait l’archipel des Chagos à Maurice que lorsqu’«il ne serait plus nécessaire à des fins de défense», sans indiquer quand cela pourrait se produire.
Le but de la Grande-Bretagne en accordant à Washington le bail de 50 ans sur Diego Garcia dans les années 1960 – un secret non révélé au Parlement ni au Congrès américain – était d'obtenir une remise de 11 millions de dollars sur le système d'armes nucléaires Polaris de fabrication américaine, que les travaillistes britanniques s'étaient engagés à abandonner avant d’arriver au pouvoir. En 1973, le gouvernement expulsa de force toute la population des îles Chagos afin que les États-Unis puissent établir une base militaire à Diego Garcia.
Comme Liseby Elyse, l'une des Chagossiennes, alors âgée de 20 ans et enceinte, l’a déclaré à la Cour internationale de Justice (CIJ) de La Haye en 2018, la Grande-Bretagne avait fermé les plantations des îles et coupé l'approvisionnement alimentaire. On a dit aux Chagossiens qu'ils devaient partir par bateau avant le 27 avril 1973, sous peine de mourir lentement de faim. Elle a déclaré: «Nous étions comme des animaux dans ce bateau négrier», ajoutant: «Les gens mouraient de tristesse». Son enfant était mort-né.
Ce fut le journaliste d'investigation feu John Pilger qui pour la première fois a attiré l'attention du monde entier sur le sort des Chagossiens avec son film de 2004, Stealing a Nation. Les 2000 Chagossiens furent exilés à l’île Maurice et aux Seychelles dans l'océan Indien et finalement au Royaume-Uni, où, privés de soutien et d'indemnisation, et soumis à la discrimination raciale de la part des autorités, ils vivent depuis dans des conditions de forte pauvreté. Quelque 50 ans après les avoir expulsés, le gouvernement britannique annonça finalement en 2022 que les Chagossiens pourraient demander la citoyenneté britannique.
Toujours impitoyable et fourbe dans la protection des intérêts impérialistes britanniques, le gouvernement travailliste de Gordon Brown a unilatéralement déclaré en 2009 les îles Chagos zone maritime protégée (MPA), interdisant ainsi la pêche et les industries extractives, y compris l'exploration pétrolière et gazière. La MPA a été délibérément créée pour empêcher les Chagossiens de retourner dans leur pays d’origine en détruisant leurs moyens de subsistance potentiels. Des câbles de WikiLeaks révélèrent cette ruse en 2011, ce qui renforça une fois de plus la haine éternelle du gouvernement britannique envers Julian Assange.
La CIJ a statué que la séparation des îles de l’île Maurice (avant que celle-ci ne devienne indépendante en 1968) par le gouvernement travailliste d'Harold Wilson en 1965, et leur incorporation ultérieure à des Territoires britanniques de l'océan Indien (BIOT) spécialement créés, violait la résolution 1514 des Nations Unies de 1960 interdisant l’éclatement des colonies avant l’indépendance. La Cour fustigea la méthode utilisée par le Royaume-Uni pour prendre le contrôle des îles la qualifiant de coercitive, ainsi que l'expulsion des habitants pour faire place à la base américaine, la qualifiant de «honteuse». Elle a exhorté le Royaume-Uni à mettre fin à «son administration des îles Chagos le plus rapidement possible».
Alors que l’écrasante majorité de l’Assemblée générale de l’ONU soutenait la CIJ, la Grande-Bretagne, avec son arrogance et son hypocrisie impériales coutumières – elle qui invoque régulièrement l’importance du droit international contre ses ennemis – a refusé d’accepter les arrêts de la CIJ et la décision de l’ONU.
Ce n’était pas la première fois que la Grande-Bretagne défiait l’ONU. En février 2016, elle a rejeté la décision d’un comité des droits de l’homme de l’ONU selon laquelle le fondateur de WikiLeaks, Assange – qui avait demandé l’asile à l’ambassade d’Équateur à Londres en raison de sa persécution par les autorités suédoises et britanniques – avait été soumis à une «détention arbitraire». Cela faisait partie d’une attaque plus large, menée par les États-Unis, contre les arrangements institutionnels établis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, considérés comme une contrainte inacceptable à la poursuite d’intérêts impérialistes prédateurs.
Suite à la décision de la CIJ et au vote de l'ONU contre la Grande-Bretagne, l’île Maurice porta l'affaire devant le Tribunal international du droit de la mer de l'ONU à Hambourg, qui confirma lui aussi en 2021 la légitimité de la revendication mauricienne sur les îles Chagos. Ce tribunal qualifia le maintien de l'administration britannique des îles Chagos d’«illégal» et critiqua son refus de restituer les îles. La décision laisse entendre que le bail de Diego Garcia accordé aux États-Unis par le Royaume-Uni est également illégal.
La Grande-Bretagne est déterminée à conserver ses 14 possessions coloniales restantes et à soutenir les États-Unis, qui en possèdent cinq, dans la poursuite de leurs intérêts géostratégiques prédateurs. Elle craint des demandes d'indemnisation de la part du gouvernement mauricien et les implications pour d'autres conflits de souveraineté, notamment avec l'Espagne à propos de Gibraltar et avec l'Argentine à propos des Malouines.
La déclaration de Cameron révèle une fois de plus l'hypocrisie du gouvernement britannique qui a fustigé la Chine pour ses violations des droits démocratiques à Hong Kong et au Xinjiang, tout en utilisant l'humanitarisme comme prétexte pour mener des guerres dans la poursuite de ses sordides intérêts commerciaux.
(Article paru en anglais le 7 février 2024)