Jeudi 8 février, moins de 24 heures après que les républicains du Sénat américain eurent de nouveau bloqué une aide militaire supplémentaire à l'Ukraine, le chancelier allemand Olaf Scholz s'envolait pour Washington. Scholz est en mission de guerre. Il entend renforcer son soutien au président Joe Biden et faire en sorte que la guerre coûteuse et dangereuse contre la Russie se poursuive à tout prix.
Un jour avant son voyage, Scholz déclarait dans un article publié dans le Wall Street Journal: «Nous devons faire tout notre possible pour empêcher la Russie de gagner.» S'adressant directement aux investisseurs milliardaires de la plus grande bourse du monde, il écrit: «Les conséquences et le coût à long terme de l'incapacité à arrêter l'agression de M. Poutine éclipseraient tous les investissements que nous faisons actuellement.»
Scholz s'est vanté de ce que « ... l'Union européenne et ses États membres ont été le plus grand soutien financier de l'Ukraine, avec une contribution de plus de 91 milliards de dollars depuis le début de la guerre, suivis par les États-Unis et par l'Allemagne. »
Le soutien militaire de l’Allemagne venait en deuxième position après celui des États-Unis: « Depuis le début de la guerre, mon gouvernement a mis à disposition, acheté et livré du matériel militaire, notamment des chars, de l’artillerie et des systèmes de défense aérienne de grande valeur, d’une valeur de plus de 30 milliards de dollars. Cela s'ajoute au soutien non militaire de l'Allemagne, notamment l'accueil de plus d'un million de réfugiés ukrainiens et notre part du soutien de l'UE.»
À Washington, Scholz a rencontré des hommes politiques des deux partis et des représentants du monde des affaires pour demander davantage de milliards de dollars américains pour la guerre en Ukraine. Ce travail doit se poursuivre la semaine prochaine à la Conférence de Munich sur la sécurité à laquelle doivent assister de hauts responsables du gouvernement américain et environ 70 membres du Congrès.
Vendredi après-midi, Scholz a tenu une réunion en tête-à-tête avec le président Biden qui, comme une réunion similaire en mars 2023, n'a pas été suivie d'une conférence de presse. Scholz et Biden ne veulent pas que le public sache sur quoi ils s’accordent en secret.
La mission de guerre de Scholz est moralement, politiquement et juridiquement criminelle. Il s’engage en faveur de l’escalade d’une guerre qui a déjà tué et rendus invalides des centaines de milliers de soldats tant du côté ukrainien que russe et qui menace l’Europe de destruction nucléaire.
Scholz n'évoque pas même l'idée d'une solution négociée ou d'un cessez-le-feu. À l’instar d’Hindenburg, Ludendorff, Joffre, Pétain et d’autres généraux de la Première Guerre mondiale prêts à sacrifier jusqu’au dernier homme pour atteindre leurs objectifs impérialistes, l’OTAN est aujourd’hui prête à n’importe quel risque pour subjuguer la Russie. Sauf que pendant la Première Guerre mondiale il n’y avait pas d’armes nucléaires!
Scholz affirme dans le Wall Street Journal qu’une victoire russe en Ukraine «signifierait la fin de l’Ukraine en tant qu’État libre, démocratique et indépendant» et «porterait un coup sévère à l’ordre libéral mondial». De qui se moque-t-il?
Le simple fait que le budget de l’État ukrainien et la guerre sont entièrement financés par les puissances de l’OTAN suffit à prouver que l’Ukraine n’est ni libre, ni démocratique, ni indépendante. Comme en Russie, des oligarques corrompus dominent l’économie et la politique. Le gouvernement érige des monuments aux fascistes et aux collaborateurs des nazis, comme Stepan Bandera. Les médias et les partis qui émettent la moindre critique de la guerre sont interdits et supprimés.
Même en cas d’éventuelle victoire militaire, l’Ukraine ne serait pas «libre». Elle devrait rembourser ses dettes de guerre aux banques internationales pendant des décennies, ses matières premières et sa main-d'œuvre bon marché seraient exploitées par des trusts mondiaux et elle constituerait une base militaire pour la poursuite de l'expansion de l'OTAN à l'Est.
Quant à la menace contre «l’ordre mondial libéral», il y a une vérité essentielle dans la déclaration de Scholz, si le mot «libéral» est remplacé par «impérialiste». La guerre contre la Russie fait suite à plus de trois décennies de guerres impérialistes au cours desquelles les États-Unis et leurs alliés européens ont détruit de grandes parties du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord suite à la dissolution de l’Union soviétique.
Comme dans la Première et la Seconde Guerre mondiale, l’enjeu est le nouveau partage du monde entre les grandes puissances impérialistes, pour l’économie desquelles le système d’État-nation existant est devenu trop étroit. Les États-Unis tentent de compenser la perte de leur hégémonie économique par la force militaire, l’Allemagne elle, revient à son ancienne politique de grande puissance.
Frank-Walter Steinmeier, l’actuel président allemand, comme Scholz membre du SPD, avait déjà déclaré (article en allemand) en 2014, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères, que l’Allemagne était «trop grande pour se contenter de commenter la politique mondiale depuis la touche». Il a été personnellement impliqué dans l’organisation du coup d’État qui a porté au pouvoir la même année un régime pro-OTAN à Kiev, et a fixé le cap pour la guerre actuelle.
Et le conflit ukrainien n’est pas la seule guerre dans laquelle l’Allemagne et les États-Unis coopèrent étroitement. Scholz a également discuté avec Biden de deux autres sujets, selon le site officiel de la chancellerie: la situation au Moyen-Orient et l'avenir de l'OTAN, qui fêtera en juillet son 75e anniversaire à Washington.
Washington et Berlin sont les principaux soutiens d'Israël, qui ne pourrait pas perpétrer son génocide des Palestiniens à Gaza sans leur aide militaire, financière et politique. L’Allemagne soutient également les États-Unis pour ce qui est d’étendre la guerre contre l’Iran et ses alliés et de déclencher un embrasement de toute la région.
Quelques heures avant que Scholz ne s'envole pour Washington, le plus grand navire de guerre allemand, la frégate Hessen, a mis le cap sur la mer Rouge. Celle-ci doit participer à la mission militaire de l’UE Aspides, que ni Bruxelles ni le Bundestag [le parlement allemand] n’ont jusqu’à présent définitivement décidée, et soutenir la lutte contre les Houthis au Yémen. On a délibérément choisi de la déployer si tôt afin de renforcer la position de Scholz aux États-Unis.
En ce qui concerne l’OTAN, il s’agit avant tout de garantir l’avenir de l’alliance militaire. « Officiellement, Scholz et Biden ne veulent pas parler du ‘sujet omniprésent à ne pas mentionner’lors de leur réunion », écrit le Handelsblatt. «Alors, que se passera-t-il si Trump remporte les élections, quelles précautions faudra-t-il prendre, notamment au sein de l’alliance de l’OTAN? Mais la conversation tournera également autour de ces questions, disent les initiés.»
Selon le Handelsblatt, si les États-Unis retiraient leur soutien à l’Ukraine, «Scholz aurait également un tout nouveau rôle à jouer. Au sein de l’alliance de défense occidentale, tous les regards seraient tournés vers le chef du gouvernement du plus grand pays européen, notamment pour ce qui est du soutien à l’Ukraine.»
Scholz a déjà clairement indiqué que l’Allemagne était prête à investir des sommes encore plus importantes dans la guerre contre la Russie et a appelé les autres gouvernements européens à faire de même. Dans un éditorial du Financial Times du 31 janvier, il a écrit: « Nous devons renforcer notre détermination et redoubler d’efforts pour garantir que notre soutien soit maintenu aussi longtemps qu’il le faudra.»
Ce cours désastreux ne peut être arrêté que par un mouvement indépendant de la classe ouvrière internationale contre la guerre et contre sa cause, le capitalisme. Le coût énorme de la guerre et du réarmement est payé par des coupes dans les dépenses d’éducation, de santé, d’environnement et de protection sociale. C’est la classe ouvrière et la jeunesse qui sont le plus durement frappé par le militarisme – sous forme de baisses de salaires, de coupes sociales et de licenciements, mais surtout comme chair à canon et comme victimes de guerre. Il faut développer la lutte pour s’y opposer en mouvement socialiste conscient et il faut construire le Parti de l’égalité socialiste et le Comité international de la Quatrième Internationale comme le parti de la classe ouvrière internationale.
(Article paru en anglais le 10 février 2024)