Répression de la grève des employés civils des bases militaires: arrestation d’un dirigeant syndical par la police d’Ottawa

La semaine dernière, plus de 100 grévistes du gouvernement fédéral ont dressé un piquet de grève à l’entrée du Parlement canadien à Ottawa pour protester contre l’arrestation d’un de leurs représentants syndicaux et réclamer la reprise des négociations dans le cadre de leur grève de plus en plus acerbe qui dure depuis cinq semaines.

Cinq cents employés de soutien des bases et installations des Forces armées canadiennes de l’Ontario et du Québec, chroniquement sous-payés, sont en grève depuis le mois dernier pour des augmentations salariales importantes, la sécurité d’emploi et l’adoption d’une grille salariale équitable à l’échelle nationale.

Les travailleurs des installations militaires de Bagotville, Montréal, St-Jean et Valcartier au Québec et de Kingston, Ottawa et Petawawa en Ontario sont membres de l’Union des employés de la Défense nationale, un syndicat affilié à l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC).

Ligne de piquetage des grévistes des Services de bien-être et moral des Forces canadiennes. [Photo: PSAC]

Le piquetage sur la Colline du Parlement faisait suite à l’arrestation, le 7 février, d’Alex Silas, vice-président exécutif régional de l’AFPC pour la région de la capitale nationale. Ce jour-là, environ 215 piqueteurs sont descendus dans la rue, bloquant la circulation devant le Centre interarmées des opérations de renseignement du ministère de la Défense nationale. Le syndicat avait convoqué une conférence de presse devant le bâtiment pour informer les journalistes de l’évolution de la grève.

Mais avant même que Silas ne puisse commencer son rapport, la police d’Ottawa est intervenue pour le menotter et l’arrêter. Les travailleurs indignés ont immédiatement encerclé la voiture de police où Silas était retenu, réclamant sa libération immédiate et empêchant l’auto-patrouille de repartir.

La police a finalement réussi à transporter Silas au poste de police où il a été inculpé de méfait, d’intimidation par blocage ou obstruction d’une voie de circulation, de perturbation par entrave et de conseil pour un acte criminel non commis. Des grévistes se sont ensuite rendus au poste pour exiger la libération de Silas. Le responsable syndical a ensuite tweeté qu’il avait été libéré en fin de journée. Il comparaîtra devant le tribunal pour contester les accusations à une date ultérieure. «Mon arrestation a eu lieu lors d’une manifestation pacifique dans le cadre d’une grève légale de travailleurs luttant pour un contrat équitable», a déclaré Silas.

Au cours de la grève, la police d’Ottawa est devenue de plus en plus agressive, car l’employeur – Services de bien-être et moral des Forces canadiennes – a mobilisé des briseurs de grève pour remplacer le travail effectué par les travailleurs de soutien civils. De nombreuses voitures de police apparaissent maintenant sur les piquets de grève légalement constitués pour intimider les grévistes et les menacer d’arrestation.

D’autres travailleurs syndiqués qui ne sont pas en grève ont commencé à organiser des piquets de solidarité à d’autres installations militaires. Ainsi, à Toronto, une manifestation de soutien aux grévistes s’est tenue au manège militaire Denison. Au début du mois, à l’extérieur de Montréal, des centaines de travailleurs affiliés de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) se sont joints aux grévistes pour perturber un défilé de nouvelles recrues à la Garnison St-Jean.

L’agitation des travailleurs des installations militaires canadiennes déstabilise les hauts responsables des cercles dirigeants, au moment même où l’opposition au soutien du gouvernement fédéral aux attaques génocidaires des Forces de défense israéliennes contre la population sans défense de Gaza ne cesse de croître au sein de pans entiers de la population.

La répression policière contre la grève légale des employés civils intervient au moment même où la police d’Ottawa renforce ses mesures d’oppression contre les manifestations et les marches pro-palestiniennes en ville. Même les agents municipaux d’Ottawa sont mobilisés comme force auxiliaire pour réprimer l’agitation. Toute personne utilisant un mégaphone lors d’une manifestation dans les limites de la ville est désormais passible d’une contravention de 490 dollars. Un certain nombre de porte-parole d’organisations officielles de défense des droits de l’homme et de militants pro-palestiniens ont déjà reçu des contraventions. Silas fait également partie des personnes ayant reçu un procès-verbal pour l’infraction présumée.

La police est encouragée à agir de façon aussi agressive par tous les paliers de gouvernement, qui soutiennent inconditionnellement l’assaut génocidaire d’Israël contre Gaza et la répression de toute opposition à cet assaut. La répression impitoyable des travailleurs en grève et des manifestants anti-génocide contraste fortement avec le traitement de faveur accordé par l’establishment politique au «convoi de la liberté» d’extrême droite, qui a été autorisé à occuper le centre-ville d’Ottawa pendant près d’un mois il y a deux ans, en janvier et février 2022, et qui exigeait l’abandon de toutes les mesures de santé publique restantes pour contrer le COVID-19.

Le convoi fasciste, dont les instigateurs appelaient explicitement à la mise en place d’une junte autoritaire, a été organisé par une faction importante de l’élite dirigeante qui l’a utilisé afin de faire taire l’opposition publique à l’élimination des mesures anti-COVID et pousser la politique de l’establishment nettement plus à droite.

Son porte-parole le plus en vue était le chef du Parti conservateur, maintenant rendu d’extrême droite, Pierre Poilievre, membre de l’opposition officielle. Le gouvernement libéral Trudeau, qui a finalement invoqué la Loi sur les mesures d’urgence pour disperser le convoi, a adopté son programme en bloc en supprimant toutes les mesures pandémiques restantes, avec le soutien des néo-démocrates soutenus par les syndicats. Par la suite, une commission sur les urgences en matière d’ordre public a approuvé l’utilisation sans précédent par le gouvernement Trudeau de la Loi sur les mesures d’urgence draconienne et préconisé le renforcement de l’appareil répressif de l’État dans des conditions d’agitation sociale croissante.

Le World Socialist Web Site avait alors correctement émis cette mise en garde: l’utilisation des pouvoirs répressifs de l’État, bien qu’apparemment destinée contre l’extrême droite, va se retourner au final de façon bien plus brutale contre la classe ouvrière.

Les dirigeants du convoi ont reçu un flux constant d’informations de la part de policiers et de fonctionnaires sympathisants avec eux à tous les niveaux, et notamment du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Lors des témoignages de la Commission d’enquête sur ces événements, un rapport de la GRC obtenu par la CBC révélait que le service de police était conscient de la présence dans ses propres rangs d’un nombre important de sympathisants pour le Convoi, prévenant: «Des personnes toujours en poste mais favorables au mouvement, de même que d’anciens collègues, pourraient être en mesure de communiquer des renseignements militaires ou en lien à l’application de la loi aux manifestants du convoi».

Les sympathies d’extrême droite des forces policières sont clairement exprimées dans un autre «rapport de renseignement» sur le convoi rédigé par le sergent Chris Kiez du Service de police d’Ottawa. Son rapport est une justification explicite de l’occupation du Convoi, basée entièrement sur le discours politique du commentateur médiatique de droite Rex Murphy. De façon aberrante, la seule «menace» identifiée par Kiez dans son rapport est celle de l’État islamique! Par la suite, il a été révélé que Kiez a publié à maintes reprises sur les réseaux sociaux des messages reprenant des idées reçues d’extrême droite. Dans l’un d’eux, il s’en prend aux «enseignants», les qualifiant de «plus vils des gauchistes-marxistes».

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, partisan de Donald Trump, a également contribué à bloquer l’action de la police contre le Convoi, tout en assurant en privé à ses partisans qu’il s’efforçait de débarrasser la province de toutes les mesures d’atténuation COVID. Il a fait de même jusqu’à ce que la grande entreprise exige que son gouvernement mette fin au blocage du pont Ambassador entre Windsor (Ontario) et Detroit (Michigan) mené par les partisans du Convoi paralysant les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis.

Cette grève survenant à plusieurs grandes bases militaires de l’Ontario et du Québec est un événement important. Ces travailleurs sont des fonctionnaires fédéraux, mais ne relevant ni du Conseil du Trésor ni du ministère de la Défense nationale. Ils sont employés par les Fonds non publics, une agence distincte qui supervise les travailleurs ne faisant pas partie du «centre» de la fonction publique fédérale. Par conséquent, ces travailleurs négocient séparément des 155.000 travailleurs de l’AFPC dans le secteur public central et n’ont pas participé à l’accord contractuel conclu avec ces travailleurs à la suite de la brève grève du printemps dernier.

Ces travailleurs de soutien assurent pour les militaires des services en matière de planification financière, de gestion des assurances, d’activités récréatives, d’entreposage, de vente au détail et de restauration. Ils sont nettement moins bien payés que leurs homologues des secteurs public et privé exerçant des fonctions similaires.

Les représentants de l’AFPC soulignent, par exemple, que les commis à l’expédition et à la réception de la base militaire de Petawawa ne gagnent que 17,19 $ l’heure, soit à peine plus que le salaire minimum, soit l’équivalent de la moitié du salaire versé aux travailleurs du secteur public effectuant des tâches similaires dans la fonction publique centrale.

De tels écarts sont fréquents dans pratiquement tous les domaines de comparaison avec les autres fonctionnaires. En outre, des écarts de rémunération importants existent également entre les travailleurs des Fonds non publics, d’une base militaire à l’autre. Ces inégalités flagrantes sont à l’origine de la demande d’une grille salariale nationale uniforme pour un travail similaire dans toutes les bases militaires.

L’intensification de la répression de la grève des employés civils des bases militaires ne peut être séparée de l’assaut contre les droits démocratiques sur tous les fronts. Le gouvernement Trudeau et l’ensemble de l’establishment politique cherchent à promouvoir les intérêts de l’impérialisme canadien en soutenant Israël dans sa guerre contre les Palestiniens et en participant aux guerres et aux préparatifs de guerre des États-Unis contre la Russie, la Chine et au Moyen-Orient.

Pour répondre à cette orientation de la classe dirigeante, les travailleurs en grève doivent sortir du cadre limité de la «négociation collective» imposée par la bureaucratie syndicale de l’AFPC et établir des comités de grève composés de membres de la base. Ces comités doivent rallier à leur lutte le soutien d’autres sections de travailleurs et développer une contre-offensive politique et industrielle de la classe ouvrière contre les mesures d’austérité capitaliste, la guerre et l’assaut contre les droits démocratiques, et pour assurer un emploi décent et sûr à tous.

(Article paru en anglais le 20 février 2024)

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