Perspective

Macron rend un faux hommage au résistant franco-arménien Missak Manouchian

Le 21 février 1944, au Mont-Valérien près de Paris, les troupes nazies ont abattu le travailleur immigré communiste Missak Manouchian et 23 autres membres de son unité des Francs-tireurs et Partisans-Main d’Oeuvre Immigrée (FTP-MOI). Mercredi, 80 ans plus tard, Macron a fait inhumer les dépouilles de Missak et de son épouse Mélinée Manouchian au Panthéon de Paris.

Huit membres du groupe de résistance Manouchian à la prison du Mont-Valérien, près de Paris, peu avant leur exécution par les nazis.

Cet hommage est insincère et politiquement sinistre. Il vise à obtenir le soutien de la bureaucratie du PCF et de ses alliés de pseudo-gauche pour l’alliance que Macron noue avec les descendants politiques des fascistes qui ont assassiné Manouchian. La semaine dernière, Macron a invité le Rassemblement national (RN) néo-fasciste au Panthéon dans une interview au quotidien stalinien L'Humanité. «Mon devoir est d'inviter tous les représentants élus par le peuple français», a-t-il dit.

Une nouvelle étape se profile dans l'évolution fascisante de la bourgeoisie européenne, sur trois décennies de guerre, d'austérité et de luttes de classe depuis la dissolution stalinienne de l'Union soviétique en 1991. Macron est méprisé car il gouverne contre le peuple, a imposé sa réforme impopulaire des retraites sans vote parlementaire en 2023, afin de financer le réarmement contre la Russie. Dépourvu de base populaire pour ses guerres et ses politiques d'austérité, Macron veut consolider un régime autoritaire en alliance avec l'extrême-droite.

Le soutien de la pseudo-gauche au faux hommage de Macron à Manouchian montre l'urgence de construire une alternative révolutionnaire trotskiste. La pseudo-gauche, qui a soutenu la décision des appareils syndicaux de stopper les grèves contre la réforme des retraites, ne s'oppose ni à la guerre ni à l'État policier. La force qui lutte pour construire une direction révolutionnaire est le Comité international de la IVe Internationale (CIQI), le mouvement trotskiste mondial, basé sur sa lutte contre le stalinisme et les descendants petits-bourgeois des renégats du trotskisme.

L'hommage de Macron à Manouchian est frauduleux, car ses sympathies vont aux bourreaux de Manouchian. En 2018, alors qu'il envoyait les forces de l’ordre attaquer les «gilets jaunes», il a salué le dictateur collaborationniste, le traître Philippe Pétain, comme un «grand soldat». Mais on ne peut applaudir à la fois Manouchian et Pétain, dont l'État policier a capturé Manouchian et l'a remis aux nazis pour être assassiné.

La tentative de Macron de faire les deux est une manœuvre politique cynique. Depuis qu'il a imposé ses réforme des retraites grâce à la complicité des bureaucraties syndicales, sa police a réprimé les émeutes contre le meurtre de Nahel l'été dernier, et il a traité le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou d’«ami» pendant la guerre génocidaire d'Israël contre Gaza. Ensuite la dirigeante du RN, Marine Le Pen, a applaudi la loi draconienne de Macron sur l'immigration, adoptée cet hiver, la traitant de «victoire idéologique» pour les néo-fascistes.

Néanmoins, les staliniens français et leurs alliés de pseudo-gauche ont salué le faux hommage de Macron à Manouchian. L'Humanité l'a traité de «geste mémoriel inédit, essentiel, bien qu’en contradiction complète avec la politique conduite par Emmanuel Macron», prétendant que Macron «parachève la reconnaissance par la nation à l'égard de la résistance communiste et étrangère».

Olivier Besancenot du NPA pabliste a réagi par un Tweet sur la chanson de Léo Ferré sur le groupe Manouchian, «L’Affiche rouge», sur un poème de l’auteur stalinien Louis Aragon. Besancenot a twitté: «Manouchian, Aragon, Ferré, un combat, un poème, une chanson. Ce que la France doit à la MOI, la Main d’Oeuvre Immigrée, et la résistance antifasciste».

Jean-Luc Mélenchon de LFI a traité l'hommage de Macron à Manouchian de victoire du communisme sur le néo-fascisme. Mélenchon a déclaré qu'il avait ressenti une «jubilation secrète» en voyant Le Pen au Panthéon, assistant à l'événement pour Manouchian. Aujourd'hui, a-t-il dit, «tant d’années après, c’est capitulation sans condition. L’extrême droite vient rendre hommage à la résistance communiste alors qu’ils l’ont tellement décriée.»

C’est un tissu de mensonges. Macron et Le Pen ne célèbrent pas la résistance au fascisme dans la classe ouvrière française et européenne pendant la Seconde Guerre mondiale. Un tel mouvement n'est pas ce que Macron et Le Pen veulent, mais ce qu'ils craignent. Ils travaillent avec la pseudo-gauche pour bloquer un mouvement dans la classe ouvrière, alors même que le capitalisme plonge à nouveau dans le génocide et la guerre mondiale au 21e siècle.

La pseudo-gauche partage la fausse perspective historique sur la résistance avancée par Macron dans son discours au Panthéon. «Vous entrez ici en soldat», a dit Macron à Manouchian, affirmant qu’il reconnaissait «cette part de la Résistance, six décennies après que Jean Moulin», un dirigeant de la résistance pro-capitaliste lié au général Charles de Gaulle, soit entré au Panthéon en 1964. A présent, a dit Macron, «Une odyssée du 20e siècle s'achève».

Missak et Mélinée Manouchian

Mais la résistance n’était pas un mouvement de soldats, visant à assurer la seule indépendance de la France vis-à-vis l’Allemagne, et dont le travail est à présent terminé. En fait, les millions de personnes qui ont rejoint des milices pour attaquer les autorités collaborationnistes, étaient en majorité des ouvriers ou des agriculteurs. Maquis et milices d'usine se sont répandus dans toute l'Europe. Les actions de ces milices s'inscrivaient d'ailleurs dans un mouvement encore plus large de grèves générales et d'insurrections armées à travers le continent.

Les Manouchian, enfants, avaient fui le massacre des Arméniens dans l'Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale. Missak était un ouvrier juif de l’automobile, Mélinée une dactylo et amie de la famille du chanteur Charles Aznavour. S'ils sont restés au PC et n'ont pas rejoint l'opposition trotskiste au stalinisme, puis la IVe Internationale fondée par Trotsky en 1938, ils ont travaillé pendant la guerre avec Arben Dawitian Tarov, un Opposant de gauche qui s'était évadé des prisons soviétiques et était arrivé en France.

Arben Dawitian Tarov, opposant de gauche et membre du groupe Manouchian.

Après l'invasion nazie de l'Union soviétique en 1941 et les premières rafles de Juifs par la police française en 1942, ils sont entrés en résistance armée. En 1943, année du soulèvement du ghetto de Varsovie, des grèves générales d’Athènes et des Pays-Bas, et du renversement de Mussolini par les travailleurs italiens, leur unité est la principale unité FTP active à Paris. Ils ont organisé des dizaines d'attaques. La plus célèbre fut l'exécution, le 28 septembre 1943, du général SS nazi Julius Ritter, qui organisait les déportations de travailleurs en Allemagne pour le Service du travail obligatoire.

Traqué par la 2e Brigade spéciale des Renseignements généraux et forcé par le PCF de rester à Paris, le groupe Manouchian est capturé en novembre 1943, mais Mélinée s'échappe. «L’Affiche rouge» avec leurs photos, publiée avant leur exécution, les traitant d’«armée du crime» juive, leur a valu au contraire l'affection durable des Français. Manouchian a déclaré, avant son exécution, qu'il n'éprouvait aucune haine pour le peuple allemand.

« L' Affiche rouge » de propagande du régime nazi et collaborationniste de Vichy dénonçant le groupe Manouchian avant son exécution.

Le destin du mouvement de résistance ne peut être compris en dehors de la lutte de Trotsky contre le stalinisme. De nombreux résistants considéraient qu'ils menaient non une guerre nationale mais une guerre de classe, contre le fascisme et le capitalisme. Cependant, seule la IVe Internationale s'est battue pour que le mouvement de masse de la classe ouvrière européenne conduise au transfert du pouvoir aux organes ouvriers et à une révolution socialiste européenne et mondiale.

La bureaucratie soviétique, avec sa fausse théorie du 'socialisme dans un seul pays', s'opposa à une révolution européenne à la fin de la guerre. Les directions des partis et des syndicats staliniens ont collaboré avec les gouvernements capitalistes pour intégrer les milices de résistance comme les FTP dans l'armée, et dissoudre les milices d’usine pour les remplacer par des comités d'entreprise. En 1944, le ministre belge libéral de la défense, Fernand Demets, a dit à ses collaborateurs que la politique à l'égard de la résistance consistait à «étrangler la poule sans la faire crier».

Si les forces alliées capitalistes ou staliniennes et ont pu éviter la révolution dans les années 1940, la lutte du mouvement trotskiste et la résistance contiennent encore aujourd'hui de grandes leçons. La bureaucratie soviétique a dissous l'Union soviétique en 1991, mais «l'odyssée» de la résistance n'est pas achevée. La lutte pour le socialisme contre le génocide, la guerre mondiale, les régimes autoritaires et le système capitaliste qui les engendre sont des tâches inachevées des travailleurs.

Pour briser le diktat étouffant du «dialogue social» entre les appareils syndicaux et l'État policier de Macron, la lutte des Manouchian soulève une alternative stratégique essentielle. Le groupe Manouchian faisait partie d'un vaste réseau d'organisations de lutte de la classe ouvrière européenne qui ont combattu le régime nazi. Macron ne dirige pas un régime fasciste, mais la construction d'une nouvelle alliance international d'organisations de la base de la classe ouvrière, opposées à l'État capitaliste, est la seule voie à suivre pour les travailleurs.

Avant tout, il faut construire une nouvelle direction révolutionnaire dans la classe ouvrière, sur la base des luttes du CIQI pour défendre la tradition révolutionnaire du marxisme.

Le CIQI fut fondé en 1953 pour défendre le trotskisme contre une tendance apparue au sein de la IVe Internationale, menée par Michel Pablo et Ernest Mandel, qui prétendait que la révolution était impossible à la fin de la IIe Guerre mondiale et que les staliniens pouvaient mener les luttes révolutionnaires. Malheureusement, la première section française du CIQI, l'Organisation communiste internationaliste de Pierre Lambert, a capitulé au pablisme. Elle a rompu avec le CIQI en 1971 pour rechercher des alliances avec la social-démocratie et le stalinisme.

Le Parti de l'égalité socialiste (PES), section française du CIQI fondé en 2016, s'oppose à la capitulation du PCF, de Besancenot et de Mélenchon aux invocations cyniques de Manouchian par Macron pour justifier sa politique fascisante. Besancenot le pabliste et Mélenchon l'ex-lambertiste ne représentent pas le trotskisme, mais l'anti-trotskisme petit-bourgeois. Ils interviennent dans la lutte des classes pour «étrangler la poule sans la faire crier».

Mais la situation, comme l'a souligné le PES lors de la lutte pour les retraites l'année dernière, sur fond d'une vague de grèves de masse dans toute l'Europe, est objectivement révolutionnaire. La tâche devant les travailleurs et les jeunes animés d'un esprit révolutionnaire consiste à bâtir le CIQI comme l'avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière, contre la guerre, l'État policier et le capitalisme. Lutter pour le transfert du pouvoir à la classe ouvrière dans une révolution socialiste, et contre la capitulation et la collaboration avec Macron, est la seule célébration appropriée des Manouchian.

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