Le programme économique de Xi ne répond pas aux problèmes de la Chine

La réponse universelle au programme économique du gouvernement chinoi,s annoncé lors de la session d’ouverture du Congrès national du peuple à Pékin mardi dernier, est qu'il ne fera pratiquement rien pour surmonter des problèmes qui vont grandissant.

Le président chinois Xi Jinping, au premier plan, passe devant les délégués à son arrivée à la session d’ouverture du Congrès national du peuple à Pékin en Chine, le 5 mars 2024 [AP Photo/Ng Han Guan]

Les commentaires faits à Bloomberg par Alicia Garcia Herrero, économiste en chef pour l’Asie-Pacifique à la société de gestion d’investissements Natixis ont résumé le sentiment général lorsqu’elle a déclaré qu’il s’agissait d’un «objectif sans plan».

Dans son «Rapport de travail», le premier ministre Li Qiang avait fixé un objectif de croissance d’«environ 5 pour cent» cette année – le même qu’en 2023. Mais cet objectif serait plus difficile à atteindre car la croissance de l’année dernière avait été mesurée à partir de la base plus faible de 2022, dû au COVID. Li avait déclaré qu’il fallait soutenir l’économie sur «tous les fronts», mais on avait annoncé peu de mesures concrètes et rien qui ressemblât à un plan de relance.

«Cela montre qu’ils ne comprennent pas la gravité de la situation. Comment allez-vous soutenir la consommation? Les salaires ont baissé. Il y a de la déflation. Qu’allez-vous faire? » a déclaré Herrero.

Ce n’est pas tant que le gouvernement ne comprend pas les problèmes auxquels l’économie est confrontée, mais bien plutôt qu’il a un programme différent de celui préconisé par ceux qui veulent que l’on passe à des mesures de relance, qui visent en particulier à augmenter les dépenses de consommation.

Dans son rapport, Li a annoncé un déficit budgétaire conforme aux chiffres de l’année dernière, ce qui indique qu’il n’y aura pas d’augmentation majeure des dépenses. Il a toutefois souligné, quoique de manière limitée, les difficultés économiques.

«Les bases de la reprise et de l’amélioration continues de l’économie de notre pays ne sont toujours pas solides ; la demande est insuffisante, il y a surcapacité dans certaines industries, des attentes sociétales faibles et de nombreux risques persistants», a-t-il déclaré.

Le régime de Xi Jinping s’oppose toutefois à ce que ces problèmes et ces risques soient contrés par un retour à la politique de relance du passé, via l’extension des dépenses publiques et du crédit. Il craint en effet qu’une telle politique ne fasse qu’exacerber les problèmes d’endettement du pays, posant ainsi des risques encore plus grands.

Notant le changement d'orientation, le cabinet de conseil Gavekal Dragonomics, qui se concentre sur la Chine, a souligné que l’objectif d'expansion de la demande intérieure a été rétrogradé de sa première priorité dans le rapport de l'année dernière à la troisième place. Les deux objectifs principaux étaient la «modernisation du système industriel » et le développement de « nouvelles forces productives de qualité».

Cela reflète l’agenda du régime pour qui la nouvelle voie économique doit être basée sur le développement d’industries de haute technologie avec une orientation vers ce que Xi appelle les «nouvelles forces productives».

L’agence de presse étatique Xinhua cite ainsi Xi: «Le développement de nouvelles forces productives de qualité ne signifie pas qu’il faille négliger ou abandonner les industries traditionnelles, a déclaré Xi. Il est nécessaire d’éviter une fuite en avant dans les projets et la formation de bulles industrielles, et d’éviter d’adopter un seul modèle de développement, a-t-il noté».

Ce nouveau virage pose un certain nombre de problèmes. La question à long terme est de savoir si la production de haute technologie peut surmonter la dépendance à l’égard de l’immobilier et de la promotion immobilière qui, au cours des dix dernières années et plus, a représenté environ 25 pour cent du produit intérieur brut de la Chine.

Si la Chine développe sa production dans le domaine de la haute technologie, comme les véhicules électriques, les batteries et les panneaux solaires, une question se pose immédiatement: où ces produits seront-ils vendus dans un contexte de faible demande intérieure?

Ce ne peut être que sur les marchés internationaux, à des prix inférieurs, où il y a déjà la menace que les États-Unis et l’Union européenne prennent des mesures de rétorsion au motif que la Chine fait du «dumping» avec ses produits et utilise des subventions d’État pour être moins chère que ses concurrents.

À cela s’ajoute l’escalade de la guerre économique menée par les États-Unis, qui imposent une liste toujours plus longue d’interdictions et de sanctions sur les puces et autres produits nécessaires au développement de la haute technologie, de peur que la croissance de la Chine sur cette voie n’affaiblisse encore leur domination sur l’économie mondiale.

Les États-Unis sont déterminés à conserver leur hégémonie non seulement par la guerre économique, mais aussi par des moyens militaires, ce à quoi ils se préparent activement.

L’expansion rapide de l’économie chinoise au cours des trois dernières décennies a été alimentée dans une large mesure par l’afflux d’investissements étrangers, les grandes entreprises ayant utilisé la Chine comme base de main-d’œuvre bon marché pour leurs processus de fabrication.

Mais il y a aujourd’hui des signes très clairs que ce flux se tarit, tant en raison des sanctions imposées par les États-Unis que parce qu’il existe d’autres opportunités plus lucratives ailleurs, notamment dans les pays d’Asie du Sud-Est.

Ce changement commence à se manifester dans les données économiques. Selon les chiffres publiés le mois dernier par l’Administration nationale des changes, l’afflux de capitaux étrangers dans le pays en 2023 s’est élevé à 33 milliards de dollars, soit une baisse de 82 pour cent par rapport à l’année précédente et le chiffre annuel le plus bas depuis 1993.

Le principal domaine d’augmentation des dépenses décrit dans le rapport de Li est l’émission d’obligations spéciales du Trésor d’une valeur de 139 milliards de dollars pour financer la «capacité de sécurité dans les zones clés» et l’augmentation du budget militaire de 7,2 pour cent, ce qui est supérieur à l’objectif de croissance officiel.

Ces mesures ne sont guère surprenantes compte tenu de l’extension du front de guerre américain en Ukraine et au Moyen-Orient et de la reconnaissance par les milieux dirigeants et militaires chinois que, quoi qu’on en dise, les États-Unis cherchent à provoquer une guerre.

Résumant son évaluation du rapport de Li, le Financial Times a ce commentaire: «La Chine court de réels risques en donnant la priorité à la sécurité, à la technologie et à l’autosuffisance plutôt qu’à la croissance du PIB. Les vulnérabilités du pays – un marché immobilier chancelant, des dettes importantes des municipalités, une déflation qui s’aggrave, un taux de chômage élevé chez les jeunes et d’autres – exigent toutes la croissance pour éviter de nouveaux effondrements. Pourtant, rien ne prouve que Pékin dispose des politiques nécessaires pour atteindre l’objectif de croissance qu’il s’est fixé».

Le régime de Xi est bien conscient de ces risques et du fait que sa légitimité politique repose principalement sur sa capacité à assurer la croissance économique et l’augmentation du niveau de vie. Il avait l’habitude de dire qu’une croissance de 8 pour cent était nécessaire pour assurer la «stabilité sociale». Cet objectif n’est plus d’actualité depuis longtemps et la croissance est aujourd’hui en baisse.

Ce régime sait qu’une telle situation peut provoquer des fissures au sommet, qui peuvent conduire en bas à une éruption de colère sociale.

Dans ce contexte, il est significatif que le «Rapport de travail» reflète un certain revirement autour du président bonapartiste Xi.

Dans son rapport, Li déclare que les réalisations faites en 2023 étaient dues à Xi «qui est à la barre et trace la voie, avec les conseils avisés de la pensée de “Xi Jinping” sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère».

Le resserrement du contrôle autour de Xi a également été illustré par la décision de Li de ne pas tenir de conférence de presse sur son rapport, ce qui n'était pas arrivé depuis 30 ans.

(Article paru en anglais le 8 mars 2024)

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