Le gouvernement grec introduit des lois sur les universités privées et lance la répression policière contre les manifestations de masse

Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis s’est engagé cette semaine à poursuivre la répression brutale à l’encontre des étudiants, des jeunes et des travailleurs qui luttent contre la nouvelle loi sur l’université. Cette loi ouvre l’enseignement universitaire au secteur privé et vise à démanteler le droit à l’enseignement supérieur universel et gratuit. Elle a été adoptée par 159 voix contre 129 dans un parlement de 300 sièges où la Nouvelle Démocratie détient une nette majorité.

La Grèce compte 24 universités publiques accréditées, ainsi que plusieurs universités privées. Plus de 650.000 étudiants sont actuellement inscrits dans les universités publiques.

La police anti-émeute affronte des étudiants devant le Parlement lors d'une manifestation à Athènes, en Grèce, le 8 mars 2024 [AP Photo/Thanassis Stavrakis]

Les nouvelles mesures permettent aux universités privées d’opérer en tant que succursales grecques d’établissements d’enseignement étrangers et de délivrer des diplômes équivalents à ceux proposés par les universités publiques. Bien que fonctionnant sous un statut «à but non lucratif», elles seront en mesure de faire payer des frais de scolarité.

La loi favorisera les familles aisées capables de payer des frais exorbitants. En érodant l’offre publique, elle nuira aux perspectives d’emploi des jeunes dans un pays où le chômage des jeunes atteint des niveaux record depuis plus d’une décennie.

L’adoption de cette loi était inconstitutionnelle, car il est interdit aux établissements privés de fonctionner en tant qu’universités indépendantes depuis près de 50 ans. Après la chute de la junte militaire en 1973, l’article 16 de la Constitution de 1975 stipule que l’enseignement supérieur est exclusivement «public et gratuit».

L’élite dirigeante grecque, qui a de nombreux liens avec ceux qui étaient au pouvoir à l’époque de la junte, souhaite rétablir le contrôle du secteur privé sur les campus et réprimer un secteur de la société qui a longtemps été un bastion de l’idéologie et de l’activité de gauche.

Des dizaines de milliers d’étudiants ont manifesté dans tout le pays au cours des derniers mois, la police antiémeute s’attaquant brutalement aux manifestations. Au cours de la troisième semaine de janvier, environ 250 des 450 facultés et départements grecs étaient occupés, des centaines d’universitaires ayant signé des pétitions pour s’opposer aux projets concernant les universités privées. Le quotidien conservateur Kathimerini a qualifié les assemblées d’étudiants de «champs de bataille» et les occupations de «virus» qui s’était «également propagé à l’enseignement secondaire».

Le 9 mars, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté sur la place Syntagma d’Athènes, avec la participation de près de 200 groupes d’étudiants d’universités de tout le pays, aux côtés d’autres personnes protestant contre le génocide israélien à Gaza. La police antiémeute a attaqué les manifestants à coup de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes, les agressant à coup de matraques et de boucliers.

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Anna Adamidi, étudiante en philosophie participant à la manifestation, a déclaré à l’agence Associated Press: «Ce gouvernement veut tout privatiser… mais en même temps, le coût de la vie ne cesse d’augmenter et nos salaires restent pitoyables. Le secteur privé arrive et démantèle l’enseignement public, en utilisant des ressources pour lesquelles il ne paiera rien».

Le 16 mars, la police anti-émeute a fait irruption à l’université Aristote de Thessalonique et a arrêté 49 étudiants qui occupaient plusieurs départements de l’école des sciences appliquées. Les personnes arrêtées, âgées de 19 à 30 ans, ont été inculpées d’obstruction à la justice et de perturbation grave du bon fonctionnement d’une entité juridique de droit public.

Au même moment, la police a effectué une descente sur le campus de Zografou de l’université d’Athènes et a procédé à deux arrestations.

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Mardi, Mitsotakis a promis de poursuivre la répression, déclarant: «Je tiens à répéter que les actes illégaux ne seront pas tolérés; le gouvernement et la police grecque seront en première ligne pour rendre les institutions universitaires à ceux qui y ont vraiment leur place, les étudiants et les professeurs, afin que les universités restent des centres de connaissance et non un refuge pour ceux […] qui cherchent à les transformer en repaires de violence et en espace de conflits stériles».

Toutes les tentatives précédentes de gouvernements dirigés par la droite conservatrice d’autoriser les universités privées ont été empêchées par des manifestations de masse.

Il y a près de 20 ans, en 2006 et avant le début de l’austérité de masse imposée en Grèce par les gouvernements successifs à partir de 2010, les étudiants et le personnel académique ont organisé des mois de manifestations de masse, de rassemblements et d’occupations d’universités. Le mouvement contre le gouvernement ND [Nouvelle Démocratie] de Karamanlis a vu 350 des 456 facultés grecques occupées par des étudiants, avec plus de 100.000 étudiants participant aux rassemblements et aux protestations.

La capacité de la ND à se hisser au pouvoir l’année dernière, à poursuivre son programme de guerre de classe et à finalement adopter ces lois, est entièrement imputable à Syriza (Coalition de l’Alliance radicale de gauche et progressiste).

Arrivés au pouvoir en 2015 sous la direction d’Alexis Tsipras, Syriza, avec le soutien appuyé des groupes de la pseudo-gauche internationale — qui l’ont salué comme la vague de l’avenir — a intensifié une offensive d’austérité en alliance avec les syndicats, sans précédent sur le continent européen. Tsipras a autorisé l’utilisation d’unités de police pour disperser une occupation étudiante à l’Université technique d’Athènes quelques mois après son arrivée au pouvoir.

En juillet 2019, Syriza a été chassé du pouvoir par des millions de travailleurs qui ont déserté ce parti pourri. De nouveau mis en déroute lors des élections de 2023, bien que demeurant le principal parti d’opposition au parlement, Syriza atteint aujourd’hui à peine 10 pour cent dans les sondages.

Le Premier ministre grec et leader de Nouvelle Démocratie (ND) Kyriakos Mitsotakis, à droite, et le leader du principal parti d'opposition Syriza, Alexis Tsipras, rient avant un débat dans les locaux du radiodiffuseur public ERT à Athènes, le mercredi 10 mai 2023. Les chefs des partis politiques grecs participent à un débat télévisé avant les élections du 21 mai. [AP Photo/Thanassis Stavrakis]

La classe dirigeante a saisi cette opportunité. En 2021, ND a adopté son projet de loi autoritaire sur l'éducation, une fois de plus face à d'importantes manifestations, établissant une force de police spéciale pour la surveillance des universités. Cette force est non seulement autorisée à pénétrer sur les campus, mais elle est également habilitée à arrêter les personnes considérées comme des fauteurs de troubles par les autorités. Elle relève de la police hellénique et non des établissements d'enseignement qu'elle patrouille. Depuis 2019, environ 45 opérations de police ont été menées dans des locaux universitaires occupés.

Ces actions s’appuient sur l’abolition en 2011 de la loi sur l’asile académique par le gouvernement social-démocrate du PASOK.

La loi de 1982, en vertu de laquelle la police ne pouvait pénétrer dans les campus universitaires que sur autorisation et qui garantissait aux étudiants un sanctuaire contre l’arrestation ou la brutalité de l’État, est née de l’héritage sanglant de la junte. Elle a été adoptée en réponse à la colère populaire suscitée par l’assassinat brutal par l’État des étudiants qui avaient participé au soulèvement de l’École polytechnique d’Athènes le 17 novembre 1973. Ce jour-là, les étudiants avaient lancé une grève sous le slogan «pain, éducation, liberté» contre les militaires, qui avaient pris le pouvoir en 1967.

En novembre 2011, le gouvernement de coalition de Lucas Papademos — comprenant le PASOK, la ND et le Rassemblement populaire orthodoxe d’extrême droite — a autorisé la police à pénétrer dans une université publique, à Thessalonique, pour la première fois depuis 1982.

L’abolition de la loi de 1982 a été exigée par les États-Unis. Parmi les nombreux câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks en 2010, figure celui de Daniel V. Speckhard, ancien ambassadeur des États-Unis à Athènes. Demandant sa suppression, Speckhard a décrit la loi comme «rien de plus qu’une couverture légale permettant aux voyous de semer la destruction en toute impunité».

Syriza fait preuve de duplicité. Ses 36 députés ont voté contre la nouvelle loi sur les universités, mais son nouveau chef, Stefanos Kasselakis — ancien trader chez Goldman Sachs aux États-Unis et propriétaire de plusieurs sociétés de transport maritime — est un défenseur de longue date des universités privées en Grèce.

Entre 2007 et 2015, Kasselakis a écrit une série d’articles anti-ouvriers pour le journal de droite gréco-américain National Herald. En 2007, il a exprimé son soutien aux tentatives de Karamanlis de créer des universités privées. Ces propositions ont également été abandonnées face à l’opposition massive des étudiants.

Stefanos Kasselakis, nouvellement élu à la tête du principal parti d’opposition, Syriza, s’adresse à ses partisans devant le siège du parti à Athènes, le 25 septembre 2023. [AP Photo/Yorgos Karahalis]

Attaquant le PASOK pour s’être opposé aux mesures après les avoir initialement soutenues, Kasselakis a écrit: «Si [le PASOK] avait eu le courage politique de soutenir le changement, avec lequel [il] était initialement d’accord, les étudiants auraient encore été battus par la police anti-émeute, mais au moins l’état de l’éducation aurait été radicalement remis en question et aurait changé».

Les étudiants, les jeunes, les universitaires et l’ensemble de la classe ouvrière doivent prendre la mesure de la situation. L’embardée vers la droite de la classe dirigeante et de ses partis politiques, y compris Syriza, doit être combattue par un mouvement politiquement indépendant de la classe ouvrière et de la jeunesse. Ceux qui luttent pour ce mouvement doivent s’appuyer sur le bilan de lutte politique établi par le Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 21 mars 2024)

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